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Circulation J ti Dette refpeétive du Prince & du peuple , 17 Change entre le Souverain & les fujets , 35 Une Province pourroit ne payer rien du tout , & être très-miférable , 37 TABLE DES CHAPITRES. Vivifîcation des landes de Bor- deaux , j9 Vivifîcation du Berri , 4^ Augmenter la dépenfe , dimi- nuer la recette, moyen de rétablir les finances , f 7 Le mot célèbre de Cyrus aufïî jufteque noble, 7* GhAp. III. Jujïice & Police , 75) Juftice & Police fujettes aux mêmes loix de circulation , %t Evocations & attributions, obf- truBions , 91 Reflbrt trop étendu , vice en ce genre, 96 Jugement* par les Pairs , ré- gime impoffibie, 107 Le reifort principal & le plus délicat, ce font les mœurs, iif Les biens phyfiques bornés , les biens moraux immen- (es^ 115 Le Gouvernement a plus de pouvoir fur le moral que fur le phyfique, 12 J Les écrits peignent les mœurs & les font. I z* ChAp. IV. Les Mœurs ^ 1 3 j Les mœurs , tableau de la fociété , 13^ • . . . . re (Tort de la Cociété , 13$ TABLE DES CHAPITRES, Les mœurs s'altèrent par de- grés , . îif La Religion , relTort principal des mœurs , 147 Un Prince irréligieux le plus fou des fanatiques , i jo Les Livres impies font plutôt la fuite du relâchement des mœurs que Ton principe , î^6 Rien n'eft moins intolérant que l'efpritdela Religion, rien ne l'eft plus que la raifon d'Etat, 175 L'amour de la patrie peut & doit exifter dans la Monar- chie , i8i AvililTement des Grands dans un Etat , prélude de l'anar- chie abfolue, ip4 Dans une nation où chaque profefïïon ne fera eittmée que par fa folde , le foldat fera un goujat*auprès d'un valet, 20; La fociabilité eft la fociété dans les vertus , (on con- traire dans les vices, 215 Abbréviation des deuils , alté- ration des mœurs , 214 Apathie, mort civile , 224 Décence des mœurs, zz6 Diftindion de la (implicite à la familiarité, 25a Les mœurs font les cordes de Vinftrument politique , les TABLE DES CHAPITRES; loix n*en font que les fon s , 2 j ^ GnAV» y» Du Luxe j 245 Le luxe , dépenfe déplacée , 148 afFoiblit l'efprit , if | afiaifle l'ame , is^ m avilie le cœur , 165 • énerve le corps , 17 } déplacement dans l'ex- térieur de la dépenfe, 174 amené la recherche & le colifichet , & tourne de ce côté les perfonnes ainfî que les biens, 284 ;..... diminue le travail , 2^1 les folles dépenfes irritent la cupidité , & parelle grofTif- fent les fortunes particuliè- res , loin de les miparrir, 295- Les loix fomptuaires ne valent rien dans un grand Etat, 2^9 Le luxe" tend à détruire la politefîè, 307 • . . . . détruit l'induftrie & les arts , 309 • . . . . fait dégénérer les fcien- ces & les beaux arts, 31^ Moyens par lefquels le luxe détruit la poIirefTe , 321 • . . • . l'induftrie , 32^1 • • • • . les arts > |i8 TABIE DES CHAPITRES. Chap. VI. Age de la France ^ 540 Cercle prétérit à toute la na- ture, 341 Il faut calculer & connoîcre l'âge d*une fociété, 34^ Enfance de la France, 349 Jeunefîe de 4a France , 3/0 ^ge mûr dé la France, 35^5 La gaieté des François, 35-7 leur adivité, 36a Leur induftrie, 367 CtHAV, yiî, Reverjement j 371 Paris , rêce trop grolle pour le corps , 37f Précis de la circulation vivi- fiante, 385 NécefTicé & poficion des ma- nufactures, ^îf Canaux, 398 Troupes employées aux tra- vaux publics, 401 Rcfîdencedans les Provinces , de ceux qui y polFédent des emplois lucratifs à leurs charges. 40S Maifons de retraite & de force, rejettées dans les pays de peu de confommation , . 412 Hôpitaux accroiffent la mi- (ere, loin de la foulager, 418 Impudence de la mendicité prefqu€ auffi deilrudlive TABLE DES CHAPITRES; dans un Etat , que celle de la richefTey 40^ Enfans-trduvés, 414^ Chap. VIII. rargent doit -il être marchandife ou non? 43 z Emprunts de l'Etranger , hy- pothèque & tribut, 45^ Calcui de Dutot fur la Ma- ri ne , ■ 4;; Répon-'e a la nécefTité desren- tfcs pour ceux qui ne fçau- if/ierir êrie agriculteurs , . 47^ Le r' ntier eft de la nature v:n oifif qui jouit , 484 Baifler le taux des rentes ^ Ibid» Les dits & contredits ne va- lent rien en fait d'affaires d'E'at , 487 D'où doit partir le tarif du bailfement d'intérêts , 491 ^ Baiirement d'intérêts , vivifi- . cation de l'agriculture, 494 ; . , . . du commerce, 49 j- • ... de l'induftrie pour les manufadures, 497 Rembourfement du capital, 498 Mémoires de SuUi , ^06 I* Liquidation des dettes, jii Rembonrfemens , y 18 Bêtife qui craint la (ortie de Targenç étranger, ;x* TABLE DES CHAPITRES. Bonification des fonds , fuice des arrangemens précé- denrs, yiy Opinion de l^Eglife fur le prêc , d'accord avec le véri- table intéiêc de l'Etat, ^i-j Fin de la Table de la IL Partie* UAMI DES HOMMES, ou TRAITE DE LA POPULATION. SECONDE PARTIE. C H A P I T Çv E I. Le Commerce. rARMFEquiraifoitle (îégeduFortdéKeilfur lafinde 1753. les terres ^^ duComte d'Hanawdafiis "■^'lerquelles on fe trou- voit, fourmilloienc de gibier qu'il n'avoic pas réfervé pour les menus plaifîrs desGafconsjtourefois attendu la convenance,ceuxci en uferenc peu //. Farcie, A ^ Traité de la Population, fobrement ; & nos héros qui avoient plus de bonne volonté que d*argenr , venoienc dans les ordinaires un peu mieux réglés échanger poids pour poids le chevreuil contre du bœuf pour faire la foupe , &c tout le monde étoit content. Voilà la Nobleiïe commerçante trouvée vingt-deux ans avant qu'on en eût fait un Livre. Je ne fcais il en y regardant de plus près on ne remonteroit pas plus haut en- core , & je crois avoir lu dans un Auteur contemporain que Gain & Abei s qui certainement étoienc nobles de leur temps , échangeoienc avant leur brouillerie , Tun (ts fruits 5 l'autre fes troupeaux avec l'excédent de la portion de fon frère. Ce n'eft pas la faute de l^Auteur de la Nobîelïe commerçante fi ce morceau fe trouve gînguet ; c'étoit de fa nature un joli Difcours pré- liminaire de quelque Traire de Commerce écrit légèrement : aii- lieu de cela l'avidité publique en Commerce* 5 a fait un Livre, & dès-lors il prête le flanc de par - tout : encore un coup ce n'eft pas fa faute. Il eft cependant vrai de dire que les matières d*une importance abfolue ne devroient jamais être traitées légèrement. Quelques Au- teurs profonds nous ont donné des Précis en différents genres qui font des tréiors. Ce neft pas la grof- feur du volume qui fait le mérite de Touvrage ; mais il faut avoir connu fa matière à fonds , l'avoir confîdérée dans tous fes rapports & comprife dans toute fon éten- due" , pour pouvoir la traiter en peu de mots 5 c'efl: alors un chef- d'œuvre de main de maître, & non des périodes de déclamateur. Qui donc ici , par exemple , abandon- nant les points de critique cho-^ quants pour Tamour propre de TAuteur , lui faifant grâce fur le fautif des citations , fur le défordre de la Dialedlique, fur le déplacé de certaines plaifanteries ameres & injuftes > fe feroii reietté fur Aij I 4 Traité de la Population. les vices du fonds , auroit eu en- core trop à dire. Vainement eût-il démontré à TAuteur qu'il combat une chimère , puifqu'en France la NobleiTe & les plus grands Sei- gneurs commercent, non-feulement de leurs denrées comme tous autres poiTeffeurs de fonds , mais encore en s'intérelTant aux entreprifes de commerce tant extérieur quinte- rieur que font les négocians & les entrepreneurs en titre ; qu'indépen- damment de la NoblefTe le Corrir merce ne manquera jamais de fu- jets , quand il fera riche & appuyé, puifque la finance qui eft certaine- ment moins honorée au fond , en regorge ; qu il n'eft aucun axiome de politique plus confiant que ce- lui qui dit que tout état & profef- fîon verra le nombre des fujets qui la cultivent s'accroître eh propor- tion de ce qu'elle leur fournit des îTioyens de fubfifler j à telles en- feignes que les délateurs & les bour- reaux , métiers en horreur , font néanmoins en bien plus grand Commerce. 5 nombre fous les tyran3 que fous les bons Princes. Toutes ces rai- fons,dis-je, & mille autres feroienc fuperflues 5 je me contenterois de demander à l'Auteur , s'il a fenti que Ton fyftême tendoic invinci- blement à renverfer tous les prin- cipes fondamentaux de la Monar- chie 5 & à leur en fubftituer d'au- tres. Je doute qu*il convînt du faic, NoWeflTe mais je ne ferois pas en peine de <^omii;ercan- le lui prouver lelon \^% principes deUncive établis dans le dernier Cliapirre fpécuiarion. de ma première Partie , & par quel- ques conféquences plus étendues qui fe pré Tentent en foule à l'ap- pui de cette démonftration. Sans doute qu'après cet examen ilcon- viendroit avec moi que Tefpritfeul ne fuffitpas pour traiter les rnatières politiques, & qu'il faut pour cela beaucoup de connoiHances & d'ex- périence mûries par de profondes réflexions. Il eft plus que poflîble , & même apparent que je voye louche &: trouble ; mais certainement , fi je me trompe fur la nature des objets A iij ^ Traité de la Population, dont je traire , ce ne fera pas pour avoir négligé de les confidérer fous toutes les Faces. Ma première mé- thode d*érudition fut ( ainfî , je crois, que celle de bien des gens ) d'ap- prendre d'abord les grands mors pour en pouvoir parler vaguement comme les autres. J'ai voulu con- iioîcre enfuite & déterminer le fens & retendue de leur fignification , ôc cette féconde étude m'a fait fen- tir qu'on apprécie ou déprime d'or- dinaire arbitrairement les chofes en proportion de ce qu'on les con- iioît moins. Cette ignorance & cette confufion fur la nature des objets Ôc fur leur étendue m'a paru venir fur-tout de ce que le premierpoinc de vue fous lequel on les envifage eft vague & trop étendu , d'où re- faire que l'étude qu'on en fait en - fuite , n'aboutit qu'à les compli- quer & les embarrafTèr. La route la plus apparente de la vérité eft donc de fimplifîer les objets & de les reprendre à la racine , & c'eft à cette troisième partie de mes études que j'en fuis depuis long- Commerce, 7 temps. Qu'on me permette de tranf- crire ici mes thèmes fur l'article du Com?r.erce. Qii'cn:" ce que c eft que le Com- merce ? Le Commerce efl: le rapport rrcorcîe de utile & nccefiaire de tout Erre fo- f:ZJV^ 11 r r t 1 1 1 -n Darure du ctable avec ton iemblable. En ce commerce. fens le moral eft de Ton territoire ainfi que le phyfique , & tout efl Commerce ici-bas. Qiielle eft l'ancienneté du Com- merce ? Auffi-tôt qu il y a eu deux hom- mes , il y eut entre eux un com- merce réciproque de fervices & d'utilité , & Jamais il n'y eut de fociété fans commerce. En ce fens quelle a été la marche du Commerce ? D'homme à homme il créa \q% familles "*, de famille à famille il forma les fociétés*, de fociétésà fo- ciétés il reunit les Empires ; d'Em- pires à Empires il rapproche le monde entier. Dans l'état aduel des chofes A iv s Traité de la Population, combien y a-t'il de fortes de Com- merce ? Deux principales , à fçavoir le Commerce intérieur , & le Com- merce extérieur ou étranger \ le premier établit & maintient la fo- ciété entre citoyens , le fécond la lie de nation à nation. Quels font les rameaux du Com- merce intérieur ? Les voici. Les mœurs, ufagesj & préjugés nationnaux , les loix politiques qui font les rites .& en- gagemens généraux _^dont on com- pofe le droit public d*une nation , les loix civiles ou engagemens par- ticuliers qui fixent le fort de chaque individu , & leur afTurent la pro- priété ou rufufruit de leurs droits refpedifs ; l'échange enfin qui com- prend différents objets , comme la Finance , le Commerce proprement dit , les ManuFaélures & tous autres rameaux de rinduflrie. Qiie refte-t-il donc au Commerce extérieur? Précifément tous les mêmes Commerce* 9 objets , mais déterminés plus en grand , & fans lefquels le repaire des tigres & des lions feroir moins dangereux pour une fociété d*hom- mes, que ne le font Tes voifins. Pourquoi donc dit-on que cer- taines nations ont méprifé le Com- merce , & que d'autres l'ont eftimé & cultivé ? Ceux qui parlent ainfi confondent les êtres 5 & ne comprennent fous le nom de Commerce qu'une de fes dernières fubdivifions. Je vous l'ai déjà fait voir , le Commerce proprement dit , & comme on l'entend ordinairement ^ n'eft qu'un des rameaux de l'échange qui n'eft lui-même qu'une des der- nières branches du Comm.erce in- térieur, à fçavoir l'échange dufu" perflu contre le néceifaire j mais celui-ci fe fubdivife encore» Ec comment ? Je divife l'objet général compris fous le nom de Commerce pro- prement dit 5 félon l'ufage courant , en éeux branches principales , à fçavoir Commerce de propriétaire 3 Av I I o Traité de la Population. qui eft réchange que fait celui-ci de Texcédent du produit de fou fonds contre les chofes qu'il ne lui fournit pas , & dont il a befoin; & le Commerce de mercenaire qui trafique du produit d'autrui , & qui trouve fa fubfiftance & fbuventde gros gains en n'étant que l'entre- metteur de réchange. Les PuiflTances qu'on dit avoir négligé le Commerce, font celles qui n'ont ni protégé ni excité le Commerce mercenaire-, celles qu'on appelle puiiTances commerçantes au contraire , font celles qui ont re- gardé cette portion du courtage & de Vagio comme le principe de la profpérité d'un Etat , & qui en con- îequence ont tourné de ce côré-là la principale attention du Gou- vernement. Ainfi donc vous voyez qu'on a pris dans cette définition la partie pour le tout , & que dire de telle nation qu'elle n'a point de Commerce, parce qu'elle néglige ou le Commerce maritime, ou les manufadures, ou la banque, c'efl: errer à peu- près comme fi l'on con- Commerce, ii cluoil de ce qu*il y a des hommes fanguins , que ceux qui ne le font pas, nonc point de fang dans les veines. J*imagine que le Lecteur en fçaic aflTez fur le cours de mes études , je lui ferai donc grâce du refte de mes thèmes ; mais ce que j*en ai tranfcrit ici éroit néceflaire , en ce que par rexpontion de ma façon d'envifager le Commerce fous im point de vue général , on CQnzjX pourquoi je vais toucher dans la fuite de cet Ouvrage prefque routes les cordes de Tharmonie politique. A regard du Commerce propre- ment dit , refïort toutefois d'une importance abfolue dans un Etat, il fe trouvera partout fous mes pas comme objet principal , mais qui doit être écayé de tous les antres. Nous allons entrer dans le détail des moyens d'étendre la Popula- tion par les reffources de Tindurtrie ; mais je ne perdrai pas de vue mon principe , que je réduis en une comparaîfon étrange , mais expref- five, A v| 1 1 Traité de la Population, 1,'Etat eft L'Etat efl: un arbre , les racines cfnt'rAgrt* ^o»f l'Agriculture , le tronc el: la cuicare , les Population , Ics branchcs fontl'ln- branchesi'in- duftne , les feuilIcs font le Com- duftrie , les j* o i a feuilles , le mcrce proprement dit & les Arts. Commerce C'eft de fcs raciiics que l'arbre tire htTiiî» ^ ^^ fuc nourricier j elles jettent une infinité de rameaux & de chevelées même imperceptibles , qui tous at- tirent fa fubftance de la terre y cette fubftance devient fève , le tronc fe renforce & Jette à une cer- taine hauteur une quantité de bran- ches qui, lorfque la fève eft abon- dante , profperent en proportion de la vigueur du tronc , ^ font tellement vivifiées qu'elles (èmble- roient pouvoir fe paftèr des racines dont l'opération & le travail /ont il éloignés , que le rappprt en eft prefqo'inconnu aux branches; mais îî quelque caufe funefte venoit à les déranger , la branche ingrate fe- roit la première à fe refftncir de la langiicur qui fe répandroit dans l'arbre entier. Le fuc alimentaire finit fa courfe par la production à^s feuilles , qui font la partie de Commerce. 1 5 Tarbre la plus brillanre & la plus agréable , qui' lui Tonc ncceffaires comme étant propres a recevoir & atcirer les influences de la pluie & de la rofée , fecours étrangers au fol naturel , mais favorables à la nutrition & profpérité de Tar- bre. Cette partie brillante cepen- dant efl: la moins folide , & la plus expofée aux coups de l'orage. Le haie fuffit pour la defifécher & la détruire. Cependant cette impreiïîon étran- gère n*a qu'un temps , & fî les ra- cines conîèrvent leur vigueur , la fcve répare bientôt le défordre , de nouvelles feuilles pouflent de toutes parts & remplacent celles qu'une influence maligne avoit deiïéchées j mais fi ce défordre extérieur arrive par une caufe interne , fi quelque infedle ennemi a piqué les racines dans les entrailles de la terre , Tar- bre languit , les feuilles fechentfans refiburce. Vainement attendroit-on que le foleil & la rofée vivifîafiTent ce tronc defféché , c*eft aux racines qu il faut porter le remède 3 détruire î4 Traité de la Population, îe ver , rafraîchir les racines encore faines , leur fournir fengrais nécef- faire , leur donner moyen de s'é- tendre Se de fe rétablir , fi-non Tar- bre périra. Il en eft ainfi du corps politique : un Etat qui a un produit conîidé- rable & qui fe trouve affaiiTé par quelque caufe étrangère ou inter- ne 5 ( car prefque toujours ces deux concourent enfembîe) ne fe relè- vera ni par le commerce ni par les arts ; c*efi: arrofer Tarbre par les feuilles. Il faut connoître le mal au tronc 5 la Population j & cher- cher le remède dans les racines, V agriculture. Mais comme c'efi: pour nous que je parle , & que nous fommes moins âffaifTés 5 quoi qu'en penfent les Etrangers, que fur le point de le devenir , prenons d'un autre fens notre corn par aifon. Il arrive prefque toujours qu'un arbre planté en trop bon terrein , Se dont la fève efl: trop adive Se vigoureufè, iette dans le temps de la réproduûion plus de branches Commerce, i y qu'il n*eii fçauroit nourrir en pro- portion de les forces 6c du terrein qui fournit à fa fubfiftance. Si un jardinier habile ne retranche de ces branches gourmandes pour con- tenir la fève & perpétuer la durée de Tarbre, bientôt cette profpérité apparente delTéche le tronc jépuife les racines , & l'arbre languit & meurt. II arrive encore qu'un jar- dinier imprudent , ambitieux ou forcé par les circonftances , aura mis au pied de Tarbre un engrais trop brûlant & Taura pouffé à dou- bler de fève & d'efforts. Cet arbre dans le temps aura donné une ré- colte précoce , brillante , & aura étonné par fa finguliére fécondité; mais épuifé par cet abus de Tes forces, il languit enfuire vifible- ment. Si femblable aux Orientaux , qui après s'être animés par de l'o- pium, fe trouvant affaiffés par les fuites de fon effet en reprennent une plus forte dofe , & paffant ainfî de réveil en réveil en viennent à s'abrutir pour toujours , le jardi- nier ravive fon arbre par les mêmes î 6 Traité de la Population. moyens qui Tavoient exciré la pre- mière fois, il fe procurera encore deux ou trois fauifes récoltes 5 au bouc derquelîes Farbre périra. Prenons que cet arbre foit Tan- cienne Efpagne : (î cet Etat eût eu des voifins, il n'en feroic plus par- lé ; mais fi nous confidérons la perte de tant de poiïefîîons qu'il avoit en Europe, rétabliiïemenc dans Ton fein d'un petit coin de terre en Royaume, ifolé de tout autre con- tinent que du fien , fa décadence en un mot , à la fin du dernier fiècle , nous pouvons dire , il mow^ rut. Les fots & \t% enfans diront : c'efl: Texpulfion des Maures, c'eft rinquifirion , ce font les Moines ; & le vrai Politique dit : Vor dw Pérou fut la chaux au pied de Tar- bre. Le jardinier imprudent & am- bitieux fut Philippe IL il boucloit l'Italie &■ y régnoit prefque comme en Efpagne , corrompoit l'Alle- magne , bouleverfoic la France , envoyoic fa flotte invincible en Angleterre, cela fut beau: l'arbre tomba en langueur. Tout ce qu'y Commerce, ij fçurent Tes fuccefleurs fut de faire venir de la chaux des Indes pour ranimer de nouveau rEfpagne mou- rante; & tant a été procédé que les mines la dépeuplèrent , & que malgré le génie tenace , tranfcen- dant & fait pour le grand , de la nation , ce ne fut plus qu un ca- davre . Je fuppofe que les Efpagnols, femblables au caftor , fe fuffent re^ tranchés volontairement ce que les nations avares cherchent avec tant d'avidité à leur enlever, qu'ils euf- fent fermé tous leurs ports , & que loin de vouloir retenir Tor , ils n'eufifent laiflfé fortir que cela de chez eux : bientôt ces pirates civi- lifés qu'on appelle nations com- merçantes 5 les auroient abandon- nés, & l'on n'eût plus vu d'autre Commerce en Efpagne que la com- munication intérieure , & le troc du produit d'une Province avec celui d'une autre Province. Toutes les commodités de la vie les euf^ fent fui d'abord ; je le veux , en fuppofant qu'il n'y eût plus cheas 1 8 Trahi de la Population, eux aucune forte de manufadures , ce 'qui n'efl: pas exadement vrai à beaucoup près : mais au fond, au- roient-ils pu moins avoir de ces commodités, que leur dépopula- tion & leur foibleife réelle ne leur en lai Hoir. Ce peuple privé d*or Se de com- merce étranger , n'eût plus été vexé pour la perception d'impôts qui ne pourroient avoir lieu , faute de repréfentatif de ces /brtes de levées. Dès lors tous fe fudènt vu forcés à travailler pour vivre, & tout au- tre objet de travail leur manquant, il eût fallu cultiver la terre. Le fol & le climat font admirables , toutes les productions nécefiaires pour l'aliment & pour les commo- dités de la vie y font communes & d'une nature excellente. Les grains & les fruits y font bons , les foies prefque dans leur climat originaire , les laines de la pre- mière qualité , &c. Bientôt ils fuf- fent venu à bout d'ouvrer eux- mêmes toutes ces chofes : le cul- tivateur , le padeur , l'ouvrier & Commerce, 1 9 le débitant, tousauroient vécu fur le produit de l'Etat ; d< malgré i'In- quifirion , Moines , poux &: guitar- res , bientôt cette fertile contrée auroit contenu autant d'hommes qu'elle en pouvoit nourrir. On ne doute pas, je crois, qu'en cet état tout ce continent n'eût été bientôt réuni , Se qu'attendu les pré- tentions de la Maiion régnante alors en Efpagne , \qs vaftes Royau- mes de Portugal & des Algarves ne fulTent venu prendre leur coin dans récuiïbn d'Éfpagne auprès de ceux de Grenade & de Léon. En cet état , fi le Roi d'Efpagne n'eût été connu & redouté au loin que par fa fagefïè & le bonheur de vivre fous fes loix , du moins il eût été chez lui le plus tranquille & le plus inattaquable de tous les Souverains. Ces Puiffanees mari- times' qui prétendent enchaîner le mxDnde entier en envoyant des hom- mes dans des boétes menacer la terre de cracher defTus , n'euflTent ofé feulement regarder fes côtes le Traité de la Population, auffi redoutées que le fut jadis Tifle des Cyclopes. La population étant une fois portée en Efpagne au plus haut point qu'elle peut aller, relative- ment au produit de Ton continent ; ( & qui fçait évaluer à quel point Ja population peut porter le pro- duit des terres \ ) s'il eût pris envie au Roi d'Efpagne de nourrir un plus grand nombre d'habitans aux dépens de l'étranger, c'efl-à-dire , du produit de leurs terres , il pou- voit ouvrir Tes ports à tout vailTeau apportant des denrées , & n'expor- tant en échange que des matières ouvrées dans les manufadures d'Ef- pagne. Perfonne n*y fût venu , dira ton. En ce cas, le pis aller eût été d'être comme Ton étoit , mais on peut s'en fîer à la cupidité du commerce. Les ouvrages de manufaâiures établies chez une nation très- peuplée Se qui a peu d'argent ,' fercent infiniment à meilleur marché que dans tout le refte de l'Europe inondée d'or, ôc Ton accourroit les enlever dans Commerce, i r refpérance de les revendre avec profit ailleurs. Je fçais que le Com- merce apporceroîc peut - à - petit Tor ôc Tes incoavéniens , & que la profpérité apparente prendroic la place de la profpérité réelle , jurqu^à ce qu'on en revînt à fermer de nouveau les porcs 6c retourner à la terre. Mon intention n*efl: pas de pouf- fer plus loin cette indu6tion idéale ; mais elle fuffit pour faire com- prendre que le principe invariable d'où je pars , Ôc auquel je revien- drai fouvenr , efl que c'ed la racine de l'Etat qu'il faut cultiver & aman- der fans ce(fe , que les branches doivent être proportionnées au tronc 5 Se qu'il n'appartient qu'aux plantes aquatiques & marécageufes de s'étendre en feuilles flottantes & fans appui, tandis que le tronc efi: nul , Se que les racines ne tien- nent à rien. 21 Traité de la Topuladon. CHAPITRE II. Circulation» ENtrons dans les détails relatifs à la Circulation : c'eft Tame du mouvement intérieur fans le- quel un Etat ne peut fubfiffcer. L*im- portance de l'objet doit me faire pardonner la longueur des dé- tails. Un grand Etat fe fonde par \qs conquêtes & réunions , mais il ne peut fe foûrenir que par les rap- ports & liens intérieurs. Un Etat fondé par les conquêtes n'eft autre chofe qu'une étendue de pays, où Ton a fléchi fous la loi du plus fore en fa préfènce ^ & où l'on obéit en fon abfènce par la crainte de fon retour. Dans cette façon d'être il n'y a de repos ni pour le maître ni pour les fujets , & cet Etat forcé ne dure qu'autant que la crainte fubfifte , ce qui , vu la viciflîtude Circulation, 2 5 des cHofes humaines , ne fçauroic éfre trop long. Tout Conquérant, ou s'efl faic aux Loix & ufages des pays con- quis, ou y apporta celles du ficn, ou a été Légiflateur lui-même , ou femblable à un torrent qui emporte tout dans fa ccurfeja difparu fans laiiFer de traces que Tes ravages. Cirus & les Tartares conquerans de la Chine ont été dans le pre- mier de ces cas ; les nations du Nord qui ont détruit TEmpire Ro- main 5 dans le fécond-, les Incas , Charlemagne & quelques -autres , dans le troifîéme j les ScheriFs & tant d*autres barbares , dans le der- nier. Nulle autorité ne peut avoir de fondement folide que dans l'avan- tage de celui qui obéit. II ne faut pas avoir beaucoup approfondi l'hiftoire du coeur humain & les annales de l'humanité pour conve- nir de ce principe. On voit par- tout que les vices , quoiqu'ayant des fuccès qui leur font propres 3 n en eurent jamais que de pa0à- 24 Traité de la Population, gers i que la violence , la cruauté , la fraude , la corruption , Tavarice rçtombent toujours fur leurs au- teurs 5 à moins que les hommes ambitieux que ces vices ont éle- vés, n'ayent , pour fe conferver, mis des vertus en ufage. A parcourir l'Hiftoire entière , Cromwel fe trouve le feul fcélérac heureux jufqu^iu bout \ mais fi l'on veut confidcrer combien cet homme célèbre &c facile aux grands crimes fçut fe maîcrifer fur les petits , quelle police & tranquillité inté- rieure il entretint dans l'Etat ; fi Ton veut voir en lui l'homme ja- loux de la gloire de fa nation , éclai- ré fur fes véritables intérêts , pro- teéteur du Commerce & des Co- lonies j maître de Dunkerque , au- teur du célèbre Aéle de Naviga- tion &c. on conviendra que Crom- wel parvenu par des vices , fe main- tint par des vertus. La force , la juftice , la généro- fîté j la douceur fondent au con- traire un Empire durable Se fur ; & pourquoi ? C*eft que nulle autorité ne Circulation. li ne peut avoir de fondement folide cjue dans Tavantage de celui qui obéit. La force & lajuftice fur-tout établifTent cet avantage-, elles pro- mettent protedion &: fûretc. Aufïï loin qu'un Gouvernement peut étendre ces deux chofes , il peut fe promettre un empire durable ; mais où fa juflice ne peur atteindre, fon empire s'arrête auiïî , ôc s'il veut régner au-delà , ce ne fera que fur des déferts. Cell ainfi qu'en établi (Tant des principes généraux ,^on viendroic à bout de fixer l'efprit humain fur les objets mêmes , de dans lesfu]ers les plus propres à fournir matière aux courfes idéales de l'imagina- tion. Le principe cidefTus , par exem- ple 5 fera comprendre pourquoi la France moderne a cru en puiflance en croifTant en étendue , 6c pour- quoi la France ancienne perdit (î promptemeut fes conquêtes en Ira- lie , en Efpagne & en Allemagne ; pourquoi les branches de la Mo- //. Partie. B I i6 Traité de la. Population, narchie d'Efpagne lui ont coûté la fànté du corps j pourquoi le Prince de Piémont feroit mille ans Roi de Sardaigne , fans être plus fort que d*un titre, &c. Par-là les nations de l'Europe pourroient prendre des vues juftes fur la nature & le rap- port de leurs colonies avec le corps de l'Etat , fur l'importance & la nécelTité de ces colonies , fur les loix qu'on peut & doit leur impo- fer.. . . & la plupart de ces vues fèroient peut-être le contraire de celles que la cupidité & le préjugé ont établies chez les nations même les plus éclairées fur l'intérêt. Re- venons. La force Se la Juftice donc peu- vent feules maintenir un Empire, parce quelles établi (Tent feules pro- tedion & fureté. On fçaic en quoi confiftc la force; mais on varie fur la juftice, ou du moins avec des notions claires & même diftinétes fur cette vertu , Ton femble igno-, rer ce qu elle exige refpectivemenc des diffirents membres du corps politique. Circulation, iy La juftice que le Souverain doit Dette ref- à foii peuple neft autre chofequa- ^ ^^ mour , protedion contre Tétranger , peuple. jugement & police entre citoyens. Le peuple doit à fon Prince amour réciproque , refped & foumilïion. Voilà toute la dette refpeclive. L'Etat où elle eftle mieux acquit-; îée , eft le plus puiflant de tous , hors même de toutes proportions d*autres avantages phyfiques. Mais fuppofet que ces chofes aillent d'elles-mêmes , c'eft établir la République de Platon. Le Prince ne peut payer fa dette que par une vigilance & une attention conti- nuelles. Le peuple ne peut s'ac- quitter que par une fubvention qui mette le Prince en pouvoir de foû- tenir les charges de l'Etat , de fe faire craindre des étrangers , & re(^ peâ:er au-dedans. La circulation de ces deux paye- mens , à fçavoir protedion d'une part, & fervices de l'autre , doit lans ceiïe être en mouvement du centre de l'Etat à Tes extrémités les plus reculées \ c'eft un principe Bij 2 § Truiîé de la Population, mathématique du droit public. L*or & l'argent font aujourd'hui le re- préfentatif prefqu unique de cette circulation y c'eft uniquement aufïï ce qu'on confidere aujourd'hui; Qu'il me foit permis d'embraflfer plus d'objets dans mes raifonne- mens. Il eft certain qu'on ne voit & calcule maintenant la circulation que dans les métaux , & c'eft à bon droit. Le Prince paie en argent ceux qu'il entretient pour le fervice de fès peaples : lé peuple fournit en argent le fervice qu'il doit à l'Etat ; il ne doit donc plus être queftion que d'argent. Il faut avouer même que ce truchement univerfel frappé d'une marque commune , dont le tranf- port 3 aifé de foi même , eft deve- nu de la plus grande facilité par le moyen des lettres de change , a plus fervique tout le refte à lier & mettre en correfpondance un grand nombre de fociétés d'hom- mes 5 & par conféquent à former de grands Etats. circulation» i^ Si Por eût été commun en Alle- magne 5 avant que les différentes Maifons qui Tont divifée fulTenc parfaitement établies, & que cette forte de droit public & politique , paiticulier à cette finguliére Oli- garchie i devînt préjugé dans la na- tion , je doute que la Germanie eue été long temps fans être réduite en Monarchie. Dire Se démontrer que l'or eft corrupteur , c'eft dire qu'il eft ennemi de la liberté. Cet axiome feroit aifé à prouver par les faits , fi je voulois entamer des cita- lions hiftoriques. Il efl: uu peuple ardent & en- thoufiafte qui fuit avec fureur deux chimères; l'une eft la liberté donc il eft eiclave plutôt qu'amateur , l'autre le commerce qu'il veut en-; vahir tout entier, c'eft-à-dire , at- tirer à foi toutes les richeftes de l'univers. Ceft prétendre allier le feu Se l'eau. Un tel plan ne mérite de la parc des PuifTances menacées qu'une attention exade aux circons- tances du moment , Se le laifter faire. Quand le Chevalier Guil- B iij k 50 Traité de^la Population, îaume Petti avance froidement que ies Anglois peqvenc faire le corn- merce de tout le monde & doi- vent avoir cet objet , je fuis tenté de lui répondre : Les François peu- vent boire toute l'eau qui ejl dans la Manche y & vous aller combattre de pied ferme. Toutes les chofes humaines ont. un période , & le pé- riode du projet ci-deffus , le voici. Sans liberté point d'adivité , fans adivité point de commerce. Votre liberté devoit donc vous rendre de grands commerçans, & vous Têtes* Par le commerce les richelTeSjpac les richeffes la corruption , par la corruption Tefclavage , & dans Tcf- clavage mifere & pauvreté , & point de commerce. Vous y vien- drez, Maures de la mer, ou de vous-même vous ébrancherez votre commerce , ce dont je doute. L'or eO: donc la feule chofe qu'un calculateur puifle examiner en cir- culation 5 mais ne pourrions- nous pas nous fervir encore de certains principes moraux dans cette fpécu- lation ? Le peu de certitude des cal- Circulation, ^ 5 i culs fur cette matière peut du moins nous y aucorifer. Eflayons. Qiioique Tor une fois connu & répandu dans l'Europe (bit abfolu- ment necelîaire dans un Etat pour en animer les refTorts , & qu un corps politique Toit aujourd'hui lan- guiifant dans toute Ton ori^anifation en proportion de ce qu'il eft pau- vre de métaux , il eft pourtant vrai de dire que les Etars ont autrefois fubfîflé fans cela. La dette alors du Souverain ne pouvoit s'acquitter que par à^s prépofés dont l'entre- tien étoit aiïîgné fur les lieux en des prérogatives & moyens de fubiîftance. Dès-lors ces prépofés pouvant fe payer par eux-mêmes, obligés de confommer fur les lieuK pour jouir , & de s*appuyer du confentement des peuples & des prérogatives de leur place , étoienc moins dans la main du Souverain. D'autre part , les peuples ne pou- vant payer leur fervice au Souve- rain que de leurs perfonnes ou de leurs denrées , toutes chofe infini- ment moins tranfportabîes que ne Biv ai Traité de la Population, font aujourd'hui les métaux, n'a- voient de fubvention à payer à l'E- tat que facile par fa nature , & en proportion avec le payement que faifoit le Prince. Pour parler en Change en- termes de commerce , le change tre le Souve- étoit au pair entre le maître & les Tain hc \t% r • • -i / • i -rr Sujets, fujets ; mais il etoit languiflant , rare , & fes rapports prefque par- tout interceptés. L'or 5 fembiablé en propriétés fur le corps politique au mercure fur le corps phyfique, a pénétré dans les différentes veines de ce commerce refpeéilif , & y a établi une circulation libre & facile. Noijs en parlerons tout-à-riieure. Mais n'oublions pas la définition ci-def^ fus , elle eft fondamentale dans la queftion aduelle. Si-tôt que la ba- lance de cette forte de change fe perd dans un Etat, fi c'e fi: le Gou- vernement qui l'emporte, le Gou- vernement devient tyrannie ; ^\ c'efi: le peuple, il dégénère en anarchie ; c'efi: un principe fur, & dont la vériré gagnera toujours à être examinée. Continuons maintenant Circulation, 3 J notre rpécularion. C'eft de ceire forte de comparaifon que naîtra la clarté que je dois répandre fur le plan qui refulre de mes principes. Je fuppofe que dans TEtat privé de métaux , tel que je l'ai établi , le Souverain n'eût point de do- maines en propre, 6c que tous les revenus du fifc fuifent , comme ils le font à peu près aujourd'hui , fon- dés fur la fubvencion fubfidiaire des fujets , cette fubvention ne pour- roit être» comme nous l'avons dit, qu'en corvées & fervices perfon- nels , en grains , fourrages , lins , draps & autres matières de con- fommation pour l'entretien du Prin- ce , de fa maifon , de fes troupes , &c. En cet érat les Provinces éloi- gnées de fa réfidence feroient moins taxées pour les m^igafins Royaux que ne le feroiein les pavs voifns de fon (éjour \ mais d'autre part au(îi elles iouiroienr moins des biens qu2 procure le voifinage du Sou- verain , d'une police exade , d'une attention momentanée aux travaux publics & aux autres «ivantages de Bv ^ 4 Traité dé la Population, k fociéré , des bienfaits du Prince î àes honneurs , des charges, &c. Elles feroient plus à portée des in- vaiions de Tennemi , èz plus éloi- gnées de la protection. Dans le cas jd*inva(ion cepen- dant 5 le Gouvernenaem faifant mar- cher des armées pour les couvrir & les défendre , dès-lors c'eft une partie du Souverain qui fe dé- place en leur faveur. Le change politique , dont nous avons parlé ci -de (Tu s 5 haufTè en faveqr du peu- ple. Il faut 5 pour le remettre au pair que nous avons dit être abfo- îument néceffaire dans ce genre de commerce , que la dette du peuple grofîîlîe & s'acquitte en propor- tion. Cela fè fait tout naturelle- anent : les magafîns , qui n'étoient ci-devant que de la quotité nécef- faire à l'entretien des Officiers de Juftice & de Police employés au Gouvernement , ainfi qu'à celui de leurs adjoints , doivent groffir en proportion de Taugmentation fur- venue par la confommation des troupes qu'il faut dès-lors entre-. Circulation, 5 5 tenir fur les lieux. Les corvées &c autres fervices perfonnels devien- nent plus nombreux, & de proche en proche la fubvention groflît dans la mefure des rapports que chaque canton a avec celui où le Souve- rain fournit la mife. Mais tandis que ces Provinces achètent le bon ordre & la fureté qui vont ecreéta* blis chez elles , les autres phis languîfTantes en l'abfence du Prince trouvent auffi la compenfation aux maux de cette forte de langueur dans le (bulagement que leur pro- cure une moindre fubvention. Cette induction développe le fyflême général d'où il faut partir pour Torganifacion intérieure d'un Etat, qui ne fçauroit vivre fans la circulation. Je le répète , la vraie circulation n'efl: autre chofequele flux & reflux des deux dettes que j'ai anaiyfées ci-defiTus ; dette du Prince , dette du Peuple. L'or a , comme je Tai dit , facilité ce flux &■ reflux, & par conféquent lié les Etats 5 ïjiais au fond il n'eft autre Bvj 30 Traité de la Population, chofe que le repréfenratif de cette circulation. II femble avoir ajouté un moyen de fubfiflance & de richeffe de plus, & plus indépendant que les autres des deux fubventions ci def- fus, en animant le commerce. Je n*ai pas nié qu'il n eût perfedionné les refforrs de rorganifarion poli- tique 5 mais il n'en a créé aucun.. On trafiquoit autrefois par échan- ge; maïs cette difcufîîon eft étran- gère à mon fujet aduel :.il me luiïît d'établir que le commerce n*efl: point d'un ordre particulier dans l'Etat 5 &: qu'il eft, ain(î que tout le refte , alFujetti aux deux fubventions ci- defTus. Que fèroit le commerce fans la prote6liondu Prince ? Ce qu'eft celui de la Corfe. Et d'autre part , que pourroit la rapacité de la finance pour le fifc fans le fecours du commerce ? Rien qu'entafTèr du fang & des ofTemens. Revenons au grand principe établi ci-delTus. La perfeàion de Circulation. ^7 rorganifation politique d*un Etat coniîfte dans le pair du change entre deux places principales , le Prince & le Peuple. L'oppreiïîoii du peuple peut dans les détails confifter dans la forme par laquelle îl fournit fa fubvenricn. La cruauté des Gabelles , l'indéchiffrable gri- moire de Tinquifirion des Aides, font des traces des temps de bar- barie ou de néceiïiré , que l'habi- tude ne fçauroit rendre moins monf^ trueufes a l'examen, aind que dans le fait journalier. Ces chofes ne font pas de mon fujer. Il n'en eÛ: pas moins de fait que Toppredion ne confiée pas en ce que le peuple paie plus ou moins , mais feule- ment en ce qu'il paie plus qu'il ne reçoit. Une Province pourroit ne payer Une Pm- ri'in du tout , & cependant être J'"'" P"^" trcs-mi'erable. La Comte de Bout- riendutoac, pof^ne devint la Franche -Comté &.è;ie ne^^ tous la domination de 1 rJpagne qui voulut s'attacher cette Province ifolée de toutes fes autres polTef- fions , par des franchifes , &c. En 3 8 Traité de la Population. cet état la Franche-Comté qui ne donnoit ni ne recevoit rien , étoic également dans la barbarie & la pauvreté, à peu de chofe près. La France la conquit , la fortifia , la poiiça. Si d*une part les rameaux du fifc s'étendirent dans fcn terri- toire, de Tautre , Tindurtrie Fran- çoife la gagna, de toutes parts. J'y ai vu encore de vieux habitans , Efpagnols dans le cœur, regretter le temps où ils étoient francs de tout , &: même de ralîujettilîènient de fe faire les ongles tous les quinze jours j mais tout en regrettant leur ancienne liberté , & déreftant leurs richelfes modernes , ils ne pou- voient s'empêcher d*avouer qu'ils voyoient plus d'argent en un an depuis qu'ils appartenoient à la France, qu'en trente, tandis qu'ils étoient Efpagnols. Que le vieux Courfier de la fable ait regretté fa liberté, c'efl: chofe fimple \ mais aujourd'hui fes defcendans ne tien- nent rien de cette antique géné- roiité, «Se s'ils fe trouvent en liberté dans un pâturage , ils regagnent Circulation, 5^ d'eux - mêmes récurie , quand le jour baiife. Il cft donc de fait que la Fran- che Comté ne payant rien étoic plus pauvre qu'elle ne Teft aujour- d'hui , chargée comme les autres Provinces du Royaume. Pourquoi cela? Cette Province eft frontière, le Roi y tient des troupes qui y apportent leur paie , & confom- ment les denrées & fourrages du pays. Le commerce protégé là , comme ailleurs , y a pris racine, les barrières avec le refte du Royau- me ont été levées, les grands che- mins établis par-tout facilitent les mouvemens , cette Province de cul-de-fac efl devenue palTage , & a totalement change de face. Or fuppoions que la profpérité vivification de nos armes fût telle que nous ^^'^ ^f ""*" '^^ • rr - I ' \ Bordeaux. en vmliions un lour â conquérir les landes im.menfes qui fe trouvent entre Bordeaux & Bayonne , bien- tôt la domination Françoife y ap- porteroit les mêmes avantages. Il •eft vrai qu'il faua'roit ici quelques inoyens de détail de plus qu'il n^en 40 Traité de la Population. a fallu dans la Franche Comte , TAIface , &c. Ces provinces éroient peuplées & abondantes en produit, il ne falloit que les faire à nos mœurs &: y exciter i'induftrie. Dans les landes au contraire incultes, & par conféquent défertes , il faut créer des hommes , & ce qui s'en- fuit, la fertilité.. Mais, les mêmes moyens à peu- près produiroient , avec un peu plus de temps ^ les mêmes effets. On commenceroit fans doute par ouvrir & afllirer deux grands che- mins pour les deux grandes routes principales qui traverfent ces dé- ferts ; fongeanr enfuite à en vivi- fier rincérieur &c à multiplier les débouchés , on éxamineroit (ur cette côte aride & dangereufe les diffé- rentes anTes & petits porcs qui peu- vent y être rendus pratiquables pour le cabotage ; on en afïureroic rétabli (Tement par des travaux pro- portionnés , & Ton y attireroit des habitans par quelques petites fran- chifes. Rentrant enfuite dans Tin- terieur des terres, on chercherpic Circulation, 4 î & Ton trouvercit les moyens de donner un écoulement aux eaux qui forment des lacs & des marais tout au long de la côte , & dont Tengorgement retenu Thiver fur la furface de ces plaines fabloneufês rend l'air mal fain. Oi\ defiféche- roit les unes , on réduiroit les autres en canaux. Cela paroît mal aifé dans des terreins de fables mou- vants , mais Vinduftrie Françoife apprendroit bientôt à ces pauvres gens que Timmenfe quantité de pins hauts Se droits dont ces de- ferts font couverts , peut fournir des rondins qui difpofés & liés en- femble foûtiendroient les terres. Toutes ces communications font les veines du commerce qui fe glif- feroit dans le pays , il y préfen- teroit fa fœur la police qui bientôt détruiroit efficacement ce qu*il refte d'ufages barbares parmi ces efpeces de Sauvages. Ces cruelles avaries, où Ton a vu quelquefois courir les Prêtres même avec leurs paroi (îîens pour dévalifer & emporter les dé- bris d'un naufrage , (Se quelquefois 2,4 Trahi de la Population, égorger ceux qui s'en croient fau- ves pour ôter toute trace de fëur crime , feroient profcrites comme elles le méritent , & Ton ne crain- droit plus cesfuneftes parages 5 qu'à caufe des inconvéniens inévitables de la mer. Le produit cîes terres ayant un débouché , on- ne feroit plus con- traint de l'aller chercher au loin , & quelquefois à vingt lieues de fon canton 5 la culture augmenre- roit en proportion , & conféqueni- ment le nombre des habitations. On privilcgieroit quelques ParoifTes pour des foires ou marchés. On. feroit revivre en faveur de ces nouveaux colons un Edit d'Hen- ri IV. fi digne d'un Roi dont la mémoire fera à jamais prccieufe à l'humanité, par lequel il exempte de toutes charges, pour un certain nombre d'années , toute polTeiïîon d'un terrein inculte remis en valeur. Peu-à-peii ,mais trcs-promptement eu égard à l'importance de ce chan- gement, les habitans fe ralTemble- roienc & fe multiplieroient. Ils Circulation, 4 5 oublieroient le fîngulier axiome que je leur ai ouï dire à eux-mê- mes : Sian qui trop dé moundé.din quouejîou pais : Nous ne fommes que trop de monde dans ce pays* ci j 6c ils diroienr, comme difenc par-tout ailleurs les gens de la cam- pagne, qu'il leur manque des tra- vailleurs. L'on en viendroic enfin jufqu'à établir de petites manufaélures pro- pres à la confommacion jdu pays. Elle y eO: fi bornée qu'il ne faut pas fuppofer une forte induftrie ni des fonds confidérables pour y fuf- fire , Se c*eft toujours un grand bien pour un pays pauvre démettre fous la main de l'habitant ce qu'il ne peut s'empêcher de confommer. Or toutes ces choies une fois éta- blies Se achevées infenfibiement , la finance qui fuit toujours Se doit iuivre le commerce & la police , la finance , bon vaîet Se mauvas maître , trouvera de quoi glaner fans déraciner , Se le Prince fera content d'avoir conquis une belle province au-lieu d'un défert. 4 4 Traité de la Population, Si quelque vieillard acariâtre fe rappelloit que iadis ils ne payoient que quarante fols de denier de pied de taille ^ comme on parle en ce canton 5 au -lieu de douze livres qu'on en payeroit alors , que fa Paroifle n'étoic impofée que pour vingt arpens , parce qu'il n'y avoit que cela de cultivé, au-lieu qu'elle le feroit pour deux mille aujour- d'hui ; s'il en concluoit qu'une pa- roiiTe qui au -lieu de vingt livres par an feroit cottée pour .14000 livres , eft étrangement vexée ; on feroit en droit de lui répondre : oui 5 mais vous alliez nuds pieds Se couverts de haillons auiïî ufés que vos barets , & vous êtes mainte- nant vêtus & chauffés j vous cou- chiez dans des chaumières de bran- chages, & vous habitez de bonnes maifons ; vous étiez feuls & expo- fés aux attaques des loups , vous êtes actuellement dans une Pro- vince peuplée 5 policée , vivante 5 l'air chez vous étoit mal faîn , les eaux mauvaifes & croupilfanres , la nature y étoic racornie , les beC- Circulation. 45 tiaux & les hommes petits &c ne parvenans jamais à la vieillefle. Tout cela eft maintenant réparé ; il eft jufte de reconnoître tant de fignalés fervices , il efl néceiTaire de foûtenir la main qui vous a tant gratifiés. Tout dans Tunivers, à commencer par la Divinité , exige un tribut en reconnoilfance de Tes bienfaits. Mais qu'on ne s'y trompe pas , & à cet égard je reviens à mes anciens principes que je n'ai jamais perdus de vue , ce n'eft qu'en fon- geant aux moyens de fubfîftance qu'on peut établir la population. En vain eût-on reçu dans ces landes les huit cents mi'le Maures qui, dit- on 5 \es demandèrent du temps d'Henri IV. & dont nous avons parlé ailleurs ; ou cette énorme peuplade excitée par la nécefîîté auroit fait toutes les chofes que je viens d'énoncer , à quoi il y a grande apparence , ou elle eût péri promp- tement dans ces défères , ou elle fe fût difperfée dans les Provinces voifines. Sans fubfîftance point de 4^ Traité de la Population, population , fans populaiion point de fubfilîance. Vous , qui ne cher- chez que Targent fans prendre garde où il va ni d'où il vient, vous êtes les vrais miniftres du cahos. Vmfication Poufîbns plus loin nos conquêtes , du Berri. ^ femblables à Pirrhus , fans nous arrêter, joignons encore au corps du Royaume le Berri. Cette Province il peuplée du temps de Céfar efl: aufîî dans le cas de pouvoir y être réunie, fans qu'une trop grande ex- tenfion des membres relativement aux proportions du corps, nous la rende à charge plutôt qu'à profit. Celle-ci même a tous les avan- tages du fol que l'autre n'a pas. Elle n'efl; point à la vérité Province ma- ritime, mais bordée par la Vienne & cette admirable Loire , traver- fée par le Cher & coupée de plu- fleurs autres petites rivières : elle a toutes les facilités pour le com- merce qui font réfutées à la pre- mière. Entourée d'autre part de voi- fîns induftrieux ou du moins plus vigilans, tels que les gens du Li- moufin, de la Marche , du Niver- Circulation, 47 nois, drc. elle eft d*ailleurs, quoi- que fmguliérement dévaftée quant à la culture des terres , peuplée , orné^ de villes , villages & beaux édifices tout autrement que ne le font les landes. Cependant la vivification inté- rieure y manque abfolument, & tout y. efi: couvert de brandes & de forêts qui n'ont aucun débou- ché, tandis qu'on manque de bois prefque dans tout le Royaume. Bien àt^ gens éclairés ont été à même de voir cela. Interrogez-les fur cet article, ils conviendront du fait, & n'en donneront d'autre rai- fon que celle qu'ils ont apprife fur les lieux , à fçavoir que les gens du pays font d'une ineptie & d'une pareiïe dont rien ne peut les tirer. En cela leur génie eft différent de celui des habitans des landes qui, quoique gênés en tout fens par l'ingratitude du fol , ne laiflènt pas d'avoir leur forte d'induflrie & d'aélivité. Quant à la parefTe , je ne nie pas que ce ne foit un grand mal , fur-tout quand elle vient de 4i Traité de la Population, ia mifére , ou qu elle la engendrée , car l'invincible parefiTe des Sauvages n'eft: point celle-là. Laiiîbns à des hommes fertiles en paradoxes & ingénieux dans Fart de les faire valoir, à difcu- îer la queftion , s'il efl: néce(îaire ou non pour le bonheur de l'hu- manité 5 qu'elle foit civilifée & né- cefîîtée au travail. Nous traitons de la profpérité d'un Etat , & con- féquemment il faut commencer par mettre en fait que tout ce qui tend à fa diilolution , ne peut que nuire. En fuppofant donc que le peuple Berrichon foit de fa nature inepte & parefTèux , je dis & j'af- firme qu'on le guérira de ces deux maux en unifîant cette Province au corps de la Monarchie Françoife , &c la conduifant feîon les maximes de fon gouvernement. Cette Province eft naturellement abondante en laines , en mines de fer 3 en bois pour leur exploita- tion , & le fera bientôt en grains fi Ton protège le laboureur , & fi l'on ufe d'abord , pour les défri- chemens Circulation, 4^ chemens confiJérables , de la mé- thode d*exempnons portées par rEdir d^Henri IV. donc j'ai parlé ci-defTus; mais ces défnchemcns languiroient bieiuôt fans rérahliiîe- meut des débouchés Ôc la confom- mation iiKérieure. Or comme il ne nous en coûte pas plus ici pour vivifier les Etats que pour les conquérir, voyons ce que le Roi Pafteur , dont je diis le miniftre , feroit dans fa nouvelle acquifition du Berri pour remplir ces deux objets. En commençant par le premier , il étâbliroic d'abord des grands chemins pour les grandes routes , & des communications pour les traverfes , ainfî que d'un lieu à un autre. Mais comme les habitans de cette Province ne font pas en atfez grand nombre pour pouvoir faire eux-mêmes ces chemins , Ôc que d*ailleurs le Roi Payeur regarde- roit ks corvées comme l'abomina- tion de la défolation fur les cam- pagnes , il emploieroit les troupes à cette forte d'ouvrage, & il en ^ //, Partie, G I 5© Traite de la Population, lant de défœuvrées fur les fron- tières, que ceferoit Tafïaire d'une campagne. Conlidérant enfuite (a nouvelle conquête en ingénieur , & entouré de gens à projets , il remarqueroic qu'elle eft au levant & au midi appuyée à des pays de montagnes d'où viennent les eaux, & ouverte au couchant & au nord vers des pays de plaines où elles fe jettent , pour aller fe perdre dans la mer. Il ordonneroit alors qu'on lui tra- çât des 'plans de canaux de com- munication. Les eaux prifes vers leurs foarces moins chargées & moins dangereufes ennaiiTant , raf- femblées dans de grandes retenues , ne s'échaperoient plus à leur vo- lonté, c'eft-à-dire , par la route la plus courte & la plus baffe, mais foûtenues avec économie & por- tées aux lieux marqués , ne per- droienc pas un pouce de pente, qu'elles n'euiTent eu leur objet & leur utilité. Dès- lors les colons voyant à leur porte un débouché fur & peu Circulation, ^t coûteux pour leurs denrées dans la Loire, & de- là dans les Provinces & cantons du Royaume où la con- fommation eft la plus forte & la plus afTurée , s'emprelTeroient à tirer de la terre ces denrées ; &c bientôt la campaf2;ne s'embelliiTant d'une part de cette nouvelle culture , vi- vifiée par la facilité des arrofages, & de r antre par le coup d'œil des chemins & des canaux régulière- ment bordés d'arbres , ofFriroit le payfag.e le plus riant & le plus fer- tile, au lieu des brandes, des ma- rais , & des campagnes féches & pierreufes qui couvrent aujourd'hui tout le pays. x J'ai dit afTez que cet accroiiïè- ment de culture entraîneroit celui des habitans. D'autre part , ces nou- veaux Berrichons fûrement moins indolents que les premiers , ap- prendroient bientôt à fabriquer eux-mêmes fur les lieux leurs lai- nes 5 &c. La protedtion du Roi Pafteur & quelques fecours pécu- niaires ne manqueroient pas pour aider aux établiflèmens de ceux qui Cij !^^ Traité de la Population. s*indu{lrieroient de la forte , & bien- tôt en état de voler de leurs propres ailes , ils rendroient au centuple au Souverain en fubficles peu oné- reux ce que fa bonté leur auroic accordé d'avances premières. Tout ce tableau de vivificarion imaginaire n'ell: point un être de raifon. Des hommes plus que fau- vages dans leur origine , arriére branche cadette de l'humanité , & ne tirant de lumière que de la Loi naturelle bien défigurée , ont fondé un Empire immenfe de la forte. Ils Tavoient tellement gouverné par ces principes , que le pays le plus éloigné de leur Empire leur étoit auiGl attaché que le pourroit être fa banlieue à un petit Prince , & Tavoient confolidé de façon qu'il a fallu l'invafiôn d'ennemis mira- culeux félon leurs foibles notions, jointe aux cîrconftances d'une ré- volution intérieure pour l'ébranler. Je parle de l'Empire des Incas. Qu'on life leur Hiftoire dans Gar^ cilajfo de la Vega ^ ôc qu'on juge après de la vérité d'un de me« circulation, 5 3 principes, à içavoir que les bien- faits font le bras droit de l'auto-* 7 ité, Après cette ébauche tracée d*une partie des foins de notre Conqué- rant , à Içavoir de ceux qui font relatifs à rétabliffement des dé- bouchés 5 palTons à l'autre qui con- c-erne la confommation intérieure. Il eft impoiïîble d'établir le pre- mier de ces objets , fans qu'il en- traîne l'autre tout naturellement. En effet , ce furplus d*habitans à la campagne , de voituriers & gens employés & par terre & par eau à l'exportation , les hommes qui travaillent à l'entretien & exploi- tation des canaux & chemins , cts nouveaux 'manufaéturiers , leurs garçons , tout cela , dis-je, doit confommer dans le pays. Les ha- bitans y trouveront les matières ouvrées nécelTaires à leur entretien , & n'auront pas befoin de les aller chercher ailleurs. En un mot la confommation y fera tout autre- ment adive & confidérable. Mais le Conquérant attentif à C iij j 4 Traité de la Population, multiplier les avantages de fa do- mination en faveur de Tes nou- veaux fujets j ttablira un Parlement à Bourges , pour qu'ils ne foienc pas obligés d'aller au loin cher- cher la juftice qui doit naturelle- ment leur être portée fur les lieux. Dès-lors tout l'argent qui fortoit de la Province pour l'aller chercher , y demeurera. D'une parc nos Ber- richons deviendront bons Juges , & qui eft bon Magiftrat eft iin homme très-précieux dans l'Etat. De l'autre , leurs appointemens quoique médiocres, & leurs cpices plus fortes feront confbmmces dans le pays , ain(î que le produit des griffonnages de cette armée de icorpions qui les fuit , ce qui fera beaucoup pour le Barri , & qui n'étoic qu'une goutte d'eau aux lieux où ce produit fe confommoit au- trefois. Le prix Se taux de toutes ces charges de ^ grande Se petite Magiftrature fera une augmentation de biens pour nos Berrichons , fonds aiïîs fur les terres de Dom Japhet d'Arménie a mais cependant très- Circulation. 5 5 réels des que Topinion publique \qs a conftamment établi tels. Les Collèges , Univerfités , 8c autres établi(Tèmens pour Téduca- tioii de la jeuneffe fleuriront de nouveau , & les habitans du pays ne feront pas obligés d'envoyer bien loin leurs enFans à grands frais pour les élever. Le Gouver- neur & les Ofïiciers Généraux de la Province , obligés de réfider fur les lieux dans les temps où leurs Charges à la guerre & à la Cour ne les obligeront pas d'être ail- leurs, confommeront encore leurs revenus &: apporteront de l'argent. Les troupes employées aux travaux publics , ou en quartier de rafraî- chifTement dans ces fertiles con- trées, y verferont leur paie & leur travail. Telle eft la mife du Sou- verain. Faut-il s*étonner alors fi les fujets la lui rendent avec facilité ? Depuis long-temps les étrangers s'étonnent de voir la France tou- jours inépuifable, tandis qu'ils l'ont vue fi fouvent épuifée. lis nous di- fent arbitrairement gouvernés en Civ j 6 Traité de la Populadon. tous les fens ; & il faut avouer que d'une parc la légèreté de nos pro- pos , de l'autre certains fcandales de dérail , nous donnent alTez Tair £e quelque chofe d'apprcchant. Il eft pourtant vrai que du fein de la tyrannie il ne fortit jamais de ré- furiedlion: ils le fçavent , & c*efl: le principe de leur étonnenient en nous voyant toujours renaître ; mais en voici la rai Ton toute fim- ple : ceft que malgré nos écarts de conduite journalière, nous foni- mes de tous les peuples de l'Eu- rope celui qui s'éloigne le moins des principes de gouvernement ci- deffus établis. Il s*en Faut bien ce- pendant que nous n*y foyons , & que nous penFions même a y arri- ver ; à cet égard mettons la main fur la confcience. Par les indudions ci-defTus & autres femblables , il eft, je crois , démontré qu*une Province peut être impofée dix fois autant quelle Té- toit jadis , ^ être cependant moins foulée; &c que toute l'harmonie de la finance d'un Etat confifte dans circulation] 57 le paîr de ce change fiâ:if que j'ai établi ci-deflfus , & en ce qu'une Province ne paie pas plus quelle ne reçoit. Ceft de_ ce principe , que naît ,a^|™-"^ celui que j'ai fouvenr dit , que 11 diminuer u le Roi me chargeoit du foin de """^/^g fes finances ( ce dont Dieu le pré- ^^^h\n les ferve ainfî que moi , car j'ai toute finances. ma vie eu bien delà peine à gou- verner les miennes ) je ne fçaurois d'autre moyen pour l'enrichir , que de diminuer fa recette & augmen- ter fa dépenfe. Oïï croira fans doute que la langue ou la tête m'onc tourné , je ne réponds pas du der- nier point ; mais c'ed précifémenc ce quei*ai voulu dire. Je diminue- rois la recette aux lieux où la per- ception fe feroît difficilement , <5c j'y augmenterois la dépenfe de l'Etat 5 fauf à retrouver mon compte par une diminution de dépenfe aux lieux où l'argent regorge de lui- même. J'expliquerai ailleurs cette idée plus au long. Ce fecret eft bien (impie ( ainS l'ont été les plus belles & les plus Ct j s Traité de la Population, utiles de nos inventions ) mais il n embraiTe pas moins tout le fyf- lême de la circulation d'un Etat. Quand il faut la force , ou que (i de plus preffants arrangemens Tempêchenc de fujvre cette méthode , il dimi- nue du moins cette recette en pro- portion du reverfement qu'il y peut faire. Car je ne connois bourfe d*où Ton puifle toujours tirer fans y remettre. éB Traité de la Population. L'Auteur des Réflexions Politi- ques fur les Finances & le Com- merce , Livre prefqu'entiéremenc deftiné à combattre un paradoxe de TEiTai politique fur le Com- merce 5 touchant les avantages que ce dernier ruppofe au hauirement àts monnoies , fait un raifonne- ment qui m'a paru terriblement arithmétique. Cet Ouvrage que je crois fort beau , m'a tellement fuf- foqué de millions & de milliards qu'ils me papillotoient devant les yeux, & que mon intelled fem- bîoit être à la table du Roi Midas le jour qu'il eut la faculté de chan- ger tout en or. Il entreprend dans un Chapitre long & raifonne de calculer comment Louis .XV. eft beaucoup plus pauvre que Çqs pré- déceiïèurs. Celafe rapporte aflTez à un certain axiome d'un ancien qui difoit , qu'il ft*y avoit rien de fi fou qui n'eût été foûtenu par quelque Philofophe. Quoi qu'il en foit , celui-ci ne s'en tire pas malj mais dans un état de détradions à faire iur les revenus de Louis XV. il Circulation, €^ commence par cec article - ci, w 1*^. L'Auteur du détail de la «. France dit que François I. avoic a un cinquième moins d'Etats que « Louis XIV. ainiî il faut d*abord 5j déduire pour ce cinquième M 40000000. Voilà ce qui s*appelle une poli- tique bien dépendante de la fcien- ce des nombres. Ne diroit-on pas que la terre efl: un champ femé de livres , fols Se deniers , & qu*en étendant Ton empire , on s'appro- prie auffi la récolte. En ce cas , le Roi de France ne feroit qu'un petit Prince devant le Mogol, le Czar, de le Tartare. Il eft cependant de fait que les annales entières de rhùmanitè ne nous montrent aucu- ne puiilance approchante de celle de Louis XIV. dans fon temps de fplendeur, pas même les Romains. Qu'eil la Hollande fur la carte ? Je dis plus , qu eft la France fur la mappemonde ? Si toute la terre étoit cultivée & vivifiée félon mon fyftême, ce 70 Traité de la Population, qui fait une idée digne de Sir Poli- tick, encore ne leroit-il pas vrai qu'un Souverain qui accroîtroit Tes Etats d*un cinquième, devînt plus puiffant en la même proportion : ceft ibuvent tout le contraire , non- feulement à caufe du peu de convenance de certaines pofîeflîons, car chacun fçait , par exemple, que Tifle de Corfe nous vaudroit mieux que les ifles de Rhodes 9 de Crète & de Chypre enfemble ; mais encore en ce que les mem- bres trop éloignés ou obftrués , & où le cœur ne fçauroit repouffer le fang & le chile néceffaires à la nutrition & répercuflion, ne font propres qu'à épuifer la mafTè & faire tomber en langueur le refte du corps. Prenons une fotme de calcul moins fautive , quoique moins arithmétique. Un Prince efl: puif- fant en proportion du nombre d'hommes auxquels il commande , & de ce que valent & fçavent faire CCS hommes. Pour démontrer cet Circulation» ,yi article , reprenons quelques - unes à^s indudions ci-delTus. Il eft prouvé par les faits , & par ce que nous venons de dire » qu un Prince ne peut rien tirer de fon peuple qu'il ne foit oblige de le lui rendre de la main à la main. Le Roi , félon le Livre d*or dont je parlois tout-à-riieure , a deux cents millions de revenu. S'il vouloir 5 comme tout homme ran- gé , avoir une année de fon revenu devant lui , il cauferoit un étrangle- ment fingulier à la circulation , ou fi ce n eft à la première année , elle feroit du moins totale quand il en auroit amaiïé trois , ce qui pourtant eft bien permis. Quand Tibère eut cette fantai- fie , il fut obligé de remettre de l'argent en circulation en prêtant fur i'hiporhéque des terres. Or un Prince qui prête fur gage , félon le rite du Patriarche Jofeph qui fit faire ce commerce-là au Roi Pha- raon 5 feroit mieux de donner » quitte à reprendre lors du befoin. 72. Traité de la Population, - Ainfi donc le Souverain ne peut recevoir qu*il ne rêver fe , & par confcquent toute la puilTance qui gît en millions de revenus, n*efl: autre chofe que recevoir & donner, & le Prince à cet égard n*a aucun avantage fur le garde de Ion thré- fcr î car nous venons de démonrrer que s*il prend où il lui plaît & donne de même, il ruine tout. Or le pouvoir de mettre le feu à fa maifon ne fut jamais regardé com- me un degré de pui (lance. Mais en fuppofant que cet or fût tout à lui èc qu'il pur en faire ce qu'il lui plairoir^fi faudroit-il qu'il achetât des hommes pour fa gloire ou pour fon plaifir. Or les hommes ache- tés valent la moitié moins pour la gloire 5 & les femmes même pour Le mot ce- le plaîfir. Le mot célèbre de Cirus , [ïhw de Ci- j^^^ fia et S me gardent mes riche f- rusauflijufte ^ i n i r r lue jiobie. j^s _, n elt donc pas li romane Ique que le pour roi t croire un Confeil des finances ; & il eft vrai de dire qu un Roi bien obéi & aimé d'un peuple nombreux & adonné à i*a- griculture , dans un pays où la circulation Circulation, y $ circulation efl: bien établie , oii l*ai- fance eft dans la fccurité plutôt que dans la confommation , où Técono- mie efl: d'habitude , de prévoyance & iamais de néceffitc abfolue, oi\ la police efl: exafle & févére , & où la confiance efl: bien établie en- tre le peuple & fon Souverain ; le Roi, dis- je, d*un tel Etat peut fe pafler d'amaflfer des thréfors , & re- garder comme fes revenus tous ceux de fes fu jets. Pourquoi cela? Cefl: qu'en général les befoins de l'Etat ne font autre chofe que la îiéceffité d'un plus grand reverfe^- ment d'un tel ou tel autre côté , ce qui «e fait au fond qu'une accé- lération de circulation dans ces par- ties là, & un rallentiflfèment dans d'autres parties. Or cette necefïïté ne fçauroit jamais rompre entière- ment l'équilibre , C\ Ton obferve les régies &c la balance établie ci^^ deflTus. Mais , dira-t-on , le Prince a des dépenfes à faire au dehors ca xemps de paix , & plus encore ea //. Partie. D 74 Traité de la Population. temps de guerre j & cette partie qui ne fçauroit être reverfée fur foiî peuple , exige une plus forte balance de fon côté. Pourquoi cela? NVt-il pas aufîî des revenus qu'il tire de Tétranger 1 S'agit-il ici d'ailleurs de la fortune d'un particulier , qu'on peut affu- jertir à tous calculs de dérail ? Le Prince a des Ambafladeurs au de- hors , mais les étrangers en ont chez lui. Il paie des fubfides , mais c'eft à des pui(Tances pauvres & qui rapportent bientôt cet argent , & celui qu elles peuvent avoir d'ail- leurs , pour emporter de chez nous Je fond de leur luxe & de leur confommation. En temps de guerre , c'eft autre chofè. Il eft certain que fi nous avions chez nous des haras en bon état , nous ne ferions pas obligés de faire palfer tant d'argent à l'é- tranger pour remonter la cavalerie , atteler l'artillerie & -les vivres.Quant aux magafins , je ne prêche ici autre çhoiQ que de mettre nos rerrçs en Circulation. 7| état d'y fournir, & de rendre nos communications propres à faire accourir du centre do Royaume à fes extrémités toutes ces fournitu- res avec plus de facilité que nous n aurions celles de l'étranger. Pour ce qui efl: des expéditions éloignées , elles n'entrent point dans mon plaiï : perfonne n*ignore qu elles font rui- neufes , & plus pour les François que pour tous autres. Ce font \qs temps de délire du corps politique; il neii efl point qui n'ait fes ma- iadies. Je fçais que la perfedion des chofes d'ici-bas, autrement dit 5 la République de Platon, efl: \xm belle & folle idée ; ain(î donc i' faut des inconvéniens. Il eft des maladies indifpenfables j mais c'efl: beaucoup que d'en connoître la marche & d*en prévoir les effets. Afin de (bavoir du moins le remè- de aux maux qu on n'a pu pré- venir. La France organifce & vivifiée félon mes principes n'aura guère -d'ennemis à craindre : nous fommes Di! 7<5 Traité de la Population^ aujourd'hui guéris de la manie de nous en chercher. Qiianc à ceux que l'envie de notre profpérité & la cupidité d'envahir le commerce de l'univers pourroit exciter contre nous , peuple fort de génie , de travail , de relTources , & plus en- core de cette vigueur d'ame qui tourne tout en pafîîon , nous ne pouvons rien contre lui à caufe de fes barrières : que pourra-t-il contre nous, quand notre fageflfe voudra nous en fervjr ? Emules autrefois de notre gloire militaire, les An- glois poffédoient alors nos Provin* ces les plus belliqueufes , 6ç fans faire torp à leur valeur toujours reconnue, on peut dire qu*ils ga- gnèrent des batailles par nos Gaf- cons. Généreux d'ailleurç , ils ne nous haïroient pas fi nous étions méprifables , comme ils veulent quelquefois fe le perfuader. Le coup dœil de nos campagnes , Tair miférable Se defféché de la plupart de leurs habitans les irrite Ôc leur f^ïCiudp notre aviliflemenr 5 jinaisj I Circulation, 77 neufTent ils de défavantage, vis à- vis de nous , que celui de regarder la Royauté comme ennemie ou fufpedte 5 tandis que nous lui Tom- mes unis Je m'en confoleraL Si le cœur di- ^i Traite de la Population, Toit encore : La poitrine me cou- yre y il n'ejl pas jufie que fes fuc$ fe tirent de fi loin j &je m en char^ ge, La plante des pieds fe plaint de ce qu'elle ejl mal nourrie dans /on canton _, je m'en charge aujffî. Ce cœur mal avifé auroit inventé les droits de Committimus y &c les évocations. Si un homme en charge fe trouve mieux à la Capitale , qu*il y de- meure j & abandonne fes procès aa lo^n à des agens. Si des Moines prétendent que les Juges du cantoii les tondent de près, c'eft qu'ils ont ceÇCé de l'être de par leur fonda- teur : qu'ils fe fouviennent du mot de S. Ambroi^e : Le premier inté^ rêt de VEglife eflla charité^ 6c ils trouve ont de bons juges par-tout. Je fçais que tout cela eft fort aifé fur le papier , de qu'on me dira que ce n'eft que par de bonnes & fortes rai fous qu'on a fait ces chaiv gemens dans l'ordre civil. Je ré- ponds que les inconvéniens de dé- tail ne doivent point nous tirer des principes généraux , que ce ibat le$ JujUce & Police, ^^ exceptions qui ont ouvert la porte à tous les abus, & que fans répé- ter ici ceux que je viens d'établir, ■ii eft de faitqu'injuftice auprès vaut mieux que juftice au loin ; eh 1 quelle Juftice , bon Dieu ! Je laiflè aux Juges , aux Interprètes , aux Clients à dire ce qu'ils en pen- fent. Le Prince ne doit que ce qu'il peut ; il doit à tous fes fujets la Juftice la plus prompte & la plus commode. Les abus de détail ap^ partiennent à la nature corrompue j il ne tient pas au Souverain qu'A- dam n'ait péché ; mais tous les maux de corruption, de faveur , d'igno- rance, de hâte , d'impuiftànce qui naiftent du déplacement ;tous ces maux , dis - )c , font des vices du Gouvernement. Il ne fçauroit donc trop ré'erver fa vigilance pour les objets principaux, & renvoyer les détails à leur fource. C'eft un des principaux fecrets pour ranimer la population. Il eft , par exemple , des Tribu- naux à qui par leur création oa ^ 4 Traité de la Population, attribua en dernier refiTort les cau- fes jufqu a la concurrence de deux cents cinquante livres : on les a iaifles en cet état, fans penfèr que deux cents cinquante livres d'alors repréfentoient mille livres d'aujour- d'hui 5 & conféquemment on a laifTé rétrécir leur refïbrt des trois quarts. L'accroilTèment d'ailleurs des af- faires 5 par les raifons que j'ai dé- duites, eût du engager à fubdivi- Ter de nouvelles attributions à tous les tribunaux fubalternes plutôt que de leur en retrancher. Le Parle- ment de Paris rend la Jufticeàun grand tiers du Royaume ; le peut- il ? 11 aflTure qu'oui , & je dis que non; plus croyable en cela , parce que j'ai vu fur les lieux dans les cantons de Ton relTbrt les plus éloi- gnés , combien le pauvre eft à plaindre d'être menacé d'un dépla- cement de cent lieues pour aller plaider dans le pays du monde, ou l'argent échappe le plus prompte- ment & le plus néceiïairement des mains d'un étranger. Tous qyi voyez un troupeau. Jiijlice & Tolice, Qu'on prenne garde dou font fortis les gens de lettres , & de cabinet , les artiftes célèbres , qui ont éclairé & illuftré la nation; on verra en général que c*eft des Provinces , où de femblables éco- les animent & inftruifem la jeu- neflè. Mais , dîra-t-on , en proportion Je ce que les Tribunaux fubalter- //, Vanie, E 5 8 Traité de la Population, nés font éloignes de la Jurifdiftioiî fupérieure , ils deviennent plus forts 6 font mieux fervis, & les habi- tans de leur fefTort les regardent comme luges iouverains dans la crainte d'un déplaeement qui feroit perdre également les deux parties. Cela peut erre entre contendans égaux , DU à peu-près ; mais fi-iôc que Tun des deux eft plus fort que l'autre , cette crainte de fa partie eft un avantage pour lui. Or comme le dû de la Juftice eft d'égalifer tout le monde, il fe trouve quelle fait en cela précifément le contraire de Ton devoir. En un mot, tout ce qui attire la Juftice hors des lieux de fon exercice , étrangle la cir- culation & delTéche la Population, La Police eft une autre forte de juftice momentanée, qui eft en- core moins tranfportable de fa na- ture, s'il eft poffible, que la Ju(;. tice réglée, &qui cependant prend parmi nous ia même route. Suppofé qu'on établît un )our dans les Provinces des Prépofés à 1^ Juftice , Police & Finance (ai?^ Jujlice & Police* 9^ tcurs aufn nécelTaires fur le théâtre politique que Técoit la Rancune à la CoQiédie quand il repréfentoit à lui tout feul le Roi , le Miniftre & l'AinbafTadeur , & femblabies aux Mif/i Dominici des Empereurs qui détruifirent tout ordre dans rEmpire Romain , & préparèrent fa chute rapide en mettant au dé- fefpoir les peuples des Provinces) ces gens4àferoient tout dans l'Etat, s'ils étoient ce que porteroient leur titre & leurs prétentions , & il ne faudroit que trente-deux hommes pour gouverner tout le Royaume, Mais fût-ce le royaume des taupes, ils Y (croient bien embarraffés. Dans le lait , ce ne feroient que frelons dans la ruche qui vivroient fur la part d'autrui. Les Cours des Aides & autres de Finance ont un reffbrt naturel pour cette partie , Se dans les cas principaux ( l'on en trouve aifément de tels aujourd'hui en faifi de Finance ) les Compagnies ou troupes de Financiers s'adreffent au Confeil pour délier le nœud Gor- dien. Les Parlemens & autres Eij lOo Traité de la Population: Tribunaux de leur refîorc ont Ta Jjuftke & la haute- Police 5 & quant aux cas particuliers & momenta^ ftés 9 les Provinces ont leurs Offi- jd«rs Royaux & Municipaux , Préj YÔts , &c. Ces Cryfologues feroient donc un hors d*œuvre à tout cela , & tout ce qu'ils pourroient intercepter de ces portions de circulation , ne fçauroit former qu'une loupe énor- me & accablante s'ils étoient ac^ tifs & ambitieux , moindre mai? toujours difforme s'ils étoient tran- quilles & ce qu'on appelle bornés^» Cependant ils fe mêleroient de tous dans le fait,& cette Jurifdidion bot- tée empiéteroic chaque jour davan- tage fur tout autre ordre dejurifdic- tîon.Qu'arriveroit-il de-là? Séduc- tion 5 préfens ^ défordre , murmures^ plaintes telles que la Police enoc- cafîonna toujours ; majs avec la différence, qu'au -lieu que celles qiïi s'élèvent contre les Jurifdidtionç, réglées , font rarement accueillie? delà croyance publique; lamoin- ,drp yoix qui parle contre uij Offis; Jujlke & Police. iôî der ifolé & abfolu , eft fûre d*être accompagnée d'une infinité d*autres par acclamation & par écho. D'ailleurs cette forte de Jurif- didlion , fi Ton venoit jamais à Tap-- peller ainfi, fé mêlant d'une parc des plus petits détails , n'ayant de l'autre de fupérieurs qu'à la Cour ^ întercepteroit néceffairemem tout ordre de Jurifdidions , & ramene- roit prefque toutes les affaires à la Capitale , ce qui feroit précifément la diredion oppofée à celle que nous avons dit qu'il falloit donnée à la Juftice. De- là la défettion des Provinces , d'où ceux qui feroient en état de vivre à Paris fe retire- roient pour toujours , & que ceux qui ne pourroienr transférer leur domicile , quitteroient à temps du moins , & ce temps feroit quel- quefois la moirié de la vie. Il eft même peut-être à confidérer que cette défertion priveroit les Pro- vinces non-feulement de la dépenfe qu'y devroient faire ceux qui s'ex- patrieroient de la forte, à propor- tion du temps de leur abfence , Ei:j Soi Traité de la Poputation. niais encore à proportion de Taug- mentatîon de dépenfès que nécef- fîteroit l'habitation de la Capitale., Je fuppofe : fi l'on veut , qu it foit néce(ïaire que la Cour com- mette la revifion de la manutentioa de la Police & Juflice dans les Pro- vinces à des. ïnfpe(fteurs pafTagers. & amovibles , & en conféquence moins fujets à fe partialifer dan? le pays. J*avertis d*abord que ce dernier motif efl: une chimère. On remarqua en Angleterre que trois mois après Texpulfion du Roi Jac- ques 5 les entrées particulières dut Palais du Roi Guillaume étoient: dévolues aux mêmes gens qui aflîé-- geoient ci- devant le Roi dèthrôné.. Oh ! puifque cela fe trou voit chez. €e peuple infiniment moins Toupie que nous , chez un Prince éclairé éc Cl oppofé de cara6lere & d*inté^ rets à Ion prédécefTeur , on me paflfèra de prévoir la même chofe chez les Officiers que je fuppofe qui dans le fait feroient les Roia des Provinces. De quelle race , tempérameat & poil que foie la i Jujlice & Police, lo^ Pagode , on verra toujours les mê- mes gens amis féaux , & favoris de Tautorité. Mais je veux encore un coup que cetre autorité de revifion foie nécelTaire ; en ce cas , les plus graves Magiftrats, les Confeillers d'Etat les plus recommandables feroient^ ils trop bons pour exercer un em- ploi d'une telle confiance & fu- prématie ? Au - lieu de cela , je fuppofe qu'un jeune homme à peine forti des bancs de l'école acherâc une charge de pafTé-par tout , qu'il s'exêrçât quelques années dans une partie judiciaire , au bout defquel- les il partît pour une Province, Se le voilà devenu l'arbitre fouverain des fortunes & des vies des ci- toyens. A peine forti d*un novi- ciat fi fatal aux peuples , il les laîfie à un autre commençant , & court faire un fécond apprenti fiage dans quelqu'autre Province différente de la première en mœurs, loix, ufa- ges & induftrie , appremifTage plus dangereux encore que le premier, «n ce que le nouveau Préfet fe croit E iv %'©4 Traite de la Popuîdtïon, plus habile-, & quand à force dd bévues il commence à être inftruitjr il retourne à la Capitale ,& rentre dans Tordre civil qu'il avoit quitté il y a vingt ans : Hoc fonte deri- yata clades. Il eft très certain qu un Etat gouverné de la forte déchoi- roit de fes forces réelles ,& que la principale caufe de cette décadence leroit la trop grande autorité & con- fiance accordée à ces intrus. Il y auroit fur cette matière de quoi faire cent volumes , dont chaque page contiendroit des raifonnemens plus convainquants , & des faits plus démonftratifs les uns que les autres. Suppofé que cette autorité am^ phibie fût néceflaire , ne fuffiroit-il pas qu'on biffât en ce cas à ceux qui en feroient revctus la direc- tion de ce qui concerne la finance? Cette partie fera fans doute afièz étendue & importante chez nos neveux pour en faire encore les premiers hommes de l'Etat , & en vérité je crois que c'efl affez ; mais la Juflice ^ la Police font des refr Juflice & Police. lo^ forts trop précieux & trop facrcs pour devoir en con^her jamais la dire(ftion en chef à des mains pro- fanées par la rouille des métaux» Avilir l'autorité eft fynonime à Vanéantir, Les Rois penfent quel- quefois pouvoir transformer \çs hommes par les honneurs j ils le peuvent à un certain point , mais ce point eft délicat , & qui Texcede ne tient rien. Le cafque fur la tête du lion lui rend Tair plus noble de plus fier i fur celle de Tàne , c*efi: une caricature rifible & pitoyable* Comme j'ai dit ailleurs que le chef d*œuvre de TinJurtrie humaine au phyflque étoit l'agriculture , J,e pourrois avancer ici que le Droit ^ proprement dit, Teft au moral. On ne m*a rien appris dans l'enfance » moins encore dans la jeuneHè » &- je me fuis appris peu de chofes de- puis. Il s'enfuit que tout m'croic neuf, hors le métier unique auquel on m*avoit élevé , & pour lequel on n'a eu que faire de moi : en. conféquence , j'ai été préciféinent le contraire du Sage d*Horace , qui j o^ Traûé'd'è lu Poputatîon». ne doit rien admirer; caràmefur^ que j'ai voulu eonfidérer les diffé- rents re (Torts de la focicté , les fciences , les arts dont rhumanité: s'eft enrichie , tourn^a paru admi- rable & profond. Rien cependant ne m'a plus- étonné en ce genre que le Droit. Que de lumières naturelles î Quelle droiture de fentiment & de réflexion* démontre cette belle fcience dana^ fès Fondateurs, Inftituteurs & Ré- formateurs ! Quelle vigilance de détail a enfanté la multiplicité de procédures dont les plaideurs im- patients murmurent , faute d*eiî^ connoître le principe & les confé- quences ! Quel contre- poids \ QueF remède aux vices naturels d'un Gou- vernement militaire en fa conftitu* don , que Tintroduélion àts Tri- bunaux: toujours fixes; & agiflants ^ fcrupuleux confervateurs des formes» auxquelles le pouvoir éclairé a hitm voulu s'aftreindre prévoyant le régne «lu pouvoir aveugle I Que de fagefle dans rènfemble de cette lEEdure^fi c*efl l'ouvrage dç l^ Jujlice & Police. 107 prudence ! Que de bonheur dans les divers incidens qui l'ont amenée à ce point-là , fi c'eft un effet du hazard î J*ai ouï de glorieux defcendans Jugement des anciens Preux fe plaindre que JJ^j "^ ^l^l notre nation feule entre les mo- poflîbic» dernes avoit perdu le droit d'être jugée par Tes Pairs. Je ne içaiss'il ne feroit pas plus difficile de prou- ver ce fait, que d*en difputer ;rnais à voir la chofe dans le point de vue où Je la confidere , la Magis- trature eft un état à part en France, & je ne vois pas en quoi Ton peut trouver la difparité. Quand Dieu daigna fe défîgner un culte , il vou- lut ain(î que fes Miniftres fi(îent un état diftind & féparé de la fo- ciété. Je fçais que cela a fes incon- véniens , & ovi ny en a-t-il pas i Je pourrois même les détailler. Fau- droit-il à cet égard parler pour les petits ? je dirois que l'homme le plus charitable peut fentir inté* rieurement combien il lui efl: aifé de fe furprendre à faire moins de cas d'un pauvre né obfcur , que E ¥J ïoS Trahi de la Population, d*un homme né quelqiîechofe. La toi elle-même a fenri qu'on ne pouvoir empêcher cette différence, èc a voulu qu*on y eue égard ; Le pauvre efi: décrété deprife decorpi fnr les mêmes femi- preuves qui ne portent que le décret d'ajourne- ment contre un homme de condi^ tion. La Loi eft fage en cela , parce que l'homme domicilié a plus de chofes qui font caution à la Juf- tice de l'exercice de Tes fonctions ; l'homme de condition ell cenfé avoir l'honneur en fiis. Mais laccufé quefconque efl: ci- toyen, il efl: au moins homme ;k Juftice une fois alTurée de fa per- fonne, cette perfonne lui eft auflî chère que toute autre. Cette per- fonne interefle plus à quelques égards tous ceux à qui elle eft ana- logue , & par conféquent un plus grand nombre d'hommes. Il faut que la Juftice convainque rion- feu- lement du crimes , mais même de Kquité de fes procédures. Le pau- f se peuple ctoirpit-il Jamak qu'un Jujlice & Police, lOfr MagiArat de profeiïion auraauranE d*attenrion à quelqu'un de fa claiïe , qu*à un hon.me de la clafTe du Magiflrat , lui qui croit voir chaque jour le contraire ? D'aUtre part , de quel œil les Grands verront ils la fellerte au Pied d*un Tribunal occupe par leurs inférieurs.' Dans une Cour c -lébre nn Jnge y voyant unGenrilhommej & (cachant que l'accufé aUoit avoir des lettres de grâce , dit à Tes Con- frères , MeJJieiirs j allons en avant ^ & faifonsfentir à la Noble ffe notre autorité. Aind donc, tous les Etats auroient des raifons valables pour recufer au criminel hs Magilîrats par ctat , & impairs de tout le monde. Quant au Civil , on pourroit dire aufli qu'un Gentilhomme aura con- fiance en fes femblables ; qu'un fol- dat fera fainement jugé par des gens de guerre ; qu'un favetier trou- vera le point réel d'une conreflation entre gens de fon état 5 que cha- cun ainfî craindra la Juflice , 6t nonlcs Juges. Mais coriTOentcom:; 's I o Traité de h Population^ . pofera-t-on les Cours deftinées $ porter des Jugemens entre gens d'états différents ? On voit par les exemples de la fidelle impartialité des Jurés Experts &:c. les incon- véniens ou jette la nécefîîté de livrer les difcuflions à cette forte de pa- rité. S'il efl: des nations où la Jur-* tice foit exercée félon ce fyftêmé de parité , je doute que la Police qui y règne , faflfe honneur à cette fpécieufe fpéculation. Dans la nécefîîté donc d'une dif^ >arité indifpenfable , le plus fur pour e citoyen efî de relever Tétat de a Magiflrature au-lieu de l'avilir. Outre qu'il eft dans la nature hu- maine que le refpe6t du Magiflrac ajoute beaucoup à celui qu'il eft néceflaire qu'on ait pour les Loix, c'efl que , d'entre les inconvénient oppofés que j'ai cités ci-defifus , je crois ceux qui naifîent de l'envie » beaucoup plus à craindre que ceux qui viennent de la dureté. Je fèns que l'amour que j'ai pour les petits y eft dans le coeur , & celui pour les €rands , dans la réflexion ,éc peut-^ î Jufiice & Police. lu erre que fi je devenois premier Miniflre tout-à l'heure, fi, comme Je refpere , je ne prenais pas uiï malin plaifir à abbailTer les Grands y Yen aurois l'obligation à l'avantage d'être parvenu à l'âge mûr , dans un état de vie privée de réfléchif- fanre. La vénalité de.*? Charges de Ma- giftrature en France a fi^uvent aufîî fait une pierre de fcandale. Que les^ Compagnies fe confidérent elles- mêmes dans les temps de trouble & d'émotion , & qu'elles voyent ee qu'elles feroîent , Ci le fcrutin leur donnoit des confrères. Que rautoricé fe rappelle les ficelés de fer, ou l'on établit & multiplia les Jugemens par Commifiaires , 5c qu'eHe juge C\ les Compagnies re- crutées uniquement à la nomination de la Cour feroient autre chofe que des bandes de Commifiaires. Le /urhaufTèmenc du prix des Charges à un certain point eft un mal , en ce qu'il écarte des places & des Tribunaux la médiocrité de la fortune , compagne ordinaire di3^ Iii Traité de la Population. vrai mérite ; mais le luxe , & leS folles ou inutiles dépenfes intro- duites dans les mœurs des Magi{^ trats, & qui petit-à- petit palTeronC en ufage & deviendront décence , font le vrai principe de ce mal. On Ce rappelle encore avec admi- ration la modeûie Se la (implicite des moeurs des anciens Magiftrats à qui la France doit fa conter va- tion , & la Mai Ton Royale fa Cou- ronne. Mais il n'en eft pas moins établi aujourd'hui qu'un homme, eût-il tout le mérite des de Harlai , de Thou , Duranti , Mole &c. ne fçauroit occuper une place de Pré- fident à mortier à Paris , s'il n'a de quoi tenir un état confidérable , & une grande table dans les Vaca- tions 5 outre rénorme prix de fa Charge qui ne lui rend rien. Le luxe gagne cet étar précieux & refpedfcable comme les autres. Tels qu'ils font cependant , cefi: encore celui de tous où l'antique dcGntérefTement des François s'eft îe mieux confervé. Nul ne fait plus pour l'Etat ôc ne lui coûte moini Jujlice & Police. ix^ ( bien entendu que je ne com- prends en ceci que les Magiflrars^ & nullement tout Taitirail de la chicane. ) Sa propre confédération , beaucoup trop retrécie félon moi, lui Tuffir. Je n'ai fuivi qu'un pro- cès en ma vie , mais en différents Tribunaux, & c'efl bien afTez pour un fpécuiateur ; c'eft bien afTez , dis- je, quand on Ta perda: je n'en dirai pas moins cependant que j'ai trouvé chez les Juges des domefli^ ques affables ,des Maîtres patients, attentifs , qui m'écoutoient , qui m'entendoient , & que je ne pou- vois , en fortant , m'empêcher d'ad- mirer & de plaindre. Tout eft client & clientelle dans le Royau- me: je demande en quels autres lieux ôc bureaux on trouve cela. Mais les Juges ordinaires , Ô€ les Tribunaux naturels euffent - ils toutes les prétentions enfemble , des vues d'ambition de toute efpe- ce, un efprit de defpotifme habituel , une fierté de mœurs incompatible avec la véritable équité , le tran- chant & le dur d'un Prévôt entd ii4 Traité de la Population, fur la morgue du Tribunal , une balance enfin à tout poids & à toute mefure &c. je ne fçais fur quoi Ton pourroit efpérer de trouver mieux dans les Juges d'attribution & de Cour. L'état de Thomme en général eft une maladie habituelle ; mais les plus mal fains de tous font ceux qui refpirent Pair le plus cor- rompu. Toutes chofes enfin étant égales 5 je le répète encore , mieux vaut injujiice auprès j que jujîice ûu loin. Les gens partiaux trouveront peutr-être que fen accorde beaucoup à la "Magiftrature , & cela précifé- ment par Thabitude contractée de- puis long- temps de lui vouloir tout ôter ; c'eft peut - être ce qui dans d'autres temps la rendit plus portée à ufurper. Je tâche de ne point confondre les êtres, & je penfe en même temps que jamais gens de Juftice ne furent propres au gou- vernement en grand. Mais n'eft-ce rien que d'entretenir la concorde entre citoyens , d'affurer l'état des fortunes privées, quiprifes enfemr; Jujllce & Police. 115 tle compotent la fortune publique, de conferver le dépôt iacré des Loix , de repréfenter la police au- thentique, de fixer l'état des ci- toyens ? Je l'ai dit, toute fociété déclinera toujours en proportion de ce que cts fondions y feront moins eftimées. Au refte , le reOort principal , Le rcfTort le plus important comme aufîî le pf'nc'P^^ , ^ plus délicat de la Juftice & Police, ia//ce fonc ce font les mœurs. De même que i« mœius* la charité éclairée cherche moins à fecourir les pauvres qu'à empê- cher fes femblables de le devenir» ta véritable Police , la Police digne d*un grand Prince , d'un père du Peuple , de l'Oingt du Seigneur , confifte moins à punir les crimes qu'à fécher le germe des vices en réchauffant & faifant éclore celui des vertus. Divine vertu , quand les hommes n'auroient ici - bas de propriété exclufîve que celle de te connoître & de t'admirer , n'en feroit-ce pas a(ïez pour que l'hu- manité méritât d'être heureufe Sc lefpe^téô , & pour nous^ faire u/t iië Traite de la Population: devoir d'employer nos foibles tBp kns à mettre dans tout leur jour fes véritables intérêts? Il ny a dans le monde que le vrai ôc le faux , c eft ce qui conC" titue le bien & le mal. Nos paflîons n'ont rien en foi qui ait un carac- tère décidé ; elles ne font que mo-*- bile nécelTaire. Dirigez-les vers le vrai , ce font des vertus ; vers le faux , ce font des vices. Cette^ diredion uq peut partir dans un État qae de fon pivot, le Prince, Maître des biens phyfiques par fa puiflance , il Teft aufli des biens moraux par Topinion *, Régis ad exemplum totus componitur orbis. Il paroîtroit s'enfuivre de cette opinion , que tout Etat qui a un Souverain vertueux , doit être fous Tempire de la vertu , d'où l'on pourroît conclure que fronder des vices accrédités dans un Etat feroic en accufer la perfonne du Souve- rain , ce qui fans doute eft un fà- crilége pour un citoyen homme de bien. Mais il s'en faut bien que ipette indudioa nç foit jufte. Le Jufllce & Police: ixy 'foleil porte dans fon fein cette cha- leur vivifiante qui efl: i'ame de tou- tes produdlions , il la diflribue éga« lement par- tout. Ici elle excite la fécondité *, ailleurs elle aflTemble les orages j plus loin elle féche des fables arides. Le principe eft uni- forme & confiant , les accefToires en changeant les propriétés. Ce font ces accelToires qu*il faut prin'- cipalement confidérer dans la conf^ titution du corps politique. Tâchons d'en faire la recherche dans la na- ture des paillons. Uardeur d'acquérir eft lé princi* pal mobile de l'humanité. Toutes les paflîons ( Ci Ton en excepte quel- ques afFedions brutales qui n'ont qu un objet momentané , & qui font tropbalTes pour êtreromprifes dans Tordre des paffions ) (e réuni(îent en cet unique point. Ce bloc de pa{^ fions 5 toutes les mêmes dans leur principe , doit néceftai rement s'en- trechoquer dans fes parties, & c« font les éclats dangereux qui par-, tent de ce choc ( éclats propres p Vils n'étQie;nc réprimés , à embrafc^ 1 1 8 Traité de la Population» ôc diflbudre à chaque inftant la fociété) qui néceffitenc rattention de la Juftice & Police. Il n'appartient qu'à Dieu , tou- tefois par un miracle toujours fub^ fiftant 5 de contenir dans des bornes prefcrites un Océan d'eaux toujours mobiles , & dont la mafTe paroît recevoir à chaque inftant des ac- croiflfemens. Ce miracle pafte éga- lement Tintelleâ: humain & (on pouvoir. Un habile ingénieur ap- pelle pour garantir un pays des eaux qui le noyent j n'imaginera pas de les contenir dans des rete- nues , ce fèroit un projet fol ; mais il confidérera de quel côté il peut leur donner un débouché facile , êc qui débarraflTe le pays fubmergé. îl fera mieux encore : il tâchera de les diriger de façon qu'elles puilTenc devenir utiles & profita- bles. Ces eaux font la cupidité humaine. En vain chercheroit-on à les tarir , leur fource eft dans une portion de la nature indépendante du gouvernement ; plus follement encore encreprendroit - on de les Juflice & Police. ii^ «Contenir , leur volume croît à cha- jque inftant ; il faut changer leur cours ôc les diriger vers rudlité publique. Exaniinons maintenant quelle eft tes bîeii» cette utilité , purement en calcula- P^y^q"" ^ 1 .1 r I T bornes , Ici teur Se non en philolophe. La biensmoiaux cupidité eft infatiable. Les biens inamenfes^ phyfiques font bornés , les biens moraux font immenfes : donc la cupidité doit être dirigée vers ces derniers , puifque ce n'eft que par ce moyen que la cupidité de Pierre peut Ce fatisfaire fans choquer , aigrir & combattre celle de Paul. Je dis plus , le pouvoir du Gou- vernement eft infiniment plus éten- du dans le moral que dans le phy- /ique ; je le prouve. Les biens phyfîques (ont la fantéjlajeunefîe, la force , la beauté , la richeile , les dignités. De ces fix portions deux feulement dépendent du Gou- vernement, le refte vient de la nature qui ne reçoit de loix que de (on inftitpteur. il efl: vrai que Is Gouvernement peut détruire les 3^b Traité de la Population^ autres , mais il ne les fçauroit àt^n^ ner. Or j*ai fou vent dit que le pou- voir de détruire 4i*en eft point un ^, .& cela fe fçait, puifque le dernier des miférables peut par un coup de défefpoir détruire un Potentat. Les biens moraux font le défintérefTe* ment , îhoniieur , la gloire , la gé- nérofité & tout ce qui vient de la magnanimité \ la probité , la jufti- ce, la fidélité & tout ce qui appar- tient à la vérité \ la paix , la cha^- rité , Tamour & tous les rentimens qui lient véritablement la fbciété 5 la vertu enfin , mot général qui comprend tous les biens d'ici-bas » & donc chaque partie eft (î belle & fi délicieufe , que l'homme le plus corrompu ne peut s'empêcher de Tadmirer dans autrui. Ce fentiment d'admiration eft ene preuve du germe inné qui fer- mente en nous , que l'amour des faux biens , l'habitude & l'exemple ont émouffé dès l'enfance, & qui jie peut jamais être étouffé. Or je .foutiens que le Gouvernement peur par 'Jujlke & Police, m par des aaenrions de détail , mais conrianres , fuivies & toutes dirigées fumn^rand plan, nous portertoiis ou prefque tous vers une ou plulieurs de ces vertus ( car chacune d'elles va rarement feule j & faire germer en nous ce principe favorable , fouverain bienfait de l'Erré fu pre- nne. Chacun fent la vérité de ce que j'affirme ici , l'Hiftoire la dé- montre par les faits ; j*en déduirai quelques détails. A l'égard de ce que je dis que ce champ eft immenfe , & que \qs paflions des hommes ne rifquenc point de s'y entrechoquer, c'eft encore une vérité qui frappe l'en- tendement au moment où elle (e préfente. Qu'un homme acquière une gloire éclatante dans le minii^ tere étranger ou civil , à la tête des armées , dans la Magiftrature , dans les arts 6cc. pour un petit nombre d'envieux qui en gémiront en fe- cret, tout le refte y applaudit avec joie. Et quant à ce qui efl des ma- chinations de l'envie , examinez- en le principe : c'eil: prefque rou- //. Partie. F m Traité de la Population, jours un amour bas des biens phy- . fiques. Ce n*eft plus Iç (îècle où les Che- valiers Bayard , les Moncholon , les Duranty mouroient auflî pauvres qu'ils étoient nés. Une haute ré- putation entraîne d'ordinaire une grande fortune , ou àts places ho- . norables , & donc le nombre eft borné. Ce font - là les chofes que Tenvie prévoit & dévore. Crillon, Catinac , & d'autres que j'ai con- nus de plus près, navoient point d'envieux dans leur retraite , mais des admirateurs que leur vue feule enflammoit d'un utile defir de les imiter. Je ne nie pas cependant qu'il ny ait des vocations d'envieux comme de toute autre chofe. Auiii , quand j'ai dit que le Gouverne- ment pouvoir nous rendre tous vertueux , ai- je ajouté , ou prejque tous : ôc quand j'ai choifi la gloire entre toutes les vertus pour établir, mon principe , on ne peut m'accu- fer d'avoir choifià mon avantage; car c'ed de toutes, celle qui a le plus d'éclat , ôc qui par conféquent Jujl'ice & Police, 125 efl: la plus propre à excicer les coii- tradideurs. Mais eft-il décidé que le principe qui , corrompu , dégé- nère en envie, bien dirigé, ncûc pu devenir émularion ? j*en doute. Je dis donc que le pouvoir du l? gouver- nement a Gouvernement a plus detenjue fur , Je moral que lur le phylique : je voir m- le dis qu'il efl: de Ton intérêt de con- ^^^'^^ *i^^ ' quérir dans ce champ immense & ^'l^^J^ ^^'^* fans bornes j 6c s'il étoit queftion de prouver que Tinterêt , même phyfique , bien entendu devroit nous porter de ce coré-là, la dé- nionfl;ration feroic ai fée & même triviale. Je me contenterai à cet égard de renvoyer au pas des Ther- mopiles , où trois cents Spartiates arrêtèrent un million de Per/ès. Il en efl. ainfi de toutes hs ver- tas : elles doublent , triplent & centuplent les forces réelles & phy- fiques d*un Etat. En vain ferez- vous naître des hommes j fî vous ne les rendez bons , fans que la foudre s^'en mêle ils s*entredétrui- ronc les uns les autres. Les Arabes & les Tartares ne font pas encore F n 12.4 Traité de la Population, alTez réparés dans les déferts im- menfes qu'ils occupent & dévaf- tent. Mais la vertu eft alTuJettie à des régies de circulation , ainfi que tous les autres reflorts politiques. La vertu du plus fîmple particulier a trait dans fa fphère à l'avantage de fon canton , & par contre- coup à celui de TEtat. Par ce rapport , le Souverain repompe toutes \qs ver- tus de la fociété 5 il doit auflî les rendre & les repoufîer jufques dans les plus bas étages. Si ù Perfonne, fi fon Confeil ne font occupés que de l'inierêt phyfîque , les fous- or- dres qui ont moins de principes d'élévation , & d*occafions de les faire paroître, ne penferont qu'à Tintérêt au(îî ; & cette idole de la baffe cupidité déifiée ainfi d'hiérar- chies en hiérarchies , parviendra Jufqu'au peuple qui , borné par l'éducation & avili par des fondions pénibles , eft moins propre à ima- giner le grand & fentir le vrai , que toute autre claile de l'humanité. ^Dès-lors plus d'obéilTaiice que for- Jujlice & Police. Iiy cée & éludée par adre(Tè , plus d'ainour que feint & faux , plus de pacriotifnie , plus d*autre lien enfin de la fociété que ce vouloir in- compréhenfible de la Providence, qui pour confondre notre raifon , maintient quelquefois les écarts , quand tout femble concourir à leur perte , jufqu au moment où elle a décrété leur chute, & où retirant fa main toute- puiiTante , tout vole en éclats , comme feroit le monde entier , (i la balance des élémens étoic perdue. Or comme , autaat qu'il m'ed polîible , je prétends ramener au fîmple tous les rapports de la ma- nutention politique , je ne m'écar- terai pas dans la partie que je UdÂio, adtuellement , de mon principe gé- néral , qui eft que le Gouvernçmenc ne doit fe referver que les grands reports de la machine politique , perfuadé que quand ceux-là feront en régie dans fes mains , les détails iront d'eux - mêmes. Si le Prince lonore les hommes d'or, je ne dis pas de la proredion qui eft due à F iij 1 1 6 Traité de la Population. tout le monde , mais de fa fami- liarité, du crédit, de Ton attention marquée , des chofes enfin qui atti- rent la confidération \ s'il fburit à une méfalliance honteufe d'un Grand , & autorife par-là Taxiome des effrontés qui difeat que c'eft le feul moyen de relever la NoblelTe s s*il permet que les fervices ibieni mefurés au poids de For ; fi , quand il voudra départir quelque faveur domeftique , il attribue au protégé quelque part & portion de finance, fans prendre garde fi cet heureux eft d'un ordre à ne pas rougir de ce trafic ; toutes ces chofes & une infinité d'autres qui pourroienr pa-- roître de peu de conféquence à rafFabilité du Prince , accroîtront à l'excès la cupidité de l'or & l'avarice , & cauferont en confé- quence des ravages infinis dans l'Etat. Si au contraire le Prince renvoyant les gens de fortune à leurs fondions & à leurs places naturelles , referve les diftindions, les places & fa précieufe familiarité pour le mérite uniquement j fi les Jujiice & Police, \ij belles aiflions font honorées , les a6i:ions honnêtes remarquées , les grands talens accompagnés de gran- des vertus tirés de la foule t^ mis fur le flambeau j (i le mérite des pères ferc de titre aux enfans pour efperer , & d'encouragement 5 Ci le plus grand nom proftitué n obtient* que difgraceô.: marques d'indigna- tion , bientôt vous verrez changer la face de la terre : de dignes Chefs ne placeront en fous - ordres que leurs femblabîes ; de grades en gra* des j de fubdivifions en fubdivifions, la vertu reprendra la première pla- ce qui lui efl (î juflement acquife , elle étendra fes rameaux dans tou- tes les parties de la fociété. Je l'ai dit , Tor efl: corrupteur , & il accélère à cet égard la pente naturelle de routes les chofes hu- maines vers leur décadence. Nous en difcuteroiis les raifbns dans la fuite de cet Ouvrage. Plus notre induftrie l'attire parmi nous, plus nous devons être attentifs à remé- dier par le régime ci-deflus à ceux de les effets qui font pernicieux. F iv 1 iS Traité de la Population. Depuis que îa branche de la Maiioii Royale qui règne aujour- d'hui efl: fur le thrône, nous avons eu quatre règnes de Souverains doués de grandes vertus de Prince & de particulier. II efl néanmoins de fait que nous nous (bmmes fort corrompus. Que feroit-ce, fi ces métaux dangereux nous étoient parvenus fous des Princes cruels , injudes 5 avares, emportés. La cor- ruption fe glilTe revêtue des beaux noms d'adreffe , d'habileté, de goût, &c. Je le répète, il n'y a dans le monde que le vrai & le faux^ c'ejl ce qui conjlitue le bien .& le maL Tout ce qui ne rend pas au vrai , loin de nous éclairer , nous aveu- gle d*autanr plus irréparablement, que Tignorance abfolue fe connoîc tk fe défie d'elle -mcme, au- lieu que la faufile fcience enyvrée de préfomption dédaigne tout ce qui nefl: point elle. Les écrits Voudriez-vous me nier que nous peignent les . J . mœurs, 6c ne nous ccrrompious ? fuivez la les font. trace de nos écrits , la régie eft fûre. D'une part ils peignent les mœurs , /^njlice & Police, ii^ de l'autre ils les font. Vous ne trouveriez d'abord que Romans de Chevalerie, romances &c fabliaux jufcju^aux temps de la regénération des Lettres. Ces nouveaux dons apportèrent leurs biens 6c leurs maux ; &: tandis que l'Etat fe for- moi t par les fecouffes & criles do- mefliques qui lui cauferent tant de Travaux, Thiftoire & les mémoires particuliers peignent Térac violent & les troubles, jeux de Tintérêt en grand, & de l'ambition. Nos Ro- manciers imaginojent alors ; rr.ais c'étoit encore des Cirus, des Ama- dis, des Dom Galaor , preux Che- valiers , amçureux fanraftiques , mais plus verbeux & plus abon- dans en complimens & converfa- tionsalambiquées, que nel'étoient leurs ancêrres. Enfin le pouvoir fe réunit à fon principe, & fe trou- vant dans des mains dignes de le régir, le calme intérieur fuccéda à fa tempête , les arts parurent & )ientôt fleurirent, le goûr fe for- Tia , nos écrits marquèrent le beau Kde autant que nos exploits. La F V I ? o Trahi de la Population. PrinceiTe de Clcves , & un petit nombre d'autres Romans marqués au même coin peignoient un genre de galanterie & de mœurs incon- nues à nos anciens , & d^ja oubliées parmi nous. JouilTàns àe^ mêmes îoifirs , qu'avons-nous enfanté de- puis ? Certaines fciences de détail fe font perfedionnées ; mais je ne parleirai que de ce qui peint les mœurs. Nos prétendus Philofophesi tantôt fous un manteau, tantôt fous un autre , quelquefois à découvert, ont attaqué les Loix Divines & humaines. Nos dodeurs ont en mille manières calculé l'intérêt & nos Romanciers ont alambiqué le défordre & l'infamie. Penfons- nous que la honteufe mollefîè qui entendre ces ouvrages monflrueux, défigure moins Thumanité que M pcce de férocité qui enFanta Jadis de gîgantefques Chevaleries. Ma- zulhim eft aufîî éloigné d'atteindre à rérac d'homme, que Roland le dépafFe. Nos pères euflent vomi fur de telles images 5 elles nous Juftice & Police, jji amufent aujourd'hui , parce qu'elles nous renèmblenc. Non- feulement ces délires d'une imagination corrompue peignent Jes mœurs , mais encore ils les font. La jeuneffe y puife avidemenc le poifon d*une indigne volupté ; & fiippofé que dans Tâge mûr on échappe à ces fatales impreffions, que trouve-c-on enfuire pour nour- rir Tefpric dans fa maturité ? des ouvrages qui fous Tappas d'une fauife liberté mettent en queftion tom ce qui fut utilement mis en fait depuis deux mille ans , qui détachent Tefprit & le cœur du culte de TEtre fouveraîn, & du refped pour les Puiffances établies ; 'des ouvrages qui détruifent tout & n édifient rien , qui mettent enfin le poids & la mefure aux mains de chaque individu. Ceft bien à vous , me dira-t-on , qui fans aucune mi/îîon réglez les États dans votre cabinet , à con- damner la liberté dans les écrits. Oui , c*eft à moi qui pourrois peut- être mieux qu un autre en faire de F vj 1^1 Traité de la Population. médians , fi Je voulois. Je foumecs chaque page , chaque ligne de cet Ouvrage au cenfeur le plus auftere. Ji S'il y trouve que nulle part je prê^ che refpric de difcuflion & d'indé- pendance, que j'éloigne en aucun endroit mes ledeurs de ce qu'ils doivent à Dieu , aux Loix & au Souverain , je me foumets aux pei- nes que méritent les écrivains dan- gereux3& félon moi elles ne feroienc pas petites. Si pour quelque chofe je m'écartois êi^s principes, de dou* ceur & d'humanité , que je prê- cherai fans cefTe tant que j'aurai de la voix , ce feroit pour des hom- mes de ce genre. Mais non : les Ecrivains méritent , félon moi , une attention toute particulière de la part du Gouvernement. Si-tôt que j*en connoîtrois un qui vife- roit à faire un mauvais ufage de fes talens , je lui en défignerois un autre emploi avec foin & encoura- gement : je le foûtiendrois de la forte contre fa propre foiblefle 5 & fnppofé qu'il fût de ce petit nombre de gens qui n'ont de talent que 'Jujlîce & Police, i^^ pour le mal , je lui arracherois relie plume, que Je Tempêcherois bien de voler. Je ne prétends point crabîir ici la république de Platon. Il eft tou- jours temps d'agir à cet égard & d^'agir utilement fans pédanterie. Vainement diroît- on qu*il y a tant de mauvais ouvragesjqu'iî feroit inu- tile aujourd'hui d'en arrêter le cours. Heureufement tout eft de mode & partager parmi nous , & à la referve de quelques-uns , les ouvrages \qs plus dangereux font les plus promp- tement oubliés. Réglons nos écrits : purifions nos théâtres &c leur donnons le ton noble qui con- vient à la plus brillante des na- tions. Ces foins de détail por- tent par mille rameaux fur la mafîè entière du corps politique. La ver- tu attaquée dans toutes les par- ties doit auffi être par-tout dé- fendue. Mais Tarticle àts moeurs eft trop important pour ne pas demander un Chapitre à part. J'en ferai même deux , l'un fous ce titre , l'autre 154 Traité de la Population, fous celui du luxe. Mon objet ne fut jamais de faire des traités de morale; mais les moeurs ont infi- niment plus d'influence dans la fo- ciété que les Loix. Cefl: par les mœurs plus que par tout autre ref fort que le Gouvernement peut fixer la profpérité d^in Etat , ou en accélérer la décadence. Les mœurs donc doivent être le principal point de vue d*un populareur. Concluons cette partie , Se difons en fomme que la Juftice & la Po- lice font la plus intérefîante partie de la circulation. Les canaux de cette circulation font établis en France, il ne s'agit que d*en ré- parer les conduits , les entretenir & en faire ufage. ms*^ f^ Les Mœurs, 15; CHAPITRE IV. Les Mœurs. LEs Mœurs , je le répète, font Lesmœurs, noi>.^euIement le tableau vivant tai^.^^ ^* de Tétat de la fociéré , mais en font encore le reffort principal. Elles en font le tableau. O /^///e vénale ^ s'écrioit Jugurrha en for- tant de Rome , tu aurois bientôt un maître j Ji quelqu'un étoît affe^ riche pour t' acheter. Ce fcélérac endurci dans le crime ne put fè refufer à un mouvement d'indigna- tion fur la perverfité & la corrup- tion de Tes Juges. Mais ce (enti- ment de lumière échappé aux té- nèbres d'un cœur corrompu , n'a- voit qu'à naître dans une ame plus noble pour y porter le décret & les moyens de la plus complette des révolutions. Céiar uniquement avide de gloire eut à peine conçu 1^6 Traité de la Population, que l'auconté étoît un échelon né- cedàire à fes projets , qu'il com- prit qu'il n avoic qu à tout prendre d'une main & tout donner de l'au- tre 5 pour changer en efclaves les maîtres de l'univers. A remonter dans les anciens temps de Rome , la plus cruelle oppreffion ne put déterminer le peuple entier à d'autre ade d'hof- tiîité contre Tes Chefs qu'à fe re- tirer en concours , & menacer d'à-" bandonner les murs & le territoire de la patrie. Depuis il fallut l'exemple d'un père forcé d'égorger fa ^\\q de Tes propres mains afin de la ravir à la plus honteufe & la plus abfurde des tyrannies , pour engager la na- tion entière à demander compte à fes Magiftrats d'une adminiftration & d'un pouvoir extorqué. Dans Rome aflTujettie , & peu de temps après la révolution dont: je parlois tout-à-l'heure , on vit les citoyens s'entr'égorger pour la préférence difputée entre deux far- ceurs. Les Mœurs, 137 Les loix fondamentales de Rome avoient peu changé par comparai- Ton à rénorme altération que ces faits annoncent dans les vrais liens de la fociété : tout le changement avoit porté fur les mœurs , & telles en furent les fuites. Cette influence des mœurs (lirla conftitution de l'Etat n'échappa pas plus à Augufte qui vouloir gouver- ner Rome en maître, qua Jugur- tha qui la vouloit corrompre en ennemi. Quelques loix trop dures ayant excité un murmure général , Augufle appaifale peuple en lui rendant le Comédien Pilade. D'après cette efquifîè tirée de rhifioire d'une nation que la Pro- vidence a mife plus en vue que toute autre , on peut convenir que les mœurs font le tableau vivant de rétat de la fociécé. Les exemples que j'ai cités , & mille autres que je pourrois y Joindre , démontrent que ce genre de thermomètre n'eft pas une prédidion faite après coup , mais a fervi dans le temps aux hommes ambitieux , qui ont cru 1 3 s Traité de la Population, voir leur utilité particulière dans le détriment de la chofe publique ; c elT: donc un tableau réel : mais que préfente ce tableau ? Il dit qu'en proportion de ce que l'honnêteté eft plus refpedée dans les mœurs d'une nation, tous les liens qui en forment i'union & la folidité , en font plus entiers & plus refïèrrés , & qu'en conféquence , à mefure que les mœurs déclinent , les liens de la fociété fe relâchent en pro- portion. les mœurs, Quelles furent en effet les loix foStl " * pni^^anres qui transformèrent tout- à-coup en citoyens afTedionnés & dévoués à la patrie une troupe de bandits élevés dans l'exercice d'un brigandage continuel , barbares d'habitude & de vo'onté , lions au dehors, efçlaves au dedans? (Tels furent les Romains du premier & du moyen âge. ) Quelle force coer- citive réunit en eux des contraires il abfolus ? La foi du ferment ^ Va- mour de la patrie , le refpect des foyers domefliqueSo Qu'on examine par le détail l'o- Les Mœurs, 13 c) rigine du fouverain reîpeâ: de ce peuple peur Tes V^agiftrars, de ion admirable difcipline à la guerre , de Tes vertus de citoyen enfin , orî verra qu'elle ie rapporte à ces trois principes que j'ai nommés , comme en efîet tous les différents rameaux des mœurs à l'infini y tiennent 6c en dérivent. Qu'on ne m'oppofe pas ici le récit des diiïenfions continuelles & internes de ce peuple orageux , pour en induire que je fais un beau portrait, mais qui n'a nulle réa- lité. Je ne fuis jamais difconvenu que les liens de toute fociété ne fulîenc de leur narure portés à tendre vers le relâchement. Cefl par cela feul qu'il ne peut y avoir d'empire éternel ici bas. Le dépé- ri (Tement s'annonce & fe démontre par les troubles & les dilTenfions, les tiraillemens & \q% douleurs , tant qu'il y a du nerf dans la Ré- publique j par l'indécence & la dé- bauche 5 la gangrené & la putré- faâ:on , dès qu'il n'y a plus que des chairs. 140 Traité de la Population, La fierté desAppius, l'exécrable audace de Catilina, le luxe effron- té & rebutant de Trinialcion furent ies mêmes fymptomes de la môme maladie, qui ne parurent (î diffé- rents que par la diverfîté des corps fur lefquels lemaltravail!oit,c*e(l- à-dire , des temps de la Républi- que. Il me fuffit donc de prouver que les véritables Loix d'un Etat font les mœurs , & que loin que ce foit la vétufté & Toubli des Loix qui caufent le relâchement àQS mœurs, c'eft au contraire le relâ- chement des mœurs qui intercepte le régime des Loix, en rend vaines les difpofîtions, & par conféquenc énerve & détruit à la ^n la Répu- blique. Dans ces trois principes en effet qui feuîs formèrent Tindiffoluble fociété Romaine , on ne voit rien qui n'appartienne aux mœurs, rien qui (qvïiq le régime diflinélif des Loix. Les Loix en un mot ne font que les rites particuliers des mœurs : celles-ci font \qs premières des Loix. Où les mœurs régnent , Les Mœurs, 141 les Loîx les plus fimples fiiffifent , & font même rarement réclamées. Où Ton néglige les mœurs , les Loix puiïent-elles tout prévoir, àc fe multiplier en autant de ramifi- cations qu'en produit Tinépuifable corruption humaine , tW^s font fans force & fans application ; Gorrup- tiffima Rejpublïca ^ plurimA Le- ges. Il s^enfuit de ce petit nombre d'indudtions qu'on pourroit étendre a l'infini , toujfours avec plus d'a- vantage pour la démonftration de cette importante & palpable vérité, que non-feulement les mœurs font le tableau vivant de l'état de lafo- ciété , mais qu'elles en font encore le relTort principal , comme mères , tutrices & proceélrices des Loix. D'où refulte que la fuper-inten- dance des mœurs efl le plus bel apanage, & le droit le plus facré du Gouvernement toujours Légif- lateur quoi qu'on en dife , & que ceft prefque la feule partie des Loix , dont il doive fe réferver le maniement fupremet 142. Traité de la Population. Mais femblables au Protée de la fable j les mœurs s'échappent àt^ mains qui les veulent forcer , & fe transforment en repréfentations vai- nes pour éviter les chaînes dontoa les vouloir étreindre.Hncela,conime en toute autre chofe , la contrainte efl: le plus défe6i:ueux des relTorts de Tautoriré.. Les cauftiques ne fer- vent qu*à dévorer les chairs mor- tes , & n*ont nulle propriété pour prévenir la corruption. Quelles lont donc les touches du claveflîn politique qui répondent aux mœurs? Le difcernement _, la pudeur & l'exemple. Mais ces généralités conviennent mieux à un Traité de morale , objet dont Je ne me fuis jamais occupé, qu*à des confidéra- tions politiques. Mon plan doit lîécefTai rement me ramener dans les détails: ils font tous ici de la dernière importance. Ceil: rarement en gros, & par des révolutions fubites & fen(î- blés, que les mœurs reçoivent une altération dangereufe. Malheur aux Etats que leur étoile deftine à fup- Les Mœurs, 145 porter de ces crifes violentes qui les vieilHlfent plus en peu de temps , que ne pourroient faire des ficcie» d'uniformité dans les cvcnemens. Rome en effuya deux trop conlé- cutives , & ne put rélifter à la fé- conde. La première fut la deflruc- tion de Carthage. Ses guerres avec cette puiiïante République lui avoient fait connoître la moitié du monde ; pour la conquérir , il ne fallut qu'accabler Carthage. L'Afri- que & TEfpagne traitées comme conquêtes, altérèrent le défintéreC fement Romain , de même que Tanimofité de cette guerre en avoit altéré la bonne - foi ; & dans ce temps même on vit pour la pre- mière fois couler dans Rome le fang du citoyen. Les maux inter- nes s'aigrifToient à mefure que les fuccès extérieurs devenoient plus grands ; le courage même s'en ref- fentit tout aufîi promptemenr. Qu'on fe rappelle les alarmes de cette ville féditieufe lors des mau- vais fuccès des premières campa- gnes contre Perfée , en comparant '144 Traité de la Populatiort, le danger réel de cette guerre avec les calamités auxquelles peu dan- nées auparavant ces mêmes Ro- mains avoient oppofé tant de cou- rage. La féconde crife fut la con- c|uête de TAfie. Ses thréfors ôc les débris de fon luxe achevèrent de corrompre les Romains. On les voit pendant ce peu d'années ora- geufes , Ôc dont le tableau hiftori- que fait horreur , fe fervir tour- à-tour du glaive contre Mitridare & Tygrane , Se du poignard contre leurs propres citoyens. Leur for- tune décrétée par la Providence ne put être aufïî rapide , que le feu que ces furieux allumèrent dans leurs propres murs; Ôc le dernier Républicain, fi tant efi: que Pom- pée en fut un, n'avoit pas eu le temps d'achever la conquête de TA fie , quand il fit place au pre- mier des Maîtres qui difîîperent cet immenfe héritage dans moitié moins de temps qu*on n'en avoit employé à le former. Les grandes conquêtes , les ré- volutions dans le gouvernement ou i Les Mœurs, 14 y on dans les fortunes , les fecouGTes vives & fortes en un mot font né- celTairement le lignai d*une altéra- tion dans les mœurs. Je lai (Te aux fpéculatifs à examiner (î nous n'a- vons rien elFuyé de femblable dans notre fiècle , & à refondre (î > eu fuppofant le fait^ les mœurs par- mi nous ne s'en font pas reuen- ties. Mais en général leur altération Les mœjrs commence , & fe confirme par àts s'ahércnt|)ai: df ' I T clercs. egrcs moins marques. La corrup- *' tion fe glilTe petit-à-petit , circule dans les veines , attaque enfin les parties nobles , &: jette tout \q corps politique dans des convul- fions qu'on confidere , & qu'on voudroit en vain guérir dans les efifets , faute d'en avoir jamais connu le principe. Il eft donc de la dernière importance de connoî- tre & de définir en quoi confident les mœurs : de cette notion naîtra uaturellement celle des attentions de détail qui doivent veiller à leur ipaintien. Rappelions -nous ici les trois //, rartie. G 1^6 Traité de la Population. principes auxquels j'ai rapporté toutes les vertus iî célèbres des anciens Romains. La foi du fer-' ment _, l'amour de la patrie j le refpeci des foyers domefliques. Quelqu étrangers que foient à nos préjugés ceux d*un peuple ennemi fanatique de la Monarchie , nous trouverons que ces trois points renr ferment également toutes les ver- tus dont nous fommes fufceptibles 5 la Religion _, le patriotifme j les vertus civiles. Rapprochons main- tenant les objets pour les envifager dans les nuances qui nous font pro- pres. Il m'appartient auiïî peu de faire ki l'éloge de la Religion , que d'en développer les dogmes, & montrer comment ils ont trait à tous les points de la profpérité publique & particulière. Chacun fcait qu elle ordonne le refpecSt & la foumiffioii pour le Gouvernement ; qu'elle' veut que nous nous regardions tous comme frères , Se nous enjoint l'at- tention à nos devoirs , dans des vues de tout temps puiffantes fur Les Mœurs, i^yi refprît humain , & diamétralement oppofées à celles de la cupidité. Mais fût - elle auffi défe^tueufe quelle efl: parfaite , il eft certain que les religions , même d'inven- tion humaine , portoient dans leur principe & dans leur morale le ca-^ radcre de la Loi naturelle em- preinte dans notre ame , fceau dif^ tinctif du Créateur. La Religion La Reh'gion, donc fut toujours, ôc eÛ aujour- "^o",pf^^- ,,, . . ^ 1 . . <^îpal des a,hui parmi nous plus que jamais , moeurs. le relTort principal des mœurs. Le dogme de la charité qu'elle recommande fur toute chofe, ôc^ dans lequel fe trouvent comprise, tous les autres , profcrit fans doute l'intolérance. Tant que le Chri'f^ tianifme n*a formé que des fociétés particuhéres , profcrites , tolérées , ou admifes dans des Etats où quel- qu'autre culte dominoit , les MiniG- ttes de la Religion pouvoient aflfu^^, jettir ce petit nombre à des régies plus étroites , punir , féparer du troupeau , infliger en un mot des peines de des privations purement relatives à la Religion , & qui 1 4^ Traité de la Population: n'avoient nuls effets civils. Maïs fî-tôr que cette Religion de paix eft devenue dominante dans un Etat 5 les Minières durent regarder Tanathême fpirituel comme entraî- nant de fait une forte de prof- cription civile \ dès - lors ufant du droit de miféricorde , auffi étendu que l'eft le droit de juftice , leur premier devoir fut de fléchir la roideur du fceptre , de rendre doux^ & liants les chaînons de Tencen- foir, d'imiter enfin leur divin Inf- tituteur toujours & par tout miféri- cordieux. En conféquence les pri- fons du S. Office ne devroient renfermer que les Eccléfiafliques indécents ou dénonciateurs. Ce que je dis-Ià, tout le monde le penfe de fang froid, quoique la paflion ait fouvent fait agir dans un fens contraire ; mais il ne feroit pas auiïi aifé de décider fi la Reli- gion regardée comme relTort poli- tique ( car les Princes n'y pré- tendent infpe6tion que dans ce fens- là ) doit être tolérante ou im* périeufe. Je crois néanmoins cettç Les Mcturs. 14^" queftion fixée , en di/ant qu'en tout éc par- tout 5 fans en excepter rien , les moyens coercitifs font les plus propres de tous à faire fur Thomme un effet contraire à leur objet. La tolérance, dans le fens où on Tentend communément, depuis que diverfes fedles ont déchiré Tunité de l'Eglife Romaine, & que ^certains Etats les ont toutes reçues & admifes dans leur fein , n'eft point de mon fujet. Je ne parle que pour nous : il nous en a trop coûté pour nous réunir ; nous Tom- mes en général trop étourdis de trop agiffants pour qu'un citoyen qui a réfléchi , paifTe recevoir feu- lement i*idée de rifquer de retom- ber dans nos anciennes convull^ons. La tolérance dont je parle , confifle donc uniquement à n'apporter dans tout ce qui concerne la Religion que Tefprit qui conftitue fa proprje effence, Tefprit de douceur <5c de charité. Mais la tolérance feroit le pire des inconvéniens , fî elle alloic jufqu à TindifFérence fur le régime G iij 1 5 o Traite de la Population, intérieur Se de détail de ce mobile tout-puifTant de rhumanité. Loin ces (yftêmes vains Se dangereux , abus de refprit & d*une Logique corrompue , qui prétendent prou- ver qu'une fociété d'Athées pour- roit fubfifter. La République de» Platon n eft qu'un fonge ; mais c'eft du moins une belle idée : Tautre, tout auflivaiiiCj a de plus Tincon- vénient d'une abfurdité complette, êc de nous dégrader en pure perte. Qu'on nous ramène à l'inrcind des étourneaux , nous pourrons vivre en troupe fans religion , & parve- nir aux avantages qu'ils rerirent de leur fociété. ^ V n Prince Un Prince irréligieux avec often- ïtréiigieux dation feroit le pire des fanatiques, le plus fou ^ . ^i/i. . j- . des tanati- ^^ ruricux en délire , incendiaire ^ues. ^Q fon propre palais j un Prince ■ indifférent fur la Religion creufe au-deflbus de fon thrône une mine qui quelque jour n y laifTera qu'un monceau de ruines. Mais quelque- 'fois fous le règne des Princes qui ont le plus de refpe6i: pour la Re- ligion, ëc qui en donnent chaque ^ Les Mœurs, I51 jour des marques extérieures , le relâchement en cette partie fe glide par le détail faute d*attention à ceux de la police , & parvient à un point dangereux. J'ai fait en ce genre une remarque que je place- rai ici , quoiqu'étrangcre aux objets qui 5 félon moi , méritent TinTpec- tion. Ce fut en 1^67. que futcom- pofée Ja troifiéme fatyre de Boi- leauj temps où la Cour de Louis XIV. étoit la plus galante, & quinze ans avant la réforme qui fie arbo- rer tant de chapelets à la Cour j c'eft un gourmand de proFefîion que le Poète mec fur la fcène , &c ce n'eft fûrement pas pour la rime qu il lui fait dire : j au jy cours 5 midi fonnant fortir de la Mejje, Le fait ed que tout le monde alors alloit à la Meiïe tous les ma- tins. Dans les garnifons , les Offi- ciers plus portés cependant aux dé- bauches d'éclat qu'ils ne le font aujourd'hui , alloient à la Meiïè G iv Yji Trahi de la Population: au forrir de chez leur Commandante Je ne dis pas que cela fût confé- quent ; mais malgré tous nos rai- fonnemens, nous ne le ferons ja- mais qu'en fpéculation. Ces hom- mes inconféquents &: quelquefois brutaux ne foufFroient pas qu'on dît un mot équivoque fur la Reli- gion devant eux , difoient haute- ment qu'un homme fans religion ne pouvoit être qu'un coquin. Nous ne barrons plus nos gens ; mais nous ne les menons pas à la . MefTe , parce que nous ne fonimes pas dé- vots : nous diiïertons fur la Reli- gion devant eux , finon d'une fa- çon très-impie, du moins fouvent fort légèrement fur les fuperfti- îions populaires , Sec. Tout cela porte coup fur les mœurs , fur la croyance & fur la fidélité publique. En fuppofant le mal , me dira- t-on, où donc eft le remède ? Faut- il que le Gouvernement ou la Po- lice érabliilenr une forte d'inquifî- tion don eftiaue fur nos difcours 6c nos aâ;iop>s privées ? Que devient en ce cas la tolérance dont vous Les Mœurs, 1 5 5 nous avez flattés d*abord. ta voici. Peccato celato è me-^^o perdo iato _, dit l'Italien i Se ce proverbe per- nicieux en morale eft trcs-jufte en politique. H importe peu au Gou-; vernement que vous alliez à la MelTe ou non les jours ordonnés , pourvu que vous alliez ailleurs fans bruit & fans éclat; que vous man- giez gras ou maigre chez vous, pourvu que vous prétextiez une incommodité, ôc ne faiîiez pas of- tentation de donner ce qu'on ap- pelle chère de commiflaire -, que vous croyiez ou ne croyiez pas enfin, pourvu que vous fupprimiez des difcours qui ne pouvant jamais faire aucun profit qu'à votre vanité mal entendue, peuvent détraquer l'imagination ou les mœurs des jeunes gens, des efprits foiblesqui vous écoutent. Au fond en tout cela votre liberté d'agir Se depen- fer n'eft gênée en rien d'eflèntiel. Se voas n'avez pas plus de droit à réclamer contre la foible contrainte que ce genre de police vous im- pofe , que contre i'ufage d'établir G V i if4 Traité de la Populatîctf. des privés pour ceux de vos befoi qui infederoient la fociécé. Cette portion eiîentielle des moeurs s^ed - elle relâchée parmi nous ? Je n'en fçais rien ; mais je fçais que fi la liberté de donner à manger en gras , qui n'étoit accor- dée, il y a vingc^cinq ans, qu'à un très-petit nombre d'auberges privi* légiées en faveur des étrangers, étoic devenue générale & qu'au- jourd'hui en tout temps on n'en fic difficulté dans aucune , ce feroit fîgnal de relâchement. Si Ton^ac- cordoit des permifîîons aux ouvriers de s'employer les jours de fêres aux travaux du Roi qui ne ceiîenr ja- mais, fi à cette imitation , la Vil/e ôbrenoit pareilles difpenfes pour les fiens , ne feroit-ce pas alfez pour donner le fignal aux particu- liers de mépiiier cette partie de la difcipline? & comme l'extérieur eft & (era toujours ce qui frappe da- vantage le peuple , & que les tranf- greffions ft donnent la main ainfî que les obfervances , le mépris , ou du moins la difcuffion des ordon- Les MœurSé lyç nances de l'Eglife entreroît dans toutes les tcces. L'efprit de régu- Jarité Ce perd , 6c route Religion réduire au pur fpirituel eO: bientôt reléguée dansTempire de la lune. Il ny ^ P^5 mille ans que voyant des ouvriers un jour de fête chez des Religieux, je m'approchai du Père Procureur qui étoit parmi eux, Se lui demandai en vertu de quel Saint ils ne Fêroient pas celui du jour. Il me répondit que ces travaux étoient relatifs au portail de fon Eglife , & que c'étoit une œuvre fainte que d'édifier le Temple du Seigneur. Cet axiome, lui dis- je, eft applicable à ceux qui four- nilTent les fonds de cet édifice ; mais c'eft purement une œuvre ferviie pour ces ouvriers qui y gagnent leur vie. Sur cela l'érudite -Paternité me rappella que nos an- ■ciennesEglifes n*avoient été bâties que les jours de Fête Se de Di- manche. Je lui répliquai que c'é- toient des corvées religieufes , qui tenoient lieu de prières au peuple, -& dont il ne retiroit nul falaire. G vj ï )- 6 Trahi de la Population: Enfin il fut obligé de me dire qu ib avoient une permifîîon de M. l'Ar- chevêque. La loi efl: parlante , lui dis-je alors, & la difpenfe eft muec- ^ te ; ainfi donc vous ne péchez pas contre le Saint , mars contre la fo- eiété j ce qui , félon moi , eft biea pis ; & je vous condamne , fous peine de fcandale , à afficher en grandes lettres fur un tableau en public , d'un côté la permifîîon de votre Evêque , de Tautre celle de la police, fi mieux n*aimez laiirer iejourner vos pierres qui ne péri- clitent pas, ce qui vaudroit mieux. Cet homme me prit pour un Ana- baptifte, ou pen s*en faut. Les Livres Les abus fe donnent la main impies font gi^fj-g ç^x ; on fçait cela. En ce fens, te"d°' reia- l^ philofophîc modeme OU l'art de chement des raifonuef rirréligion , & le relâ- I^n pEinc?pc! chement des mœurs en ce genre font frères ; mais s*il falloir entre eux décider lequel des deux efl: le principe de Tautre , je ferois tensé de me déterminer pour le dernier. Eu effet , quoiqu'il (oit vrai de dire que rien ii'eil plus contre la fociété les Mœurs, 157 que les Livres «Se Traités contre fa Religion , cependant ( je puis en parler fçavamnient , moi , qui les ai tous lus ) ]*affirme qu*il n'en eft aucun qui fatisfaiTe même avec quelqu'apparence de réalité notre penchant vers Tindépendance , & qui nous ofrre des objedions plus fortes que celles qui viennent mal- heureuiement en pensée fouvenc au premier moment , & qu'en lan* gage myflique on appelle tentarAons contre la foi. Ces fortes d'ouvrages d'ailleurs font fecs , la plupart de mauvaife main , & promptemenc ennuyeux j ils ont endodriné quel- ques bavards , mais n'ont perverti perfonne. Ce qui porte infiniment plus fur le général en ce genre , ce font ces traits indiredls, ces airs de cer- titude puérile 5 ces lardons amenés à tous propos qui mettant en faic ce qui eft au moins en queftion, paroiflent établir comme notoire & reçu de tous, qu'il n'y a que le peuple & les imbéciles qui ayenc de la religion. Il faut avouer qu'au- ' ï 5 s Traké de la Population. jourd'hui on n'écrit prefque plus ur mot qui ne foit empreint de d timbre-là ; il neft diiTertarion iur des eaux chaudes , ou bouquet à' Iris 5 où Fauteur ne veuille inférer' fa petite profeflion de foi d*efprit- fort. Ce concours apparent de tous les hommes de génie d*une nation fait affurénieiit bien des ravages; car qui échappe à Tun , lit certai- nement l'autre. Ces dodeurs qui n étabiilTent rien , ne font tenus de rien prouver \ ôc Ton en infère feulement qu'il eft permis de lever un œil curieux fur Pobjet de fon culte , puifque tant de gens cen- fés infirmes le Hxent & s'en mo- quent. C*eft fans doute un grand mal pour le vulgaire j mais pour ne pas fortir de la queftion , quel efï le principe de ce concours de peri- îeiïe dans les beaux efprits ? Il n'y a plus que le peuple & les enfans afîez fots pour croire qu'ils ont dé- couvert le fecret de TEglife. Il y a déjà long-temps que Ninon Len- clos apprenant qu'an de fes amis Les Mceurs. ij^ mouroîc en incrédule , y courun pour lui fauver cette misère « Là : elle trouva le Vicaire de la Pa- roifTe qui forcoic gendarmé de quel- ques propos de théâtre > donc le hé- ros mourant avoit prétendu I^gna- 1er fa fin \ elle voulut engager le Prêtre à rentrer. Ah ! Madame, lui dit celui ci qui ne la connoiiToic pas , il n'y a rien à efpérer de ces Sçavans-là. Eh î no . , Monfieur , reprit Ninon , je vous réponds qu'il n*en fçai: pas plus que vous (Se moi. Ninon , Epicurienne décidée , fçavoit fort bien que tous les ar- gumens de l'incrédulité fe bornent à dire non , & agir en confcquence. Nous fçavons perfonnellement auiïi que tous ces doéteurs ne fçavent pas un mot de la queflion j en con- séquence , ce n eft pas la perfiia- fion qui les fait parler. Pourquoi donc fe preflTent-ils li fort de pren- dre couleur à temps <5c à contre- temps PCeft qu'ils fçavent que c'efl: le moyen de faire accueillir leurs ouvrages par la curiofité publique. léù Traité de la Population» Autrefois on rifquoit le fagot, ou du moins l'horreur publique ôc le mépris des honnêtes gens, quand , pour fe faire admirer d'un petit nombre , on hazardoit de fembla- blés traits ; aujourd'hui ceft le moyen de fe faire une réputation accueillie d*abord par les fols, Se dont le grand nombre eft enfûite la dupe. Il fèroit donc vrai de dire que le relâchement des mœurs en ce genre eft plutôt le principe de l'in- décence qui règne à cet égard dans nos écrits , que celle-ci ne Teft de ce relâchement ; mais le vrai point eft que ces deux maux font en- femble un cercle vicieux de la plus grande conféquence pour le main- tien de la fociéfé. Cependant , com- me non-feulement les écrits font portion des mœurs , mais encore en font la partie la plus voyante , îa plus contagieufe , & la plus du- rable 5 il s'enfuit de-lh que de toutes les négligences de la police , la plus condamnable eft auiîî celle qui porte vers le relâchement de Les Mœurs, lèt Tattention à purger les écrits de toute trace d*irrcligion. Je n'ignore pas tout ce qu'on oppofe à cette inquifition aufîî an- cienne que les moeurs 7 & qu*on ne trouve jamais plus rigoureufè que lorfqu*elle devient plus indiP- penfable. Gêner la liberté des écrits , dit -on , c'efl exercer la plus odieufe & la moins frudueufe des tyrannies ; c*eft relTerrer le génie , & conféquemment donner des en- traves à Tame des citoyens & à toutes les venus qui en dépendent 5 c*efl: d'antre part gêner le com- merce rapportant de la Librairie , & en renvoyer les profits chez nos voifuis qui impriment & débitent tout 5 & qui s'en trouvent bien. Mille autres cbSedions de détail naiiïent de celles-là, & s'y rappor- tent : je crois très-aifé d'y répon- dre. Les écrits ne font autre cho(e que le tableau de nos penfces , le regiilre de nos idées en principes & en conféquences , d'où s'enfuit que qui gêne indiftinclemenc les 161 Iraité de la Population, écrits 5 tend , aatant qu'il lui eft pofîîble , à perpétuer renfaiice de l'humanité , & à priver la fociété de cette communication d'idées , qui nous mettant à même de pro- fiter des travaux de ceux qui nous ont précédés , pour abréger les commencemens , nous facilite la direélion de toutes les forces de notre efprit vers le progrès. En conféquence , une tyrannie indif- tinde fur les écrits eft le premier des crimes de léze-lmmanité; mais par la même raifbn auffi , une in- différence abfolue iiir cette partie du gouvernement eft la plus dé- fedueufe des branches de Tanar- chie. Sans m'étendre ici à difçuter ce que c'eft que liberté, matière auffi ai fée à ramener à Tes vrais prin- cipes , qu'étrangère , quant au mo- ral 5 au fujet principal de cti Ou- vrage 5 il fufïît de dire qu'on ne peut appelier gêne ici-bas, que la fupprefïïon de nos facultés utiles. Sans cette referve la liberté dégé- nère en brigandage abfolu j or cette tes Mœurs. 1^5 diftindion une fois pofée, je de- mande de quelle utilité peut être au .public & à chaque individu en particulier l'étalage des idées tran(î- toires de chacun d'eux en matière de Religion. De deux chofes Tune , ou la Religion eft révélée , ou elle ne Tefl: pas. Si elle efl; révélée , nous ne devons plus qu*adorer & obéir ; fes Miniftres font prépoies pour nous en inftruire , le Gouverneiriçnc pour en faire refpeéler les obfer- vances , & pour empêcher que les paGions humaines , fous ombre de zèle 5 n'en altèrent la douceur ^ la pureté, Se tout efl: dit. Si aucon- traire c'efl une invention humaine tilTue d'erreurs 6c de preftiges dans îe droit , mais établie fur la plus antique convention dans le fait, Je demande fi parmi ces petits éclairs .d'anti-Prophcres il en efl; un feul qui veuille foutenir de fang froid que la fociété en feroit plus heu- reufe , fi Ton ôroit ce frein à toute l'humanité en général. S'il s'en ren- contre un alTez fol pour cela, vous 1^4 Traité de ta Population: le feriez convenir également que la patrie efl une idée , & que ubi be^ ne j ibi patria ; que le refpect dû aux Souverains n'efl: que la loi du plus fort civiliféej que nos mères nous firent fans penfer à nous ; que notre poftérité eft un mot , que Ta- mitié n'eft autre chofe qu'une main qui frote Tautre ; que la probité n eft que Tart de mettre de Ton côté les circonftances ; la pudeur, qu'une attention aux bienfcances j la foi , un lien pour les fols , & un moyen pour les honnêtes gens ; qu'en un mot , chacun n'eft ici* bas que pour foi. Je ne crois pas, quelqu'ingénieux que puiHTe pa- roître ce démonftrateur , que per- fonne ioit tenté de le prier de ré- former la République & de la peu- pler de Tes proféîyres A ce petit nombre près cependant , & plus petit qu'on ne fçauroit croire, tout le refte conviendra qu'il faut une religion au peuple & à tout ce qui penfe en vu'gaire , de quelque rang qu'il pLiifTe être. Je le crois aulfi comme eux, Celapofé, fans entrer. Les Mœurs, i^f ctans la difcufîîon des principes ôc de la morale de la Religion reçue, fî-tôc qu'elle s'amalgame avec les liens de l'Erat, de façon que de- puis un efpace de temps immémo- rial l'Etat fubfifte avec elle & peut- être par elle, c'eft une démonftra- tion de fait , qu'il doit être interdit au premier Chef , à tout citoyen grand ou petit, de porter des ac^ teintes publiques à cette loi pre- miére ; défendu , dis-je , excluiîve- ment jufqu'à l'arrivée de l'Antc- chrifi: qui doit paroître armé de forces , de miracles & de tout ce qui peut opérer enfemble le ren- verfement de l'ancienne fociétéj&r l'établi llèmenî d'une nouvelle. Per- mis à nous d'opter alors ; mais jus- qu'à ce qu'il nous ait fait notifier fon arrivée , il n* eft nullement con- tre la liberté publique & privée de barrer le fifflet à fes précurfeurs, puifque ne pouvant procurer un mieux ni k eux-mêmes ni aux au- tres, ils ne font propres au con- traire qu'à égarer les efpritsfoibles ÔC préfoîîiptueux , à éveiller la cor- ^66 Traité de la Population. ruption humaine , ôc à TafFranchlr da feul lien qui tôt ou tard mec un frein à la cupidité. Quant à la petite vilaine raifoii de commerce qu'on afTocie à celle que je viens de combattre , je pour- rois répondre en bref, en difant qu'un commerce de corruption veC- femble en profit à celui que firent les Marchands de Marfeille, qui y apportèrent la pefte il y a trente- cinq ans. Mais on m'attaqueroit encore dans cette généralité , en me difant que les Livres défendus ne nous viennent pas moins des étrangers ; qu'ils font d'autant plus recherchés qu'il eft plus difficile de les avoir, ôc qu'en ôtant ce profit à notre Librairie , nous le portons au double à nos voifins. Il fauc donc trancher dans le vif & dire , ^i*^. Que ce prétendu défavantagef ; n'exifte pas. 2°. Qu'il n'eft pas vrai qu'on life autant les Livres exac- tement défendus , que ceux qu'oa. débite en toute liberté. Je dis que ce défavantage n^exifte. ^ pas, de je le foutiens , du moiiis tes Mceursl I6y dans mon principe ; car de ce qu'un ouvrage eft parfemé de quelques traits trop marqués ou même fuf- peds en ce genre , je n'en conclu- rois pas qu'il fallut le fupprimer, quelque médiocre qu'il pût être d'ailleurs. L'amour propre d'un Auteur commençant, ivraie de la récolte préfente , promet le bon grain de la moifTon future. Il ne doit donc être ni révolté ni rebuté; au contraire , quelques foins de détail, en marquant les endroits à fupprimer , &: paroidànt entrer en capitulation avec la paternité fouf- frante , fauveroient l'ouvrage & l'Auteur. Je fçais toutefois qu'il en eft d'opiniâtres, à qui un trait de plume efl: un coup de poignard ; mais la menace alors d'un Souverain irrité qui fçauroit retrouver l'écri- vain dans les entrailles de la terre , fèroit un fpécifique admirable, & je vous réponds que bientôt rien ne feroit plus orthodoxe que nos écfits. Le plus grand nombre donc de ces ouvrages paroîtroit égale- ment fans rien perdre de leur uti- Traité de la Population: llîé-, Se quant à ces avortons de libelles qui nont de mérite & d'ob- jet que leur corruption ôc celle de la fociété , leur anéantiflement eft un des plus grands biens que la vigilance du Gouvernement puiiïè lui procurer. Il n eft donc pas vrai que lat- tention de la police fur ce point elîentiel falTe languir la Librairie 5 ôc quand on lui raviroit le profit de quelques ouvrages du temps , en combien de façons ne peut- on pas lui en faire retrouver le dédom- magement? Sont -ce les ouvrages nouveaux qui ont fait valoir les prefTes des Elzevirs , des Blaev , des Vafcofan , qui de nos jours ont tranfporté dans le fond de TEcofTe la branciie de ce commerce la plus rapportante en proportion ? Cet art , comme tout autre , a be- foin de protection Se d'encourage- ment , Se le premier effet de ces deux chofes dok être de le purger des vices qui peuvent le déshono- rer , Se le rendre nuifible. C^uant à l'objedion , quç la dé- ffufe Les Mœurs. i6^ fetife donne plus de vogue aux Livres dangereux j cela n'eft vrai quen un fens > Ôc pour un pecic «ombre de Livres & de Le(flcurs. Je crois bien qu'une défenfe , qui ne confifte quà refufer Tapproba- tion&. même la permifTion tacite, ^ qui mollit dans la recherche Ôc h pourfuite des concrevenans ,, quand après cela le Livre paroîc furtivement , a le même inconvé-. nient qu'ont tous les demi- remèdes dans les grande maux. Il ened de même de toutes les Loix qui de- meurent fans exé^zution ; il^vaudroic mieux qu'elles n'euifent jamais été portées. Si même obfervanr avec îpin d'en empêcher l'imprelîîon ea France , on ne porte pas la même vigilance à en arrêter l'introduc- tion, quand ils viennent des pays étrangers , on s'expofe à l'un & à r*autre des inconvéniens. Mais une égale levérité fur ces deux chofes p^reroit à tous les deux à la fois. Je fçais néanmoins qu'il eft impof- Cble de tout arrêter ; mais alors ce ^ui s'en ^lilfera fera peu nombreux, //, Farde. H 170 Trahi de la Topulatlon, jamais contrerait en France, &" pat cônféquent infiniment moins ex- pofé à la curiofîté publique. Tous les Livres bons, utiles, & difpen- dieux à faire imprimer , paroîtronc dans Tattitude décente que vous leur prefcrirez. Mille Auteurs châ- tieront eux - mêmes leur propre ouvrage, plutôt que de livrer leur manufcrit en Hollande à la mal- façon des Imprimeurs ^non diri- gés ; & petit-à-peiit la vanité lit- téraire abandonnant ce moyen odieux de fe diftinguet , rentrera dans l'ordre & le refped dû à la fociécé civile. Au - lieu de cela , Faudace de quelques Ecrivains principaux une fois appuyée par la con(îdération due d'ailleurs à leur mérite, juftifice par les contorfionsi données au véritable fens de leurs apophtegmes, devient le germe & la femence d*une infinité d*avortons Cjui n'imitent que les vices de ceux iqui leur ont donné le fignal : la tolérance pour les premiers afure Fimpunité des autres. Bientôt ils fe luulciplieiit au point qu'on dîroif Les Mœurs. 17 1 (fane armée de taupes Se de mu- lots qui ont conjuré de renverfer le Temple de Jerufalem ; & notre poftérité effrayée , fi elle ne vaut moins que nous , jugeant de let prit du temps par les feuls vertiges qui en demeureront , croira de- voir le jour à une race de Sacri- lèges Se d* Athées. Tout l'ordre civil en général a l'intérêt le plus direâ: à réprimer les démonftrations extérieures de la, liberté de penfer en matière de religion ; mais chacun des ordres diftinds qui le compofent , y a plus encore le fien en particulier. En effet , fi d'abord Tefprit d'in- dépendance s'efiaye fiir l'efpece de domination qui eft le plus hors de fa portée , c'eft moins comme la plus contraire de toutes à nos lu- cnicres naturelles qu'elle Tattaque, que comme celle qui a le m^ins de défenfeurs direds & per onnel- iement inréreffés à (on maintien. Au fond cependant , Ks rangs ôc l'autorité d'ici-bas mcomTio îenrin- fiiiiraent plus lesindépenlans, que 'lyi Trahi de la Population, ne font les hiérarchies céleftes *, & fî les Princes & leurs Miniftres remettoient à la Providence à ven- ger leurs propres injures , on n'ef- caladeroit plus les €ieux. Cette indudion feroit odieufe comme fuppoficion î mais elle git en fait. Qu*on examine L'état du Gouver- nement dans tous les lieux où la liberté de penfer au dehors & d'écrire eft portée au plus haut point en ce genre , on verra que par-tout Tautorité y eft combattue, & fujette à de grandes variations. On ponrroit me citer un peuple chez Ie.{uel le gouvernement eft aufïî paiiîble & chéri dans les can- tons où l'abolition de tous rites extérieurs a bien refroidi la foi , que dans ceux livrés , comme ils difent , à la fuperftition Romaine} mais je ferois remarquer aufîî que c'eft peut être le pays du monde où *aveu public d'irréligion , &oii la dérifion fur cette matière feroic le plus ma! accueillie. Je le répète»' Finrérieur au fond importe peu à l'Etat ,rey"érieur feul eft du.diftriâ; de la police^ Les Mœurs] 'it$ Quoi qu'on en dife , rien n*eft: Rien n'eft moins intolérant que refprit de la ^""'"'^ '" °" ^ ,. . . uni 1 eianr que Religion, rien ne 1 eft plus que la l'e prit delà raifon d'Etat. La Religion s'efl éta- ^^"^"'",* blie &: étendue fur la ruine à^s p^.'s que la anciens cultes par la douceur , par laiion d'£- la fainteté de fa morale &: de Tes ^^^* premiers Seâ:ateurs. Quand les Princes l'embralTerent , ils y mê- lèrent la raifon d*Erar ; ils abba- tirent les temples que la Religion avoit feulement rendus déferts. Quand les invafions des habitans du Nord changèrent la face de TEu^ rope , la Relii^ion fut au-devant d'eux 5 &: émou(Tà une parr'e de leur barbarie. Quand du fein de cette même barbarie j le zèle en- voya des Mifîîonnaires aux extré- mités du Nord , ils parurent tels que les premiers Apôtres ; les Au- guftins d'Angleterre , les Bonifaces d'Allemagne étoient doux , fimples, zélés &: bienfaifants comme eux. Les Princes vinrent à l'appui de ces midîons j & l'on doit imputer à la barbarie des mœurs &: non à la Religion , les cruelles convcrfions Hiij 174 T^^^^^^ ^^ ^^ Population, faites par les Teutoniques , & leffrayante difcipline établie parmi les néophites du Nord. Qiianddans la fuite on couronna les Minières de la Religion 5 c'eft à l'homme ^ c e^ au fceptre qu*il faut attribuer leurs enrreprifes atnbitieufes auf- quelles la Reigion n*'ofFroir que des prétextes , fpécieux feulement aux y/^ux des bat tares : les coir.bats en grofïïrent l'effet, la lumière les a diflipés. Ce qu'on appelk depuis tror^bîes de religion , ne fut que des guerres d'ambition & d*auto- rité. Qu'on m en montre une feule , dont TefFet principal ait été le changement dans l'Ordre Eccle- iîaftique. Bien peu réfléchi fut ce mot de la Reine Catherine, quand on lui annonça la perte prétendue de labataille'de Dreux : Etbien^ nous prierons déformais Dieu en François, Charles I. en fut -il quitte pour abandonner les Epifco- paux , & biffer la Liturgie ? Je fçais que les Eccîéfiafliques ont cré les féconds acleurs dans ces trou-- blés , & fouvent les plus fanati- Les Mœurs. 17 j ques ; maïs rien n'eft moins l'EghTe que les Eccléfiaftiques paiîîonnés. Ils étoient barbares dans les fiècles barbares , fougueux dans les ficelés fougueux ; mais rinquifition même, ce Tribunal effrayant autrefois dans Tordre civil , comme l'arrière ban rétoit à la guerre, & caduc aujour- d'hui comme lui , croit lui-même de rinftitution des Princes, & con- traire à TeTprit de !a Religion tou- jours douce 5 fimple & charitable , immuable dans Tes préceptes & dans Tes loix, ^ Les Prînces donc doivent être & font en g&z infiniment plus odieux à lefprit d'indépendance > que la Religion , & dans le fait ♦ je àè^Q qu'on me montre un feul Livre où Ton porte des attaques diredles à celle-ci , qui ne porte en même temps Tempreince de cet efprit de difcuiîîon du droit des Souverains. Les uns , Philofophes libres en ramèneront le principe à un contrat refpeétif entre le Prince & fes fujecs , dont la moindre tranf-^ Hiv Ï7^ Traité de la Fopuïatwn: grefîîon diffout les claules & con- Huions. Philofophes aveugles , qur lae penfent pas que ceprineipeune fois établi déchaîne le fort éc ter- ralTe le foible , au- lieu de Tefïèt contraire qu'ils en efpéroient. Le Prince efV par-tour le Cht,f mili- taire, il eft par- tout le diii ri-buteur des grâces ^ de conféquemment le- Chef de rînrerêt. Qtiel enrhoufîafte à cent bouches peut efpérer de réunir une im enfiré d'hommes contre le maître de ces deux mo- biles, toujours fur de fqparer qui il voudra de la foule par les liens de la crainte & de Tamour propre Des tyrans ont prononcé cesmots^ terribles & exécrables à la pofté-^ rite : Révohe^-vous _, nousvoiis cort- querrons. Ces fléaux de l'humanité croient de la même fede que nos Philofophes. Ils vouloicnr ignorer qu'il eft un contrar coéternel entre Faurorité Bc la di^pcndance , contrat établi du Créateur à la créature , qui confiée enprotedion &: fureté de la part de l'autorité , en obéif- fance & fervices de la part de la les Mœurs. 177 dépendance, & fur-rout en amour reipectif de part & d'autre. Vainement & mal- à- propos même établirois-je ici les princi- paux dogmes de cti efprit de li- berté. Je viens de combattre le moins déraifonnable j il en eil de tellement emportés , que de fang froid ils n'ont pas de honte de ré- clamer contre des tyrans ^ddhune épée & du courage. Il eft contre mes principes de relever des quef- tipns & des délires propres unique- ment à réveiller des fentimens d'indignation chez les Pafleurs des humains. J'en ai dit aflez pour en venir où je veux. Je demande donc laquelle de ces deux opinions , ou de celle qu'éra"- bliiïent nos Philofophes , ou de celle qui regarde comme devoir ratta- chement refpedif entre le Prince & Tes fuiets, eft la plus propre à faire naître & germer dans les cœurs cetaaiour de la patrie, dcvnt j'ai fait le fécond principe des ver- tus des Romains» La foi du ferment nétoft aatr^ H V lyS Traité de la Topuîatîom chofe 5 que le refped pour la re- ligion. Par elle , le Plébcien le plus féditieux dans fes murs devenoit le foldat le plus fournis , & le plus fidèle à ce même Patricien qu'il menaçoit de mettre en pièces dans îe Forum ^d^ qui décidoitd^un coup d'oeil de fa vie ou de fa mort, dès quil étoît enrôlé. L*amour de la patrie n'étoit aufïî qu'un mélange fîiperftitieux de religion , de ref- ped , d'eftime & d'attachement pour les difFérents ordres de la République , de tendrefïè pour /es proches & fes concitoyens , & d'orgueil confondu dans la gloire de la patrie. Pourquoi ne ferions- nous pas fufceptibles des mêmes fentimens? Ne peuvent-ils fortant de l'enceinte des murs d'une ville , s'étendre fur le territoire entier de l'Etat ? La France entière ne peut- elle être la patrie d'un François, êc ne fçaurions-nous aimer notre patrie ? Vn homme , dont Je me fera* toujours honneur de refpe(5ler le génie a les talens , & rérudition » Les Mœurs, ijf a établi de nos jours dans un ou- vrage fait pour être immortel y "^ que la vertu politique qui ejl la, vertu morale dans le fens qu'elle je dirige au bien général ^ n*a poinc de lieu dans les Monarchies ; & que VEtat y fubjifte indépendam- ment de l'amour de la patrie. Ce (èroit être le Zoïle de notre (îècle , que d'entreprendre de le critiquer fur-tout après fa mort ; & fi j'étois aflTez fol pour cela , je le tenterois moins fur les morceaux que je cite que fur tous autres. Ce n eft pas que je ne marche devant moi fans in effrayer des autorités qui toutes méritent qu*on s'arrête , mais au- <:ane, qu'on (è détourne. Quelque admirables & fines que foient les diftindions qu'il établit dans cet endroit , quelque juftes même quelles puKTent être, je ne (çais, par exemple, s'il n'a pas confidéré les Monarchies plutôt dans un étac de maladie , que dans leur confti- tution naturelle j mais fans encrer * Voyez PEfpritdes Loix, Liv. 5, Cksf, 5. ^. & 7. H v| iSo Traité de la Population, ûms cet examen qui me méneroîî. trop loin , mon objet à moi eft borné ; je con(klere ma patrie uni- quement , & je ne crains pas de dire que de tous temps les exem- ples domeftiques parmi nous ont démenti fes principes à cet égard. Il eft des diftindions de détail dont il étoit plus capable qu'un autre de fentir la vérité , mais dont Ja difcufîîon lui étoit interdite par rétendue du plan de Ton ouvrage > & le concis de i'exécutioni, Pac exemple , en admettant la peinture également vive & vraie qu*il fait des Courtifans de tous les temps.; & de toutes les nations , en lui. accordant la mineure de Ton argu- ment qu il établit en cet mots : * Or il eji tr es-mal- aifé que les prin- cipaux d'un Etat fuient mal-hon- nêtes gens j & que les inférieurs fuient gens de bien ; que ceux-lch f oient trompeurs j & que ceux-ci confentent à n'être que dupes ; on» peut en mille manières lui difputetï la conféquence qu'il en tire? qu'il ^ Ibid. Chap, f. Xes. Mœurs. iiî feft trcs-mal-aifé que le peuple foir yertueux dans les Monarchies. Dans cette fpéculation en effet , il ne diftingue point aflez la confti- tiition intérieure des Monarchies d'avec celle des Républiques. Cel-- les ci font , pour ainfi dire , une tnadè 5 un bloc où tout eft peuple: on en tire lés Magiftrats qui ne font point corps, & nefontdiftin^ gués que comme repréfentans visi- bles des Loix. Dans cet Etat , quand les principaux font mal- honnêtes gens, il eft difficile que la corrup- tion ne gagne les inférieurs. Mais la. Monarchie efl un compofé de difFérents-ordres de hiérarchies diC- tindes , diverfes en mœurs comme en fondions , en prérogatives , en efpérances. & objets d'ambition. Toutes ces variétés font autant de barrières contre Tépidémie de lar corruption. Le Courtifan peut être unbasflatceur,fans que le Militaire, le Magiftrat & le Commerçant le deviennent : Texemple le démontre chaque jour. Nos Courtifans ont tous des emplois dans le Militaire». iSi Traite de la Population. Si fe retrouvant à la tête de leurs ^ troupes ils ne déporcnt \qs mœurs de la Cour , loin d'y acquérir au- cun crédit, ils y tombent bientôt dans le mépris : grâce à notre fle- xibilité , la plupart y paroiffent d*aurres hommes , finon ils difpa- roifîent promptement, & vont fe renfermer dans l'exercice du noble empire de Tantichambre. Or re- voyons les Courtifans restreints à cette unique prérogative; de quel droit alors les appellerions- nous les principaux de l'Etat? Sans li- berté , fans jurifdidion quelconque , ils obtiennent des grâces j ce ne font que des gages & des profits. Quiconque s'abftient d'errer à Ver- failles dans les appartemens , igno- rera à jamais leur prééminence qui n'a nulle part autant de réalité , que celle du gardien des fols au milieu de fes huttes. L'amour de Quoi qu'il en foit de ces induc- fe^doirexif- ^ionsj Je foûtiens que l'amour de ter dans la la patrie peut exifter dans la Mo- Mon.ichie. ^^^^^-^^ ^ puifqu'il fut en vigueur parmi nous. Je ne connois pas de Les Mœurs. lË^ meilleure preuve que celle qui git en faits. Qu'on repa(Tè dans fa mémoi- re une infinité de traits héroïques faits par nos Militaires pour le fer- vice du Roi qu*ils n'avoieni jamais vu , & n efpéroienr jamais voir. Ceft rhonneur, dira-t-on : diftindlion fine & jufte de l'homme que vous ofiez contreJire tout-à-rheure. Eh î qu'eft-ce que cet honneur ? Il le définit lui - même. La nature de l'honneur _, dit-il , efi de demander des préférences & des diftincîions, Etoit " ce cela précifémenr que cherchoient les Duguefclin & les Bayards ? Sans doute , me dira- t-on. Leur prud'hommie fe pré- féroit aux honneurs & aux digni- tés ; mais elle n*en éioit pas moins un (èntiment perfbnnel , & détaché de toute idée de patriotifme. A vouloir alambiquer ainfi les fènti- mens , chacun auroit raifon mille ans durant fans fe rapprocher, le papier y gagneroit , Se la vérité feule y perdroit. Mais j*en appelle aux hommes qui la cherchent , ôc j€ foûtiens que les héros , les fana- ïS4 Traité de la Population. tiques même des Républiques , les Horatius Codés , les Curcius , en fe dévouant pour la patrie, avoienc pareillement en vue leur diftindion perfonnelle. Si cet amour pour fa patrie eft une paflîon pour les murs » un attendrilTement en revoyant les foyers domeftiques , le François , le plus volage des peuples, en efl: moins fufceptible que tout autre , & nous n'avons en ce genre de patriotes que les âmes foibles, les jeunes gens expatriés &: qui font attaqués de la maladie du pays. Si ceft un attachement fuperftitieux àc capable de fougue , je doute qu'on en voye jamais de plus forte que celle du peuple de Paris lors de la maladie du Roi. Profterné dans les rues, il baifoit les patu- jons du cheval du courier qui ap- portoit les nouvelles de la couva- lefcence- Amour du François pour fon Roi , dira t-on. Eh 1 c'eft pré- cifément ce qui vit en nous tous , ce qui nous fut tranfmis par nos pères avec le f'^ng qui coule dans nos veines , & que j'appelle amour de la patrie. ^ 1 Les Mœurs, ntf En effet, par- où le peuple coiî- noît-il Tes Rois? Depius cent ans, ijls nonr prelque paru dans la Ca- pirale & dans aucune autre Ville principale du Royaume. Leurs Edits burfaux font timbres de leur nom 5 & promu Ignés avec toute Tauthenticiré p'-ffible : leurs chari- tés font diftri'^uces par des agens qui s'en font un dilliicfè perfoiinel^ irurs grâces font follicitées dans Fombre du Palais , leurs bienfaits ferfib'ent une fuite d*un courant indilpenfable , leurs travaux font ignorés du grand nombre , leurs piaifirs font vus de tous, leur bonté domeflique tombe fur des frelons altérés, dont i'avidité s'accroît de ce qui devroit la fatisfaire. Ils font bons , jufles , craignant Dieu , & refpeâ:ant rhumar^ité jmais la Ma- ;e/lé du thrône tient dans Féîoi- gnement leurs vertus , &r Tétenduë de l'Empire empêche qu'ils ne puif- fent par - tout pourvoir à ce que leur nom ne foit pas profané, en le faifant auteur des larmes du pau- vre. Nous aimons tous le Roi i8é Trahi de la Population, cependant , & qu'entendons - nous par'Ià?Eft-ce un homme fujet aux mêmes incommodités que nous i, qui devient par ce titre l*objet d'un attachement qui va prefque jufqu'à J'idolatrie ? Sans doute c'efl: lui , {\ nous regardons celui d'aujour- d'hui , dont ies qualités font défor- mais inféparables de Ton titre ;mais connoiiFons - nous Ton petit- fils ? fçavons-nous s'il aura les vertus de fes pères ? Que ces têtes précieufès périclitent , vous verrez bientôt la confternation fe répandre dans le public. L'axiome impie , Nous ne manqnerons jamais de maîtres ^ n'aura plus de partifans de fait , le deuil fera général , tout courra au pied de ces autels déferts huit jours auparavant. Mais dira- 1- on , c'efl: que la fuc- ceffion fixement établie autrefois Ôc de façon à ne laiflfer jamais le throne difputable , pourroit aujour- d'hui par des arrangemens parti- culiers occafionner , au défaut de la Branche régnante , les plus dan- gereux des troubles. Ceft où je Les Mœurs, 1S7 vous attendois : c'eft donc la patrie que vous confidércz en la perfonne du Roi 6c dans la famille. Autant en fit autrefois Achille du Hirlai, quand rtfufant de ligner rabolition des droits de la Maifon Royale au thrône , il marcha vers la prifon en di ■ ant : Mon ame efi a Dieu j & mon corps au pouvoir de la vio- lence. Il ne connoidoit pas les Bourbons , il n woit p|s lieu de les a^merj mais il connoifîbic le droit de cette Maifon à la CouroQ- ne , &: fçavoit que Tordre inaltéra- ble de la fucceflîon efl le premier & le principal fondement de la Monarchie. Sans examiner , direz-vous , quel fut le principe de rhéroiTme de du Harlai , il faut convenir qu il n en- tre dans nos craintes aduelles , en fuppofant le cas malheureux dont vous parliez tout-à-Theure ^ rien de ces motifs nobles qui compo- foient Tamour des anciens pour leur parrie. Nous fommes bien , chacim aime ce qu'il a , & tous ont à perdre dans des temps de trouble 1 8 8 Traité de la Population: Ôc d*anarchie. L'intérêt que rious^. prenons au maintien de Tordre , eft amour de la patrie , à peu- près comme Teft le foin que nous pre- nons de la clef de nos maifons. Je vous en croîs fur votre parole 9 vous qui êtes bien ; mais penfez - vous que tous les autres foient de même ? Beaucoup de gens fouf- frent , & peuvent penfer que c'eft à leurs dçpens ^ & néanmoins de par le Roi que vous êtes* bien. Cependant en général tous aimene le Roi 5 & par conféquent l'Etat & la patrie. Ce germe de zèle & d*amour qu'on croiroit quelquefois éteint , à entendre nos difcours , dont Timprudence & la légèreté ont (\ fouvent trompé les ennemis de l'Etat toujours étonnés de reten- due ^ de la célérité de fès relTour- ces , ce germe , dis-je , fe ranime , & prend feu dès la première ctm- celle qui fe préfente : nous le voyons revivre fous nos yeux aujourd'hui ; & c'eft 5 malgré tous les preftiges de Tintérêt, le véritable, & après la Providence , Tunique appui de la Monarchie. Les Mœurs: iS^ Les vertus donc qui dérivent de l*amour de la patrie , c'eft-à dire 9 toutes les vertus nobles , généreufes & élevées , non-feulement peuvent cxifter parmi nous , mais y font encore toutes vivantes. Elles font dans les mœurs , s'épurent & s'élè- vent avec elles, s'encrafTent Se dé- choient , quand les mœurs tendent à leur corruption -, c'eft-la le point efTentiel. Le^ moyens de les main- tenir , de les étendre , dépendent ici 5 comme en toute autre chofe, de l'exafle connoi (Tance du prin^-^ cipe. Pour le mieux rapprocher de notre façon de concevoir , dépouil- lons-le des idées fantaftiques que les récits peut-être exagérés de l'antiquité nous ont fait attacher dès l'enfance à ce grand mot , /amour de la patrie ; & difons que l'ardeur pour l'intérêt public efl cela 4 le penchant à l'intérêt parti- <:ulier eft le contraire. D'après cette définition , je pa^' rois détruire moi-même d'un trait 4e plume tout l'édifice que je vieng; Î90 Traité de la Population. d'élever. En effet, en nous regar- dant les uns les autres 5 quedis^je, hèlas ! en nous tàcant nous-mêmes ^ notre confcience ne nous dit -elle pas que fi Tintérêt public préféré à hntérêt perfonnel eft le caradere du citoyen, il nen eft aujourd'hui plus en France ? Trois réflexions doivent nous confbler. i c>. Toute la France n'eft pas encore renfer- mée dans la Capitale, i^. L'on trouve encore dans cette Capitale même de ces hommes faits pour penièr & fentir en grand. Il en eft un dans ce cabinet, ôc le portrait d*un autre. J'en ai connu plufieurs autres ailleurs. 3*'. Grâces à la fle- xibilité de la nation & à Ton attrait pour tout ce qui tient & mène à la gloire , il fera toujours aifé d'y ramener le plus grand nombre. L'intérêt privé des temps pafles étoit un refte d'un plan de projets coupables , mais qui du moins avoient , en un certain fens , un air de grandeur & d'élévation. Le rétabli (lèment des grands fiefs , & h dépendance immédiate fut le Les Mœurs. i^i leurre donc la Ligue fe fervit pour féduire les grands Seigneurs & la, Noblefle d*aucre£ois. Cette hydre diflîpée par les vertus , Vadmzé ôc le bonheur da Reftaurateur de la France , lai(îa des traces encore de Ton pafTage. Les Gouvernemens , les Places , tout enfin ce qu*on ap- pelloit alors états & dignités , don- noit une forte d*autorité immédiate qui mettoit le fous - ordre dans la dépendance direâ:e du Chef, Ôc Tengageoit à faire confifter fon honneur en une fidélité pour fon commettant, exclufive même pour le Prince. Prefque tous les objets de Tinterêr prometcoient de Tauto- x\té ôc prefque de l'indépendance; c'étoit en un mot de lambition alors , aujourd'hui c eft de la cupi- dité, du péculat 5 de Targent. Je connois ma nation : habile à fondre & diffiper les métaux , elle n eft point faite pour les honorer d'un culte d'habitude ; Ôc le plus léger fignal la trouvera toujours toute prête à fe retourner vers Tes ancien^ nés idoles, la valeur, Tintrépidité;» la tç^ Traité de la Population, ; | gloire , & , je Tofè dire, la magn'â^ «imitée Mais il n eft de tempérament fi fort qu*un régime conftawc de mol- îefîè n'afïbibliiTe. Dès qu*on par- viendra dans un Etat à ne connoître plus de diftind:iy gneur en France , s'il n'a deux w cents mille écus d'argent comp- n tant dans Tes cofFres , &: de quoi » armer dix mille hommes dans n fes raaifons. " Comparons feu- lement cette idée du grand Seigneur avec celles qu^'on s'en fait aujour- d'hui, ces projets de leur avidité avec les objets de dépenfe qui ex- citent la cupidité de leurs de/cen- dans 5 & mefurons , s'il fe peut ; la diftance. Ce n'efl aiïurément pas en cela que la progreflîon pourroit être //. Partie, I 1^4 Traité de la Population, Avîliflement Contre iious. Tout bon citoyen des grands conviendra qu il vaut mieux que pXdfdT'les grands Seigneurs foient nuls , l'anarchie qu*en pouvoir de divifer l'Etat & abfoiue. ^g j.gj^|j, jA^g ^ iguj- Maître. Mais n y a-t-il point de milieu ? Ce fe- îoit un blafphême de le dire , puif- que fi d'une part l'indépendance des Seigneurs menace TEtat de trouble & même de démembrement , de l'autre leur avilifîement abfolu & ranéani'fiement des hiérarchies eft un prélude de Tanarchie totale , & le délire d*un peuple qui , quelque temps avant que de dilparoicre de ia iurface de la terre , repréfente impudemment les monftrueufes fê- tes des Saturnales. Il eft donc un milieu : notre Gouvernement Ta connu , il eft néceflaire d'en con- Tidérer la marche , pour prévoir les inconvéniens qui pourroient le détruire. Louis XIV. ce Prince C\ grand aux yeux des contemporains , & qui fera à jamais pour la poftérité un monument des forces de l'hom- me 5 comme aufii peut - être du Les Mœurs] i^j danger de fes foiblefles , voulut que déformais perfonne n'exerçât de jurifdidion fupérieure dans foH Royaume que par lui. Il aimoit le fafte & la magnificence; fa gran- deur naturelle aidée de tout ce qui a droit de nous éblouir , étouffa bientôt tout autre éclat. Tout de- vint planette dans VEi^t , il n'y eut plus de foleil que lui , & de lumière que d'emprunt & de réverbère. Soigneux d'être rendu tel qu'il ctoit par Tes repréfentans , il groiïit les émolumens des Charges & des Emplois , voulut que Tes bienfaits ferviflent aux dépenfes d'éclat , comme il y faifoit fervir fes thré- (brs, & en combla la mefure fur la tête de ceux qui s'en fer voient à honorer leur emploi , & l'Etat par contre- coup. Par ce moyen , il parvint à ramener tout à Ton fer- vice, chacun s'emprefïïi à confom- mer fon propre patrimoine pou- fe rendre- digne d'en obtenir l'équi- valent en vager & penfions ; & la fplendeur extérieure de l'Etat 1^6 Traité dé la Population. fuE à Ton plas haut point , ainfî que fon union intérieure. Jufques-ià , ou à peu-près , tout marche vers la folidité &c la déco-» ration de l'édifice *, mais tout ici-- bas peut dégénérer en abus , & les meilleures chofes quelquefois plus aifément que les médiocres, En ceci , par exemple , il Teroic poŒble que l'émulation perdant de vue la dignité & la confidération des emplois , les occafions qu'ils procurent de s'illuftrer par de grands fer vices, ou de s'honorer par une habitude de prééminence digne- ment foûtenue , fe retournât vifi^ blement vers la folde de ces em- plois , & en dédaignât les fondions. Les fautes inféparables de la granr deur, les nuages du palais aideroient d'eux-mêmes à cette décadence. Les OiEciers de la Cour, privilé- giés pour la familiarité du Prince, profiteroient de fa bonté pour obte- nir les emplois mêmes dont l'exer- cice devroit les éloigner. Le fervice du Prince mis en contradidion avec le fervice de l'homme aura certai- I Les Mœurs. ic^y hêment le deOTous. Dès - lors , un repréfentant en fous - ordre aura la commiflîon en Province , dont le Courtijan a le titre & les émolu- mens. Le Prince paie le double tandis quil eft plus mal fervi ^ attendu que le Grand , plus fait pour le repréfenter, demeure petit pour toujours , & que le petit qui n'a qu'un luftre d'emprunt , ne peut jamais fe proportionner entière- ment à la place d'un autre. Ce n'eft pas encore tout : on pourroit tellement s'accoutumer à Voir les emplois occupés ad honores^ qu'on ne trouvewit plus étrange de les perpétuer dans les familles par des furvivances : relâchement dont ©n fe fût bien gardé , fi les Titulaires les avoient exercés , puif- qu on ne fc^auroit oublier que les anciens démembremens de la Mo- narchie ne furent aurre^ chofe que les gouvernemens & bénéfices de- venus héréditaires. Dès - lors , un exemple fervant de planche à l'au- tre , on en viendroit à voir des cnfans, non-feulement occuper k« I iij ipS Trahi de la Population, Charges de la Cour , qui toujours^ feront parmi nous Tobjet de ram-^ bicion à^s hommes Jes plus illuftrés par de vrais fer vices rendus à TEtat, êc qui demandent une dignité de maintien & de repréfentation dont; la jeunelîè cft d*ordinaire incapable î mais encore en nailTant gouver- neurs de Provinces , de Places &c. le Prince feroit réduit à n'avoir de grandes grâces à faire , & lesfujets, à n'en efpérer , que par l'extinc- tion de quelqu'une des familles pri- vilégiées. Il s'enfuivroit dès -lors que ces grandes Places (ifeftimées autrefois par leur prééminence > par leur cor- refpondance néceffaire avec le Prin- ce 5 par les occadons de rendre des fervices d'éclat , fi propres à former des hommes par la néceiïité d'en gouverner d'autres , de manier les efprits 5 de faire refpe^ler l'autorité en fe refpeélant foi-même &c. ne feroient plus prifées que fiir le tarif de ce qu'elles rapporteroient , & que tous leurs autres avantages , les Mœurs. i^^ utiles à TEtat , loin de lui être oné- reux, feroient perdus. D'autre part , ces bienfaits im- portants, autrefois encouragement pour tous en perfpeâive. ne feroient plus qu'échelons pour un petit nom- bre pour atteindre à d'autres larcins. Sur cent hommes privilégiés , & bardés en nailTant de charges & de dignités, à peine s'entrouvera-t-il un qui regarde ces bienfaits préma- turés du Prince , comme un enga- gement indifpenfable pour lui de les mériter un jour , ou qui parvenu à rendre des fervices , fçache ré- pondre à un Maître bienfaifant qui lui offre de nouvelles grâces : Sirc^ je fuis payé d'avance. Cette mo- dération feroit au-defTus de l'hu- manité en un fiècle où root n'eft que métal, forte de chevancedont on n'a jamais affez. Au conrraire nous fommestouj^enclins de notre nature à nous identifier r.vec nos ac- ceiïoires étrangers. Quel eft rhom- me qui chargé d'un bel habit, & fatisfait du privilège d'aller ainii vêtu, tandis que tant d'autres Coac liv î ®o Traité de la Population. couverts de haillons , n afpire pas encore à fe faire faire place en vertu de cette décoration qu il fe perfua- de bientôt être lui : de même un Grand qui (èrt, oublie quêtre Grand eft fa récompenfe , & s'en fait un titre pour afpirer à de doubles avan- tages obtenus à moitié moins de fervices que fon inférieur. Les di- gnités donc, autrefois objet d'ému- lation & portion principale du thré- for de TEtat , deviendroient patri- moine des particuliers , . charges onéreufes dans TEtatj & prétentions contre la fociété. D'ailleurs , les Charges nayant plus d'exercice pourroient bien plus aîfément être réunies fur la même tête. Les Princes font hommes j. nous voyons tous avec prédiledion les gens que nous avons obligés j en conféquence les grâces affurenc la faveur , & la fave^ir de nouvelles grâces. Le célèbre railleur Comte de Grammont demandoit un jour à Louis XIV. un écu 5 enquis de ce qu'il en vouloir faire , il répondit que la première grâce coûtoit feule , Les Mœurs. 201 &qu*il feroit bientôt un grand Sei- gneur s'il obtenoit celle-là. Cétoic accufer indiredlement ce grand Prince de ce genre de foibleiïe. La grandeur d'ame des Souverains eft un piège contre eux en ce genre. Je t'ai comblé de biens ^ je t'en yeux accabler ^ n'eft que trop fou- vent la devife des Princes, Ce ne fut pas celle d'Elifabeth , dont le régne fut le chef-d'œuvre d*un ha- bile gouvernement. Elle fuivit la devife contraire , comme Reine ; & quand elle y manqua comme femme , elle eut toujours fujet de s'en repentir. Dans les temps de vigueur , les Charges fe défendent d'elles-mêmes de leur réunion fur la même tête. Sully iKçavoit répon- dre à fon Maître qui vouloir le prépofer à de nouveaux détails , qu'il étoit déjà trop chargé. Dans des temps tels que nous les pré- voyons ici 5 on n'en auroit jamais trop, attendu que les détails de- viendroient nuls 3 & que \ts rêve- nans-bons demeureroient réels. Cependant les condudeurs na- Iv ioi Trahi de la PopulatiorPl îurels de Teflaîii politique , devenus frelons , non- feulement confom- meroifnt le fonds & la fubfiftance de la ruche , mais encore devroiem être remplacés , attendu qu'il faut que le travail fe faflTe. UEtat livré à des condudeurs précaires , ne pouvant les récompenfer par les dignités & les emplois déformais attribués à un petit rtombre fans fondions , feroit forcé à recon- noître les fervices par des attribu- tions pécuniaires 5 aW/7^;2/?(7w^. Ce mot qui n'eût jamais dû avoir d'au- tre objet, que de foûtenir la veuve & Torphelin des bons ferviceurs , & les mettre en état d'imiter leurs pères , deviendroit Tobjet de toutes les prétentions , Tétiquette de tous les plâcets , un article enfin de bien- féance dans l'inventaire de toute famille honnête , ou fè prétendant telle. Dès - lors , non - feulement toute vergogne naturelle de de- mander, quand on n'a pas befoin, feroit perdue ; mais on enf^iendroit même au point d'être forcé à exi- ger des peniions comme marque les Mœursl ioj de fatîsfa6bion due aux fèrvices , & de fe croire déshonoré du refus de marquer Tes habics d'une goutte de fang du peuple. II feroic inutile de noter ici les in- convéniens plus choquants de ce dé* bordement de penfions ; leur exren- (îon fur des gens infâmes ou par leur conduite , ou par la profefîîon qu'ils exercent, leur entafïèment fur des têtes déjà accablées de bienfaits , de furvivances & de richefïès. Quoi- qu'au fond tous ces abus foienfcles fuites néceiïaires de l'introduélion de cette frénéfie , on peut néan- moins les confîdérer comme des furprifes faites au Gouvernement , ou des effets des paffions de ks arbitres ; mais , quant à ceux que j'ai cités ci-deffus, iln'efi: perfonne qui ne puiffe prévoir la poflibiliré de la progreflion dont je les ai fait naître. On en viendroir donc à forcer rhonneur même à defirer l'argent. Oh î je demande fi dès-lors , en Conséquence de ce dont nous fom- mes convenus ci-deffus , il faudroit I vj 104 Traite de la Population: s'étonner de ce que la patrie ne fournît plus de héros > plus même de citoyens. En effet , je me fup- pofe honnêtement né & doué d*une ame élevée ; il s'enfuit que j*ai de l'ambition , mais honnête , & qui ne fçauroit me forcer à déroger à mes principes. L'ambition dans ma patrie ne fçauroit plus avoir d'ob- jet que de l'argent : on en diftribue à la Cour fous le titre de bienfaits te de grâces : on en gagne dans les Finances fous le nom d'entreprifes & de baux : on en acquiert dans le commerce par le travail & le bon- heur. Sans contredit l'ambitieux honnête & vergogneux fe décidera: d'abord pour le commerce qui ne furprend perfonne, qui eft approuvé de tous ; ou faute de débouches & de talens pour cet objet de l'hé- roïfme du jour , dans mon hypo« thèfe il oprera pour la finance, où après quelques courbettes d'ini- tiation, il acquerra promptement le droit d'ordonner aux autres le même manège ; Se ce ne fera qu'au défaut enfin de toutes reflburccs & de :i Les Mceurs- lof lîelles même d*une philo fophie for- cée ôc infrudtueufe à TEcat , qu'il fe déterminera à prendre ou à con- tinuer la route des bienfaits & des grâces femée d'écueils & de para- iites , & à chaque pas toujours plus affligeante pour l'amour propre. Qu'on examine d'après ce ren- Dans m^s verfement d'idées nécefîîté par la "f^'°" ""^ prô- ne nature des chofes dans refprit feinon même du héros , TefFet qu'il doit ^"a eaimée produire dans celui de tout un peu- dr/ieVoUat pie en général. Si-tôt que chaque fera un gou- profeflîon ne fera plus eftimée que Jj^^^ ^'^J^^ par fa folde, le foldat qui ne gagne que cinq fols par jour , ne fera qu'un goujat auprès d'un laquais , & rOfficier de même auprès d'un valet- de- chambre. On fçait l'eftim» que les nations marchandes ont de tout temps faite des troupes : on fe doute bien de celle qu'en feroic un peuple financier» Nous avons à cet égard certai- nement décliné. Après la paix de Nimegue , le feu Roi réforma pres- que toute fa Cavalerie légère , & l'on conferva feulement la Com- lô^ Traité de la Population: pagnie Meftre de camp de chaque Régiment. En i6§8.on complettâ tous ces Régimens par des Com- pagnies nouvelles. J*ai ouï dire à plufieurs vieux Officiers qui en fi- rent alors , qu'ils formèrent leurs Compagnies entières de gens de bonne volonté ; quelques-uns en menèrent de furnuméraires , & la plupart en refuferent un grand nombre. Le Royaume croit plus peuplé, dira-t-on : je le fçai ; mais fûrement auffi il y avoit beaucoup plus d*ardeur pour ce métier-là dans la jeuneife d'alors , & beau- coup moins pour les emplois des Fermes &: des Bureaux. J'ai moi- même encore vu des reftes de cette brave curioiîré Françoife. Le de(îr d'avoir de beaux hommes pendant la paix ayant porté les Officiers à pouffer fort haut à Tenvi le taux des engagemens , on fit une Ordonnance qui les bornoit à dix écus. Cette loi caduque de foi , en ce que rinfpedion de Tes tranf- grefïïons efl: impoflîble au Légifla- teur , ne lailTa pas d'établir tout Les Mœurs] 207 "haturellement Ton taux pendant un temps. Il importoit peu au fond à des enfans de famille qui man- geoient dans une nuit le prix de leur engagement , qu*il fût de dix écus ou de vingt. La vanité feule- ment de fe faire payer comme bel homme , les avoit engagés à mar- chander. Aujourd'hui s'ils y taupenc la veille , le lendemain ils fe dé- gagent à tout prix;&: quant à ceux qu'on veut garder , il faut les éblouir ou les furprendre. Le principe intérieur & fourd encore de cette progreffion eft , je le répète , la décadence de l'eftime ancienne qu'on faifoit du Militaire. Or on fçait ce que furent de tous temps des foldats méprifés. Quel remède à cela , dira-t'on ? Les en- richir? Qiiand la chofe feroit pof^ iible 5 rien an monde n'efl: plus dangereux que d'allumer la cupiaité du foldar. Les premiers corrupteurs de la milice en ce genre égorgèrent leur patrie. On vit enfuîte la fol- datefque mettre l'Empire à l'en- can. Le remède n'eft point dans la 2® s Trahi de la Population, chofe 5 il eft dans la totalité des? mœurs. L'efprit militaire ne peut fè perpétuer dans une nation que par Teftime attachée à fa profef- Son. Cette eftime eft très-délicate , comme Teft tout ce qui tient à l'honneur. On propofoit en Suéde une loi pénale contre certains con- trebandiers , qui les forçât à être enrôlés pour toute leur vie. Et qut deviendra la dignité du nomfoldat ? dit un Député de Tordre des pay- fans. Beau mot qui arrêta la pro- mulgation de la loi. Souvent auffi les loix militaires elles-mêmes tranchent avec leur inftitution. La peine de mort , par exemple , ne doit être employée contre gens dont le métier eft de braver la mort , que dans le cas d*une mort infamante. Mais ct% digrefîîons deviendroient étran- gères à mon fujet. Revenons. L'or prédominant, je l'ai dit , ne peut faire qu'un peuple de mercenaires & d*u{uriers. Tel eft l'avenir malheureux que notre méthode actuelle pourroic Les Mœurs i le^ nous pirsfager , (î on la laiffoit dé- générer en abus. La marche unie & fenfible que j*en ai tracée montre mieux qu'il ne me conviendroit de le faire , le régime par lequel on en peut«S<: doit prévenir les incon- véniens. Mon objet eft rempli à cet égard, fi j*ai démontré i^. que Tamour de la patrie, & toutes les vertus qui en refultent , peuvent exifler parmi nous , puifqu'elies y furent «5c font même encore toutes vivantes. 2*^. Par quelle forte de relâche- ment on en peut éteindre le prin- cipe, & fupprimer la trace d*oà nailTent , fans que je hazarde de les prefcrire, les moyens d'en éta- blir «Se perpétuer le régne. Des trois parties que je devois traiter comme points de ralliement , auxquels fe rapportent tous les chaînons qui compolêntles mœurs, j'en ai parcouru deux , la Religion & le Patriotifine. Il ne me refte plus que la troifiéme , à fçavoir , les vertus civiles. Celles-ci paroident au premier liô Traité de la Population, 'M coup d'oeil moins importantes quéT les autres ; il s'en faut bien qu'on en doive juger ainfi. Le vulgaire ne fe mené point par les grands principes , ôc tout le monde eft , ou fut ce vulgaire. La totalité , le corps des mœurs fe corrompt par les détails, & c'eft par les détails auflî qu il faut veiller à leur falur* D'ailleurs tout fait un cercle ici- bas ; tout fe tient par des liens in- vifibles & par mille chaînons in- fenfibles auiîî. De même que les vices journaliers font le prélude ordinaire des grands crimes , les vertus civiles préparent Tame des Héros. La vertu d'ailleurs , toute belle qu'elle efl; , toujours foible ' contre Tamour propre qui nous domine, ne pourroit rien fur nous, û elle ne compatilToit à fes foi- blelfes. L'aétenr fur le théâtre fe refroidit , fi Tefpoir de l'applau- difTement du Parterre ne l'excite & ne l'encourage. Les hommes célèbres en rous temps & lieux ne furent jamais que des hommes , qui montrèrent en un degré plus Les Mœurs, iiï éminent que les autres les qualités cil vogue dans la fociété parmi laquelle ils fe firent diftinguer. Par toutes ces raifons réunies en fubf- tance , il eft clair que vainement cherchera- 1- on la trace des vertus nobles , généreufes & élevées dans une nation , ovî les vertus douces & civiles feront dans le mépris , ou même négligées. Cette partie- ci mérite même plus de détail , que les autres. Les ver- tus nobles , comme ayant plus d'é- clat, frappent par le brillant des occafions , & leur décadence fe fait mieux fentir. Elles font à la por- tée de moins de gens , & un petit nombre eft plus aifé à diriger que la multitude. Un Etat enfin bien conftitué par elles peut fubfifter quelque temps fous leurs aufpices , quoiqu'après elles , au-lieu que fans moeurs civiles , tout eft perdu. Pour fuivre quelque ordre dans les détails où je vais m'engager , & que j'abrégerai autant qu'il me fera pofTible , il faudroit examiner les yertus civiles fous deux points de ÏI2 Traité de la Population^, vue , à fçavoir celles qui parteiiÊ du cœur , & celles qui viennent de refprit. Mais ces deux mobiles ont en nous une telle connexité , quil eft difficile d*en faire une divifion jufte. Le cœur fuit aifément Vefprit 5 dit un aimable Philofophe. Il eue pu dire avec autant de véri- té : refprit fuit aifément le cœur 5 & comme il eft également effen- tiel en Politique de veiller au main- tien des qualités du cœur & de celles deTefprit, il me fuffit dans mon objet adluel de mettre une forte d'ordre qui me préfente les détails que j'ai à traiter, puifqu'ils font prefque tous également impor- tants. En vain nous écrierons-nous fans CefTe que Tefprit de fociété s'établit chaque jour parmi nous , & en ban- nit tous préjugés ruftiques & fau- vages. En toute hypothèfe, il faut convenir de la fignification des ter- mes avant d&raifonner fur ce qu'ils expriment. Si l'on appelle efprit de fociété la tolérance & la privante dans les moeurs , TindifFérence dans Les Mœurs. 215 les fentimens , le mélange des con- ditions , le goût du préfent , & l'oubli total du pafTé comme de Tavenir , j'avouerai que cet efpric voudroit fe répandre, mais je doute que ce foit-là vraiment refprit de fociété , puifque ce fut préciiëmenc celui qui précéda de peu de temps la décadence & la ruine de tous les peuples qui ont régné fur la terre. - Quant à moi , je m'en tiens à ma première dillindion , Se ne trouve la fociabilité que dans les vertus , & fou contraire que dans les vices. L'amour de nos proches , par La fodabî- exemple , eft un des premiers de- 'j/^ ^^ '^'^"- voirs de laloeiete. Il derr/e dune la fodété jufte reconnoifTance mêlée de ten- dans les ver- dre(re^& de refpecfl : il nous Fait "^^^^^ connoîrre les fentimens du cœur les vices, fages & retenus j il nous accou- tume à une obéifl&nce noble & digne, feule école du commandg- ment ; il nous fait refpedler & chérir dans ceux de nos parens qui nous font égaux ou même inférieurs ea degré & en avantages de 1^. fortu- ne , U mémoire de nos communs 2. 1 4 Trahi de la Population: ayeux. Principe de vertus en gran^; comme en petit , il entre d'une part pour beaucoup dans Tamour de la Patrie ; de l'autre il nous rend précieux jufques aux moindres do- meftiques & ouvriers qui ont fervi & fourni nos pères , en un mot , c'eft un des plus forts & des plus indiflfolables liens de la fociété. Si donc nous avons aujourd'hui plus de refpeâ: pour nos pères , plus de tendrefTe pour nos proches , plus d*amour pour nos enfans en général qu'on n'en avoir autrefois , t il l'on cou/lne davantage > fi l'on remplit mieux des devoirs de bien- féance , qui font en ce genre le repréfentatif de ces fentimens , j'avouerai qu'un des principaux arcs- bourans de refprit de fociété fè renforce parmi nous. Sans entrer dans la difculîîon de ce problême qu'il ne me convient pas d'appro- fondir , je ferai quelques remarques de détail , qui ont , félon moi , trait à la chofe. Abréviation Q^^ ^ Jg ^^^,5 j^Uj-g introduit Ulî . des deuils , /ia , i r altération relachemcnt phylique en ce genre , des mœurs. Les Mœurs, ii^ dont on n'a fans doute pas fenti les conféquences , en diminuant rout-à-coup de moitié les deuils de parenté. Un frère s'eft trouvé tout étonné de ne porter que (ix femai- »es le deuil de ion trere ; & je noubiierai )an^ais que je me fentis un tel ferrement de cœur à la vue du premier habit de couleur au bout de fix mois de dtuil de la mort de mon père , que je le rejet- tai avec frayeur; & portai le noir Tannée entière. On accorda , dit- on 5 ce retranchement aux plain- tes des marchands. Ce n'eit pas ici le lieu d'examiner s*il eft de Tinterêt de l'Etat , que le regni- cole confomme des étoffes fomp- lueufes plutôt que des draps fim- ples. Cet article fe trouve ail- leurs ; mais il eft du premier & du pliis facré des intérêts , de ne pas porter un coup mani^efle & direéi aux bienfcances relatives à l'amour des proches. Vainement allégueroit-on ces raifons ufées ^ que le deuil doit être dans le cœur 9 6c non dans \qs hctbics. Il i.i6 Traité d€ la Population: en eft de cela comme du culte datii refprit , & non dans les cérémo-, nies< Les replis du cœur échappent, & doivent échapper à l'infpe^èion publique ; elle na d'intérêt qu*à l'extérieur. L'homme d'ailleurs n'eft frappé que par les fens ; tel s'af- flige fous des pleureufes , qui riroit en habit de bal. L'enfèmble de mille contenances mafquées pro- duit mille autres fentimens réels; Tout fentiment intérieur qui n'a nulle apparence extérieure , ne mé- rite aucune croyance. Ennemi, comme je le fuis, de tout fyftême tendant à mener les hom- mes par la contrainte , je ne fçau- rois en revanche trop recomman- der de les porter par l'exemple & les diftinétions vers la vertu. Puitque le Gouvernement peut profcrire les deuils, pourquoi ne pourroit-il pas honorer les femmes , par exemple , qui allaitent elles-mêmes leurs en-, fans? Les cuifiniers, & les entre- preneurs du Bal de l'Opéra s'op-; pofer oient peut-être à cet arran-^ gement j mais leur intérêt me pa- roîe Les Mœurs, 227 roît d'une médiocre confîdération dans l'Etat , en comparaifon de tous les maux que préviendroit l'en- couragement de cette méthode preC- crite par la nature. Tant de femmes détruites par les ravages du lait, tant d'enfans empoifonnés par les maux de leurs nourrices , l'ordre rétabli dans les mœurs des femmes , leur fécondité confervée , leur ten- drelTè maternelle accrue par ces foins précieux , font des objets dans la chofe publique ; & je fçai bien que fi j'en étois le maître, j'au- gmenterois par une loi les droits matrimoniaux de toute mère qui auroit nourri fes enfans, ou l'ho- norerois par telle autre diftindion, dont l'idée me feroit donnée par un meilleur efprit que le mien. " De l'amour de nos proches dé- rive l'amitié & confraternité entre citoyens. Celle-ci eft autre chofe que l'amour de la patrie , dont j'ai traité ci-devanr. Elle y entre , comme portion du compofé ; mais elle n'eft qu'en petit ce que l'autre cft en grand , & c eft encore un //. Fank. K ii8 Traité de la Population: des plus forts liens de la (ôciéré; Tout nous montre ici-bas ce que peut refpric de confraternité , & à quel point Taggrégation à un corps particulier peut devenir une féconde nature. Cet homme qui prêt à entrer dans la Milice , n alloit être qu'un payfan redrelTé , s'engage dans le Régiment de Navarre , & foudain prend Tefprit du Corps, & cette ihtrépidité renommée dont ce Régiment fe pique. Nousfommes donc fufceptibles de qualités inci- dentes & épidémiques , pour ainft dite, relatives à nos engagemens particuliers de fociété ; & à ce compte un homme libre de tous engagemens eft celui de tous qui a le moins d*exiftence. Ce penchant dérive de Tattraît vers la fociabilité , que j'ai dit autrefois être inhérent à la fubfi» tance humaine. Il veut être dirigé, comme tout autre , pour la plus grande utilité publique & particu- lière ; fon point certain de direc-» tien efl parallèle à la gradation de ttos devoirs. Les premiers font Lts Mœurs, ii^ envers Dieu , les féconds envers la patrie , enfuite nos proches , puis nos concitoyens , enhn rhumanitc entière, puifque nous fommes tous frères- En fuivant cette gradation , les attachemens les plus vifs ne fçau- roient nous porter à rien de nui(i- ble à la fociété. Un vrai citoyen peut aimer à Texcès fa famille : s*il aime encore plus /à patrie, il ne fera rien d'injufte ni de déplacé pour l'avancement , de fes proches, 8c ai4iG du refte. Mais au contraire , ù. cette gradation eft renverfée , il n*eft prefque aucun attachement qui ne puille être nuifible. Plus rami du genre liumain fera doux & aimable, moins , s'il n'eft retenu par l'idée des devoirs qui prccé- aent celui-là , il prendra d'mcerêt à fa patrie en particulier. Celui qui aime par prédiledion fes conci- toyens 5 regardera comme ennemie la partie dominante de l'Etat qui împofe à fa patrie particulière à^s charges , dont il ne fcauroit voir iwilité en grand dans des objets Kij 2.1© Traité de la Population, qui ne rinterelTent pas , & dont ii fent le poids en petit aux lieux qu'il afïèdlionne uniquement* L'a- mour des proches ne fera plus qu'un afifuiettiiïement aux foiblefles éc aux pafîîons d'autrui. L'amour de la patrie enfin , s'il n'ed foumis aux grands principes de la Morale & de la Religion, peut faire des Ducs d*Albe , & les pouflèr à fouler aux pieds les droits les plus facrés des gens, & de l'humanité. Ainfî chacune de ces affedtions fî nécelïàires au maintien de la /b- ciété générale & particulière peut devenir nuifible , fi elle n'eft fubor- donnée à celles qui la doivent pré- céder. Mais dulfent-elles être routes aufîî déplacées, aulîi exclufives que celle qu'on attribue , faufTement fans doute , à certains Ordres Re^ ligieux 5 mais avec quelque vérité à certains d'entre les individus qui Tes compofèrit , ce monflrueux af- femblage d'hommes qui tendroient tous vers des afïedions déplacées, feroit infinin-ient préférable à une prétendue fociété, dont les mem- Les Mœurs. m bres n*en auroient aucune. C'cfl cependant à quoi conduit Tinterêt particulier, qui néceflai rement dé- génère bientôt dans un Etat en inté- rêt perfonnc-l. Je veux croire en efïet que l'intérêt particulier fut d'abord & dans Ton principe un faux calcul de pafîîons nobles , un defir de préférence & de diftinclions , qu'un homme plus habile que moi a nommé Vhonneur dans les Monar- chies. Qu'en ferons- nous déformais dans un Etat, où par un relâche- ment tel que celui dont j'ai ci-det- fus établi les progreiîîons ^ rcuîêS ces diftindions font évaluées en ar- gent ? Je veux encore que celui qui eft livré à cet intérêt fe paf- fionne en ce genre également pour foi & les fiens ; la nature des biens qu'il peut déformais feuls ambi- tionner, le précipite bientôt dans l'intérêt perfonnel & exclufif : en effet on peut efpérer de perpétuer dans fa famille les diftindions , les charges , les prérogatives , la réputation même 5 & ce plan flat- K iij 211 Traité de la Population, 1 teur en idée , loin de diminuer la portion du pofTelTeur aduel , en eft . une forte d'accroiflTemenc fi<5bif ; | mais Targent, que vous confervez à vos héritiers , eft mort pour vous : or pour un avare il y a cent mille I cupides, ce qui eft très- différent, comme chacun fçait. Sans nous étendre davantage en raifonnemens déjà trop longs , con- iîdérons la nation où For s*eft le plus répandu , & a conféquemment le plus ufurpé la qualité de biens réels , & voyons fi tous les arran- gemens civils relatifs à la confer- vation & au luftre des familles , n'y ont pas plus reçu d'altération, qu'ail'eurs *, fi les fubftitutions n'y font pas bornées Ôc regardées com- me injuftes 5 (1 les retraits lignagers n'y font pas odieux ; s'il n'a pas fallu des loix nouvelles pour em- pêcher des mères difîîpatrices d'en- gloutir dans leur veuvage leurs portions dans les acquêts du maria- ge ; Cl les fonds perdus enfin , ufage monftrueux & dénaturé , qui loin d'être encouragé par le Gouverne- Les MoturK 21 j ment , ne devroit être toléré qu*en encourant note d*infamie , n'y font pas plus en vogue que pat - tout ailleurs. L'intérêt particulier dégénère donc nécefTai rement en intérêt peF- fonnel : de-U la dilTolution de toute fociété ; car , comme on fçait , le vice a fes calculs & fa philofophie, aind que la vertu. Or en me fup- pofant le plus honnête Philofopne apathique du Royaume , que me faut -il pour me rendre heureux, dès que mon bonheur eft unique- ment concentré en moi - même ? Santé 5 joie & tranquillité; les tra- vaux & les foucis de Tambition nuiroient à tout cela. L'Etat entier refide en ma propre perfonne ; & je dirai , comme l'Ane de la fable : Et que m'importe à qui je fois ? Sauvez-vous^ & me laiffe:(paître, Notre ennemi^ ce(i notre maître; Je vous le dis en bon François, Mes concitoyens font des mouche^ K iv: 224 Traité de la Population. rons du pays dont j'ai plus à me garantir , que des maringoins d'A- mérique 5 mes proches , plantes du hazard , dont le voifinage m em- pêche de voir le foleil. Je leur fais bonne mine à tous > mais autant qu'ils me peuvent être utiles , & qu'il ne m'en coûtera pas le déran- gement du moindre de mes petits calculs ; tout enfin me devient in* différent fur la terre, & j'applique glorieufement à mon exiftence l'axiome philofophique de la force & du courage ; Si fracius illabatur orbis _, impayidum f crient ruina, I Apathie , Que faire cependant , pour l'a- i °°°" ^^^^^^* vantage de la (bciété , d'hommes j bâtis de la ibrte ? Ils ne la trou-r I bleront pas , mais j'aimerois autant I leSfcoflemens des Catacombes. Ox 1 la perte d'un homme n'eft-elle rien ? 1 Le plus digne Héros ne fut qu'un, D'aii leurs , fi l'homme d'Efope en tout & par -tout 5 tel que je viens I de le dépeindre , efl: un animal fi I rare que cette perte ne tire pas à I confequence , en eft-il moins vrai qu'un germe , un fbupçon de cet Les Mmirs. ii5 cfprit répandu dans la généralité , eftimé même dans ceux qui fe dif^ tinguent en ce genre , fait un ravage (îngulier en affciblilTant tous les liens à la fois de la fociété ? Il n'en eft aucun dont la confervation ne foit très-importante à la chofe pu- blique ; mais pour juger fi l'apathie s'attache aux premiers de tous , lifez & voyez fi parmi toutes les nations paffées & préfentes, quand le champ libre lailTé à la cupidité, & les fautes du Gouvernement ont donné la prééminence à l'or , ce n'a pas été précifcment l'époque des plaintes publiques contre l'ufa- ge du célibat volontaire , & le temps de ces Loix vaines , donc l'objet fut de réhabiliter les ma- riages. I! réfulre de cette énumératîon qu'on aura trouvé longue , 6c que j'ai cependant tâché d'abréger at- tendu l'abondance de la matière, que tous les attachemens , tous les liens entre citoyens font précieux à mainrenir & aviver j qu'il im- porte de les diriger fuivant la pro- K V zi6 Traité de la Population, grefïïon des devoirs, en les diftîn^ guant & honorant en conféquence ; que fur -tout il n'eft préfage plus malheureux dans l'Etat pour fa du- rée ôc fa profpérité , que de les voir s'afFoiblir & s'éteindre j & que la prééminence de l'or porte invin- ciblement la tournure des chofes de ce côté-là. Remettez For à (à place , c*efl: en général tout mon art. Il efî: iimple i mais il demande une atten- tion bien confiante & fuivie dans les détails. Paflbns maintenant à ceux qu'il me refte à traiter , pour achever cette ébauche de l'article des mœurs. Je les renferme tous ( pour me borner ) en un feul point que j'ap- Dcceiîce de pelle Décence des mœurs. Je viens mœacs. ^g Jg Jj^ç ^ ^ ^^^^ j^ ^po^^e le penfe, tout ientiment intérieur qui n'a nulle démonftration extérieure, eft article de foi rejette de tous. En vertu de quel titre une nation prérendra- t'el le à quelque diftinc- tion dans le monde , Ci elle n'a au- cune nobîcfle dans les manières ? Les Mœursl 117 Qiiî mettra d'ailleurs cette nobleffe dans le coeur de Tes élèves , s'ils nen trouvent nulle trace dans les mœurs 2 On fçait que les exemplas font tout, & les préceptes rien. On alTure que Louis XIV. fut vivement blelTé de trouver dans Télémaque des principes de con- duite entièrement contraires à celle qu il avoit tenue & confacrée. Eu ce cas un peu de vanité, &: une longue habitude de flatterie avoienc perfuadé à ce Prince , que tout bien en fait de gouvernement étoit con- centré en fa perfonne. Le Télé- maque étoit deftiné à l'éducation d'un Prince, défigné par la néceC- fité le reflaurateur ceconome d'un Etat épuifé par les fuccès & les malheurs d'un régne long & exceC- Çiî en tout genre. En conféquence la modération , & les vues qui en réfultent , y font recommandées & àlluftrées par-defTus toutes chofes ; mais il ne feroit pas difficile de montrer dans ce Livre ( unique en ce genre , & qui renferme plus de faine politique dans quelques pages , K vj liS traité de la. Populationl que mon Ouvrage entier n*en fçau- roit contenir ) mille traits qui van-^ tent cette noblefTe , & cette dignité de mœurs , qui doivent diftinguer la véritable grandeur. Quoi qu'il en- fbitjil n'eft pas de mon fujet d'exami- ner fi Louis XIV. ne donna pas dans l'excès en ce genre. L'infpedion des mœurs des Rois n'appartient qu'à l'Hiftoire , & c'eft pour cela qu'on à dit que les Hiftoriens dévoient être les plus fages des hommes ; mais je puis dire que le goût de ce Prince pour tout ce qui tenoic du fafle &c de la grandeur, donna de Ton temps un grand luftre à la France , & ne contribua pas peu à cette haute confidération où par- vint le nom François. Par le principe tiré de l'empire que nos fensontfur nos opinions, le Gouvernement , ainfi que la Religion , a Tes rites & fes céré^ monies. L'étiquette , exercice de la Cour , qui pouflee trop loin échange les Princes en pagodes, mais qui dans Ton principe fut /î néce (Taire au maintien- de Tordre îjes Mœurs', 22^ & du refpeâ: , dont ils doivent être toujours entourés; Tétiqueite n*eft autre chofe que la décence de mœurs des premières têtes de l'Etat. Le pouvoir dans les Monarchies ne rqfide qu en un feul , mais Ton exer- cice eft confié à plufieurs. Les Ma- giftratures politiques , militaires , & civiles, ne font autre chofe qu'une émanation , une parcelle de la fou- veraine puiffance. Si , comme on n'en fçauroit douter , la décence eft nécelTaire à la majefté duthrô- ne 5 elle doit en proportion Têtre aufîî à la confidération de toutes les dignités prépofées à rexercice de Tes devoirs & de fes droits. D'autre part , toute Monarchie héréditaire admet néceffairement des prééminences indépendantes de l'autorité quelconque , qu'on appelle des droits du fang. La nature nous donne des maîtres , que nous n'avons droit de choifir , ni de re- jetter. Elle donne donc parmi nous des droits diftindls & féparés de là Magiftrature. En effet nos Princes du Sang , fans Gouvernemens , fans V a 5 o Traité de la Population, Charges militaires ,par le feul droit* de leur nailTance , font les pre- mières têtes de l'Etat , & ont en cette qualité les prérogatives les plus marquées. Les autres fujets en ont aufli , de bien moindres à la vérité , mais enfin des droits héré^ ditaires. La. plus pauvre nobleflè, & la plus oubliée , fe croit & fe fait prefque croire d'un limon fé- paré ; & il eft bon , par des raifons étrangères ici , qu elle le croye & le faite croire ainfi. A commencer par le Souverain , chacun fe fent prefquaufïï privilégié par fonfang que par fa Charge-, -&ies préten- tions qu'on peut avoir à cet égard entrent du moins bien autant dans \qs calculs de notre vanité , que celles que nous attribuons à nos Places. Ces prétentions nous por- tent naturellement vers la décence des mœurs plus nécelTaire encore aux prééminences arbitraires , qu'à celles qui nous font défignées par le Légiflateur. Mais je veux qu'on ne foit rien , ni par la Loi , ni par le fang j on Les M^urs. 151 eft homme du moins. Soit le vice, foie la vertu , tout nous porte à nous eftimer , & à convoiter Xti^- time d*autrui. Le vice , en ce que l'orgueil eft une petitefTe , & tel- lement née avec nous , qu'on ne verra pas un feul enfant dans le J)lus bas âge , qui ne foit naturel- ement vaniteux. La vertu , en ce que la morale nous fait fentir Tex- cellence de Thomme , & nous mon- tre à nous refpeder nous-mêmes, & à refpedter Topinion d'autrui. Ainfi donc , par lesraifons déduites ci-defTus , une décence de mœurs relative eft de TefTence civile de tout être fai/ant portion de la fo- ciété. Il s^'enfuit de là qu'on ne fçauroit déchoir fur cet article dans un Etat 5 fans s'avilir en gros & en détail ; & que Tatteniion en ce genre eft un des premiers devoirs de la fociété. Ce n'eft pas que je fafte confîfter dans le fafte des Grands , & dans la fotce vanité des petits ce que j'appelle décence j mais je dis qu'il importe que chacun s'cftime aflès k 1^1 Traité de la Population: pour vouloir conferver Ton maintien naturel , & que fi les moeurs doi- vent être forcées , il vaut mieux encore que ce foit à monter qu'à déchoir. Cette familiarité de moeurs, qui confond les rangs & les états , & qui fait coudoyer dans la rue le Magiftrat par le crocheteur , peut être une vertu de République , du moins il n'eft pas de mon fujec d'examiper le pour & le contre de cette queflion ; mais c eft un vice dans la Monarchie. On a beau dire : les Saturnales des Romains , le Mafque de Venife , nos Bals de rOpérà furent des inventions du vice qui gagne toujours au défordre & à la confufion. Je veux croire que dans des fociétés une fois flé- tries par cet g^i^^e de licence , il fut dangereux de la fupprimer en- tièrement , mais du moins faut-il empêcher que ces défordres inter- mittents ne deviennent les mœurs permanentes d*une nation. Diftinaîons II ferolt à fouhaiter que tous les de la ampli- honiimes pùiîentêtre vertueux -, mais miiiadcé/^* puiiqi^e la chofe eft impoffible. Les Mœurs. 253 'duflài-je être accufé d*une moraie erronée , je tiens qu en général la publicité des moeurs arrête plus de vices 5 que le fcaadale n'en pro- duit. Ne confondons point la fim- plicité j & la familiarité. L'une doit fon inftitution à la vertu , Tautre, la doit au vice. Quelques Princes fe font déguifés pour connoître par eux-mêmes l'opinion du peuple fur leur conduite j la plupart, pour en imiter la crapule & les déborde- mens. Voulez-vous difcerneriîc'eft la (implicite, ou la familiarité qui bannit le fafte & la dignité de moeurs d'un Etat , il eft un thermo- mètre infaillible , c'eft le refpeâ: des petits pour les Grands. La /im- plicite relevé au-deiïus de fon état un homme ordinaire , elle rend les fupérieurs également aimables & refpedables ; & nulle part il n'y a plus de modeftie dans les petits , qu'où règne la fimplicité dans les Grands. Mais (\ les hiérarchies , fi les rangs fe perdent dans un Etat , il l'ufurier & l'hiftrion admis à la table des Grands s y trouvent de 154 Trahi dé la PopulatioA, compagnie , fi ceux-ci cherchant un bon cuifinier , ou une jolie femme, ou quoi que ce foie , deviennent pairs de ceux qui cautionnent les fermiers de leurs terres , c*eft la familiarité qui confond les rangs, & qui couche l'échelle de TEtat. Ce mélange adoucit les mœurs fl dit-on , il communique la pohtefïè dans tous les états. Sans doute tout fe rapproche , mais tout y perd,i Voyez-en le tableau dans les Spec- tacles. Les Théâtres nobles quit- tèrent les Héroïdespour lesPafto- ralesj enfuite font venus la farce, les riens -, d'autre part la Comédie â pris de la politeiTe , elle débite de Tefprit , & des traités de morale.- Les premiers ont perdu leur gran-f deur & leur dignité fans pouvoir defcendre à la joie naïve, l'autre a perdu fon fel , fa gaieté , fes traits ingénus , & n'a gagné que de l'en- nui. Qu'arrive- t'il de cela cependant? C'eft que les vertus defcendent, & que les vices montent. Penfe-, Les Mœurs, 155 t*on que ce ne foie rien? Que M©- ton dife : ; . . . . jy confens $ Il neft pas généreux ^ mais il ejl de bon fens, La morale burlefque d*un valet pol- tron fait rire, & donne au manque de courage un ridicule qui rendra braves Tes camarades même ; mais que le Poëte de la bonne com- pagnie dife : Que te reviendrons il de tant de renommée .<* Rien ^ que la ckétive lueur Et que le peu de fumée D'une lampe en ton honneur Sur ton cercueil allumée ^ Bt le touchant plaijir ^ aux pieds du grand Louis j Enterré près Guefclin , d' infecter Saint'Denys, Cette morale du libertinage , ma{^ quée du beau nom de Philorophie, féduic la jeunefle par i'atuait àxi 2 5^ Traité de ta Population* plaifir , ôc lui montre comme rOr manefques les vertus de fes ayeux , & Tamour de la gloire qui leur donna Têtre. Les m ceurs Terminons ce Chapitre par ou fonc les cor- ,, î • * des de l'inf- i^ous 1 avotts commencc. Les mœurs trumcnt po- font le rclTorc principal d'un Etat; &n'en ^'' ^lles font Ics. cordes de rinftrument font que les poUtiquc dont les Loix ne font que ^'^"^' les fons : que les moeurs foie ne tendues à leur point & d'accord , les Loix feront toujours dans l'en* femble qui forme l'harmonie poli- tique : que les mœurs fe relâchent & fe détendent par un point ou par l'autre , dès-lors toute l'habi- leté de celui qui touche l'inftrumenr, ne fçauroit ramener l'uniformité des fons. Il faut alors remonter les mœurs. L'exemple ôc la police font les feuls outils propres à cela Je fuppofe qu'il y eût eu un temps où la politique eut été affez aveugle pour intro- duire l'ufage d'intercepter les cour- riers des antres Pui (Tances : mifé- rable méthode , femblable à la pufillanimité qui fait écouter aux Les Mœurs, i^j portes ; honteux expédient , donc les auteurs s'accufent eux mêmes d'envoyer par la pofte des femences de noirceurs & de trahifons , puïC- qu ils craignent les envois de leurs femblables. Cette baflTefTe , bornée d*abord dans Tombre des cabinets prépofés aux détails de la politique étrangère , gagneroit bientôt ceux de la politique civile. Après avoir fervi les intérêts des Princes par cette honteufc méthode , on en viendroit à fervir leurs paffions , & enfin leur curiofité ; on en vien- droit à ne plus rougir d'un vil at- tentat , qui feroit pâmer de honte un laquais qui y feroit furpris dans le cabinet de Ton maître. Com- ment efpérer alors que les hommes fe fouviendront dans l'âge mûr qu'on leur a dit dans leur enfance, qu il étoit infâme de lire une Lettre même décachetée ? Comment fe flatter que ce principe naturel du droit des gens prévaudra fur l'exem- ple , & la publicité du vice con- traire? Chacun s'érige en pohtique dans fon cercle , à la vergogne 23 s Traité de la Population. publique fe trouve entièrement per- due. Faites bien , écrivez , parlez & penfez de même , vous mépri- ferez les faits, les écrits , les diA cours & les penfées même de vos ennemis. Le droit des gens en grand & en petit , c'eft là le point de vue unique qui abrégera vos travaux & vos fpéculations , qui fixera vos irréfolutions , qui élaguera les fo- phifmes du pour & du contre , mal- heureux efforts de Tefprit humain deftinés à cacher les trahifons de rinterêt , qui obfcarciiTent des vé- rités plus claires que le jour , Se font quelquefois fubfifter chez des peuples policés des tyrannies de détail dont la barbarie auroit rougi. Ayez uniquement en tout & par- tout le droit des gens en vue : la Loi naturelle empreinte dans tous les cœurs , fe préfenre fans cefîe aux yeux même qui le fuient » & le fait briller fans nuage devant ceux qui le cherchent dans la pu- reré de cœur Se d'intentions. Il VOUS décidera dans les plus petits I Les Mcturs. 25^ ' dérails. Vous défendez le lanfque- net & la dupe comme dangereux , & vous permettez le berlanj un înftant de réflexion vous fera ana- 1 thématifer ce dernier. Pourquoi cela? Cefl que dans les premiers , ; c eft le hazard qui décide ; dans I celui-ci il entre beaucoup d*aftuce, & il eft important d*empêcher les citoyens de s'habituer, même dans leurs jeux j à ufer de fine(Tè pour, fe tendre des pièges réciproques. ]*ai vu jadis dans une grande ville un Chirurgien montrer pour de Targent une fille hermaphro- dite, quon découvroit impudem- ment à tous venans. Ailleurs un autre ayant injedé le cadavre d'une jolie perfonne , la faifoic voir avec tout auflî peu de ménagement. Ailleurs encore, une fille enceinte à l'âge de huit ans devint Tobjec du concours & de la curiofité pu- bliques* Tous ces attentats contre Thonnêteté publique furent prompt tement réprimés par la Police. Ceft ainfi que rien neft petit aux yeux d'un Légiflateur \ ceft^ t^o Traité de la Populations pareillement ainfi que les moindres reports de la machine politique fè réuniflent uniformément fous la grande touche , qui n*eft autre chofè que la vue éa bien général Ôi univerfel. Il refuhe en réfumé de ce dernier article, que le fafte , la magnifi- cence même , Tornement extérieur, & la dignité dans les mœurs ^loirt d*être un inconvénient dans une Monarchie pujfl&nte , de Tépuifer & de lui nuire , font une preuve que tout y eft à (à place , pourvu que le luftre 6c le brillant de h dépenfe foient diftribués relative- ment , Se fe trouvent où ils doivent être. Dans les temps de fplendeur , les gens en place font de grandes fortunes , & en jouilTent au profit & à la décoration de l'Etat ; dans les temps de familiarité , ceux-ci firent parade d'une prétendue ma-? dération , on vit croître le» fous- ordres à vue d'oeil , prodigues^ avec oftentation de richefTes obliquement acqdifes. Que fignifie cela > Rien autre chofe , finon que la pareffe & Les Mœurs, 24^ & rengourdiffemenc de l'amebor- noic les chefs , & que la fa iiilia- ricé, aurore certaine de Tanarchie, avoit perfuadé aux fous ordres qu*i!s pouvoient & dévoient s'égaler à leurs maîtres. Le Public n*y gagna rien; au contraire, fatigué par la cupidité des mercenaires , & livré à Tinfolence des enclaves , il n'eue pas même la fatis'^^aclion de voir Tes dépouilles £èrvir à la décoration de FEtar. Ce feroit me mal entendre, que de me placer au rang des prôncurs du luxe, d'après ce que je viens de dire. Je fçais en général , & j'ai établi ci-deffus ^ que la double confommation d'un individu n .ft autre chofe , que l'homicide de fon voifin, qui vivroit fur la forte de dégât de tout ce qu'il confom- me par-ddà fon néceHaire ; mais je fçais aufïï qu'il eft impod b'e d'établir dans un grand Etat cette frugalité univerfelle , & cette confommation géométrique j & puifqu'il faut dans une fociété com-; 11, Vanïe, L L 24 i Traité de la Fopuîatiotf, plecte , des gens qui repréfentent J & ci*autres qui Te piquent d'une CÈConome frugalité > je dis que ceft tout perdre que de confondre les êtres à cet égard , de mettre les ombres fur les groupes principaux 3^ & de répandre le coloris fur les fonds. Ceft néanmoins ce que fait le luxe : Je vais me laver du foupçon d'en avoir pu être le partifàn , en dévoilant fa marche & fes effets j & c'eft aind que j'achèverai de dé- velopper le fyftême des mœurs dans un État , & que je mettrai fous les yeux une infinité de détails qui aug j:oit trop étendu ce Chapitre. mrn ^ Le Zuxel 245 CHAPITRE V. Du Luxe^ J^Entreprends fans doute une tâ- che au-delTus de mes forces. Je vais mettre en profe & en calculs la répétition de tant de vaines dé- clamations , fruit de l'imagination chagrine & envieufe des Poètes & des Moraliftes. Je réveille un vieux fyftéme de l'efprit démenti par le cœur 5 & je viens prêcher le ftoïcif- me à des gens inftruits égalemenc- de la vanité des préjugés du vice, & de ceux de la vertu. Ce ne font point des hommes corrompus que j'attaque du milieu de la rué", tan- dis qu'une grande cour & de triples antichambres les dérobent à de vai- nes clameurs : ce font des hommes ingéniciix , fobres , laborieux , phi- iofophes 5 iiluftres enfin , tels que Melon & David Hume , qui ont deffiUé les yeux du Public à cet Lij ^44 Traité dis la Populationi égard , dont f ofe ébranler les tro- phées. A l'égard de l'envie , qui me connoîtra , fçaura que je ne fuis ni par mon tempérament , ni par les caufes fécondes , dans le cas d'être attaqué de cette maladie. Si vous avez du bien , & en jouiflèz mollement , l'ennui , les vapeurs & lès maladies de nerfs en jouif^ fent aufîî. Le tout enfemble , ce n'eft pas la peine de vous rien en- vier. Quant à vos prophètes, les noms ne m'éblouifTent pas , je fçaîs peut être aufîî bien qu'un autre rendre Juftice à leur mérite ; mais chacun a (es droits à la recherche de la vérité, & j'efpere démontrer qu'en pludeurs chofes ils ont blâ^ mé ce que je blâme , qu'en plu- iîeurs autres ils ont confondu le luxe & la dépenfe , qu'en quel- ques-unes enfin ils ont mal raifon- né , faute de partir d'après les vrais principes. Commençons. . M. Melon eft , je crois , le pre- mier qui dans un Ouvrage raifonné ait paru autorifer le luxe. Cela donna une vogue confidérable à Le luxe: 14 f fon Livre ; & déformais il n'y eut Dodeur de cercle, qui ne pro- nonçât hardiment que le luxe étoit un bien. Cependant en (uivant at- tentivement Melon 5 & dans tout le cours de fon Ouvrage, on voit que ce fut un bel & bon efprit ) éc fort éclairé fur la plupart des détails dont il traite. Il donne à gauche , félon moi , fur Tarticle du luxe 5 mais non pas autant que Font cru fes échos ; ôc c'eft faute de le bien entendre, qu'on le dit le prôneur abfolu du luxe. Cefl: par lui , comme le premier , que je commencerai l'an^lyfe des rai- fons de ce nouveau fyflême. ]*ai dit fouvent , & Je répéterai que Cl les partifans philofophes du luxe, du moins ceux de Tordre des hommes que je viens de citer êc que je vais combattre , m'avoient entendu , nous aurions été d'accord fur prefque tous nos principes. Pour commencer , il eût fallu d'abord 5 '-convenir des définitions , cette méthode abrégeroit bien des dit putes, L iij ,24^ Traité de ia Population^ Melon dit : Le luxe eji ufic- fo.m^tuofitè extraord}.naire que don" ,nent les richeffes ^ & la fécurué ,diun Gouvernement, Cette dcfini- tiqn arrondie paroîc nette & conv- j^rendre tout , & cependant elle ^eJl: contredite pfirjle, fait & par la ^iorale,fPar le fait, en ce que \t$ .régnes enragés de Galigula & de 2Sîeron ont été ceux du luxe à Ro^ aie , & non pas âflurément ceux ,de la fécui iré. Par la morale , en •ce quej juftifier le luxe d'après cette définition, cefl cçlébrer les diffi- pations de Ciéopatre & d'Hélioga- iale. Or Melon étoit trop honnête îiomme pour avancer & foutentr cela. Tâchons donc de définir le luxe fans profcrire la dépenfe, ^ difons , plus mal fans doute , mais plus exadement , le luxe eji l'abus des richejfes. Ce n'eft rien dire , m'objedera- t-on. Ce que vous appeliez abus, je l'appelle ufage ; montrez l'abus ôc le définifTez. Je m'explique; le Juxe a, produit deux enfans , ./^ molle fje de le dé/ordreX^ moJleiTè^» te tuxt. 24^ tn fçaît ce que c'eft. Par le défor- dre en ce genre , j'entends la dé- penfe folle, c'eft-à-dire, celle qui fort des proportions de Tétat & de Tâge , des points de convenance enfin , cela s'entend. Telles font les deux branches du luxe qui produi- fent des fruits fî monftrueux & fi étranges , que Tatmorphcre entier en eft empoifonné 5 mais tout fe réduit à ces deux principes , & c'eft à leur rapport avec ces deux branches qu'on peur reconnoître C\ les dépenfes tiennent à l'ufage ou à l'abus. Si Melon eût voulu faire cette diftinâiion , il n'auroit pas cru tran- cher la difficulté en difanr : i> Gg w qui éroit luxe pour nos pères, eft M à préfent commun ; ic ce qui 3> l'eft pour nous , ne le fera pas M pour nos neveux. « Et enfuite : M Le payfan trouve du luxe chez le 53 bourgeois de Ton village, celui- s> ci chez l'habitant de la ville voi- « fine 5 qui lui-même fe regarde M comme groffier encore devant i^ le Courtifan, L ir '«4^ Traité de la Population. Car que nous ufions de difFé^ rentes productions & ouvrages in- connus à nos pères ^ cefl: chofe très-permife. Le luxe n'eft pas dans la chofe , il eft dans Tabus. Ainfî pour me fervir de l'exemple cité par Melon, un Parvenu qui dans Je temps dé Henri II. auroit porté des bas de foie, éroit reprchenfi- ble 5 parce qu'il afFedo't une re- cherche nullement convenable à fon étar ; & un cordonnier qui en porte aujourd'hui ne choque per- fon ne. le îuxe , De même la progrefîîon , qu^il ^épenfe dé- attribue à l'opinion du luxe dans la féconde partie de fon raifonne- nient tranfcrit ci deffus , efl: précî- fén ent le contraire du fait. Le payfan alloit autrefois les Diman- ches voir chez fon Seigneur un miroir de Venife de deux pieds en quarré j il revenoit étonné de cette magnificence , mais au-lieu d'en être choqué &c envieux , il s*approprioit une portion de ce fafte. Le campagnard n'envie pas non plus l'élégance & la propreté Le Lux 04 14^ Ses meubles de la ville , & la ville fe glorifie aux yeux des étrangers de la pompe de la Cour. Rien de tout cela n'excite Tenvie & la eu- pidité. D'où vient cela î C'efl: que tout eft à fa place. Mais quand le courtifan fortant de Ton entre-fol de Verfailles où il efl: meublé félon l'ordonnance, ou de fon Palais dé- fert où des pierres d'attente mar- quent la place des glaces, va chez lin Parvenu où tout reluit d'or «Se d'azur s où la magnificence de la vaiirelle'& des porcelaines, la pro- fufion & la variété des mets lui reprochent de toutes parts le vuide de fa prééminence ; quand le Ma- giflràf & le toufgeois voient dans des maifons de campagne les bou- lirjgrin^ 5c fes arbrirfeaùx odorants tenir la place des fertiles moi(Tbns qu'on en tiroit autrefois v&r réduire en chaumière par comparai fon l'ho- noràbje maifon de leurs p'^res ; quand, le Seigneur campagnard voit dans fa Terre un fripon de marchand de bœufs prodiguer à fa femme des bijoux qui éblouilleac 'i 5 o i Traité de la Piopulation» ] a Dame du Château , &c. alors tous les difFérents ordres crient au luxe; chacun ble0é de fe voir fe paiïer par Ton inférieur naturel^ s'efîorce de fe remettre à fa place. Pe-là les dépenies folles , c'eft-àf dire,difpropprtionnées aux moyens, je dérangement, la ruine 3 la cu- pidité enfin & fes conforts , & tous les défordres les plus propres à ruiner entièrement la fociéré. w Lorfqu'un Etat , continue Me- ^ ion , a les hoî^inies ncçelïàire^ p9 pour les tqrres^, pqur via. guerre » & pour les manufadures , il eft 7> utile que le furplu*s s'emploie P aux ouvrages.de luxe , puii^ju'i^ » ne refte plu^ gue 'Ce$te^,pe<^mî?q 33 tion, ou roi/îveté.', t;-, f ; > '' Il eft vifible qffil .confond \ç\ non-feulemencla dépenfe^c le luxe^ rinduftrie & la nécefîiçé, rpais eur, core Tadif & le paiïîf en ce genre.,, celui qui ouvre &, celui ,qni çoipr- fomme. Je voudroïs d'abord q^ail convînt de ce qu'il appelle ^l^s. ouvrages de luxe , ppifqu4l jç^ di/lîngue des rnanufadures» Le^ Le Luxe. 251 ouvrages des Gobelins j les tapis de la Savonnerie font affurémenc des richelTes très-eftimables chez nous ; mais ils feront luxe pour les particuliers qui s'épuifent pour don- ner dans ce genre de fafle , ou pour ceux qui ne font pas faits pour fe fervir de l'ameublement des Rois. Je fuis plus facile que lui. Je n attends pas pour permettre que \ts ouvriers recherchent la perfec- tion dans leurs ouvrages , d*être certain que l'Etat a les hommes néceifaires pour les terres &: pour les manufactures , ce point eft trop au-deiTus de nos connoilTances. Per-* fonne , pas même les preneurs phi- lofophes du luxe, qui ne me pa- roiiïent avoir aucun principe des véritables notions à cet égard ; perfonne , dis - je , ne fçait quand TEtat en fera à ce point de popu- lation : il fuffit de fçavoir ce que que nous avons déjà répété, que Jes arts du fuperflu, tous moins pénibles que les arts néceffaires , attireront toujours l'humanité , & feront déferrer les autres parties dia zji Traité de la Population, travail , fi le Gouvernement n'a une attention continuelle à appuyer & protéger les ans nécefîaires , & ilîr-tout Tagriculture qui eft le pre- mier , & les manufa(^ures d'arts erofîîers qui font les féconds. A 1 ^ • ' J -LIA cela près , je ne prétends ni blâmer ni refTerrer les arts perfedionnés ; .mais quant à Tufage qu'on fait de leurs produélions , j'en voudrois bannir l'effronterie , la difîîparioia & le délire : <5c cela fe peut fans rien éteindre ; on le verra dans la fuite de ce Traire. Dans quel fens peut - on dire -que le luxe amollit une nation f Cela ne peut regarder le Militaire, îl eft des proportions fi étranges quelles padèroient pour folie, qui réduites en queftion , quoique 'moins fages encore , paroiflent ré- foudre la difficulté , parce qu'elles iembarralTent par leur fingularité. Je crois de ce genre celle que ren- ferme cetre citation. Or puisqu'il s'agir ici de remettre en queftioa ce qui fut en fait de tour temps , ;e vais répondre en régie à celle- eu le Luxe. 2^) La partie matérielle en nous eft une ; c efl: ce qu'on appelle corps. La partie intelledi elle fe fubdivife en trois , chez moi du moins. Ces trois (ont le cœur , Tame , &c i*et- pric. Ces quatre parties font l'hom- me tout entier. Or pour définir la moUelTe , c'eft ce qui énerve le corps , avilit le cœur en l'endurcif- fanr , afîaifle lame en portant fon ambition vers des objets bas , afFoi- blit refprit par refpérance , la crain- te & l'avidité. Si le luxe efl: propre à produire ces efFets-là, il engen- dre certainement la molleflè , Se par conféquent amollit une nation en tout j ce qui , je crois , efl: dire en quoi. Reprenons à part cha- cune de ces fubdivifions ; mais , afin que mes démonflrations naif- fènt mieux l'une de l'autre, il efl néceflaire d'intervertir dans cet exa- men TorJre que je viens de donner à ces opérations. J*ai dit que le luxe tel que je Le luxeafr Tai défini , une fois foufF^rt dans [fj'"^ ^''^ une nation , occafionnoit les dé- penfes folles > le dérangement ^ la prit, a 54 Traité de la Population: ruine , &c la cupidité. On ne me niera pas que ces chofes ne livrent l^efprit aux agitations de la crainte êc de refpérance , & ne raflervif- fent à tout ce qui peut mouvoir ces tyranniques reflbrts. Qu'on fè rappelle les temps où de certaines nations , d'ailleurs aufîî portées aux vertus nobles qu'aucune autre, ont été par des bizarreries du Gouver- nement, ou par des météores paf- fâgers d'intérêt , livrées à l'adion de ces deux r efforts 5 qu'on fe rer ^ trace les horreurs qui boulever-r m ferent alors la fociété; tant de tant de fortunes ruinées , de particuliers réduits au défefpoir par des révo- lutions injuftes & inouies , eufTent en toute autre occafion caufé des féditions & des troubles : il n'en fut rien alors. Pourquoi cela? Cefl que l'intérêt avoit jette Ton appas. Le déplacement que je caraâierife luxe j ctoit plus en vogue que ja-^ mais ; l'efprit étoit afFoibli , & ne pouvoit rien produire que d'infâme'. Tels furent les effets de cette révo- lution. On vie les Grands devenu* Lt Liixel 25 j tas -valets , agioteurs , marchands en gros & en détail j les dépofi- taires de la Juftice payant leurs légitimes créanciers en effets dif-- crédités ; les frères dépouillant leurs frères; les maîtres fervant leurs va- lets. On ne pouvoir voir que cela : ce font-là les troubles du luxe en fureur, troubles moins effrayants à J'œil que les maflfacres des féditions réelles, mais qui laiirent des traces ^ent fois plus profondes. Qu'on jette les yeux fur les fuites encore funeftes de ces temps de cahos ; x]uon confidére TavilifTement vo- lontaire des principaux ordres de l'Etat; les membres des corps de leur nature les plus hauts à k main & les plus difficiles à rédui- re, faifant depuis auprès des fous- ordres plus de bafleffes qu'on n'eût pu jadis imaginer d*en faire pour les arbitres du Gouvernement : on jugera que les efprits furent comme engloutis dans la fervitude volon- taire , & Ton connoîtra ce que c'efl que les effets de la crainte & de 'ijô Traité de la Population. refpérance fur des efprits ouverts a Ja cupidité. Le luxe donc qui dirpofe VeÇ. prit à recevoir ces funeftes impul- sons , raffoibljt. Qu'on en juge même par Tes délalTemens 5 qu'on life les brochures , qu'on voye les fpeaacles, on y découvrira le type de cet afToibliiîement de refpric qui travaille pour Tes femblables. Plus rien qui tienne du noble^& du grand , colifichets & enfances dans le fond , pointes & faillies dians h forme & dans le ftyle. Tel efl le fruit de i'affaidement de YtC- prit dans une nation ; ii porte fur tout , il abâtardit tout , & les hom- mes réfléchis, qui ne peuvent nier Je fait à cet égard , vont , faute den avoir étudié le principe , en chercher la caufe dans une pré- tendue dégradation arrivée dans la mafTe phyfique , tandis qu'il n'en ^ eft point d'âucre que le dérange- ment dans les mœurs , qu'on ap- pelle luxe. Le luxeaf- i j* ».i .^ ^ faiflè rame, J^ ais cncore qu il afFaiffè Taftiei Le Luxe. a 57 en potfant Ton ambition vers des objets bas. L'amour propre , che- ville ouvrière de celles de nos paflîons qui méritent ce nom , n eft point' Tamour de foi-même. Ce dernier n'eft prefque que machinal en nous ; l'autre efl: une perfe6tion de celui-ci, fentiment faâ:ice,& qui n efl: que relatif. Il nous porte au defir de nous diflinguer dans notre efpece , il trouve àe% ref- fources au fond des cachots , oà des malheureux , fans efpoir de tout autre genre de difl:inâ:ion , portent leurs prétentions fur l'excès de fcélératefle. L'ordre néce(îàire de la fociété a varié cet appas en marquant les états , & le defîr de fe diflinguer dans fa profeffion pa- roît la plus naturelle des ambitions. Mais l'homme toujours trop prompt à en revenir aux figues fenfibîes , éprouve par le fentiment, a connu par l'expérience de tous les temps que les marques extérieures de dif- lindion étoient en ce genre , ce qui faifoit Teffet le plus prompt & le plus durable. Ce fentiment a ijS Traîté de la Poputation, donné l'être à la pompe des Roîji à rextérieur des dignités. Dépouil- lons ces fignes étrangers de la va- leur que l'habitude & le confen- tement public leur ont donnée ; que feront le manteau Ducal , le tabouret , & le cordon de TOrdre ? Des parures , des marottes d*enfans que le Philofophe apprécie à rien dans Ton cabinet, & révère à Tex- terieur malgré lui-même , en for- tan t de chez lui. Laiflfons un moment ces %nes que je viens de citer comme exem- ple, en fuppofant qu'ils font ex- clufifs à certains égards. Indépen- damment de ces marques privilé-^ giées, il en efl; grand nombre d'au- tres qui ne font prohibées à tout ordre de citoyens , que par cette forte de vergogne qu'on appelle modeftie & décence d'état. Les meubles précieux , les vêtemens magnifiques , les maifons faflueu- {gs , les équipages , la fuite &c. attirent néceiïairement les regards de la multitude, &" c'efl: ce que les hommes prennent & prendront tou-? Le Luxe. 259 jouts pour de la diftindion. Dans leur iiiftitucion primitive, ces chofes dévoient fervir à défignec la puif- fance ; mais dès qu'elles ne de- .fignenc plus que la richefle , dès- iors, félon moi , le luxe règne. .L'émulation fe tourne alors vers Ja richeffe; or l'émulation de la richeife n*eft autre chofe que la cupidité. C'efl: bien pis , fi le relâchemenc •des relTorts d'un Etat eft au point , que la richefle donne non- feulement 'le pouvoir, & la liberté de fepro- . curer ces diftinélions trompeufes . Se voyantes , mais encore qu elle ,foit un véhicule certain & indif- ^^^penfable aux dignités , aux hon- "neurs & à l'autorité j mais l'Etat ' fera vrai-femblablement au der- nier période de la corruption des mœurs , fi la pauvreté & même la ;niédiocrité deviennent méprifables . & dans la vie privée & dans les , dignités , dans l'homme de mé- , rite comme dans l'homme médio- cre ; fi tous les états s'inFedent .légalement de cette prédilection pef- %Sq Traité de la Population: tilentielle pour les richefTes 5 fi 1 homme de guerre peu aifé eft regardé comme la vidime nécef- iaire de tous les dégoûts & préfé- rences de la faveur , rinftrnm-nt lubordomié de lavancemenr d'un homme riche & fans mérite; fi le Magiaratle plus intègre &: le plus éclaire n'eft digne des grandes places, qu'autant qu'il peut ce qu'on appelle sy foûtenir; fi la carrière enhn de la gloire & du défintéref- lem; nr eft occupée par Por, comme celle de l'intérêt & de i'induftrie: des- fors toute qÇ^qcq de vertus & toute idée de gloire ne feront plus que de vains noms , oubliés comme la malTe d'armes & \2, lance \ Ôc tout ce qui reftera de forces à. lame du citoyen, fe portera vers Je defir de Por; rem haheas ^ auo^ cumque modo rem. Or je demande , Mefïïeurs , moî ■ qui fuis peut-être aufîî orgueilleux qu'un autre, quel métier vous me confcillez de faire pour acquérir cet or qui doit tenir lieu de 'tout. Studieux ^ accoutumé au travail &: Le Lux cl léi aux veîlles , réfolu à n'éparj^ner ^ucune peine pour arriver à la béa- ititude , quelle route prendrai- je? Sera-ce le commerce ? Je vois & je parcours Tunivers , je trouve toutes les routes de l'échange com- blées d'avanturiers d'autant plus entreprenants qu ils ne rifquent que le bien d*autrui ; peu délicats fur les moyens , ils tentent tout , ils emploient tout ; la malfaçon des manufadures leur vaut quelques retours avantageux dont ils profi- tent en difcrédirant leur nation ; ils ne craignent ni d'enfreindre les loix de l'Etat , ni de fauffer celles de la probité: ils ont quelque fuc- cès; niais , moi qui ne m'étois poinC fait une ame d'airain , qui barré d*une part par les jaloufies natio- nales, de l'autre arrêté par les chi- canes ancrées dans tous les ports avec la mauvaife foi , vois mes fonds en péril à chaque pas , je dois m'eftimer heureux , li à la fin d'une vie laborieufe & économe je lai (Te mes enfans en état de pourfuiyre ma profeflion 5 6c c^ 't(ji Traite de la Population: n*étoit pas-là ce que je cherchoîs. Ferai-je la banque ? les tours de palTe-pafïe de la profefîîon font ufés ôc connus; & (î quelque Cour. ne me charge de Tes remifes , mon argent , en (è promenant à travers les orages , ne me rapportera que de quoi vivre à peine, Ôc toujours, avec le fil de Damocles fur latête» Tenteraî-je ce quon appelle les entreprifes <* Eh î qui me répondra de la fidélité de mes confrères l Cartouche a bien été trahi. Je verrai net le produit de la clientelle en- vers d'avides patrons , des avances .onéreuses , & incertaines Ôcc. Se quand il faudra partager le gâteau, l'en ferai pour avoir vu de près le Pérou 5 fans avoir eu l'avantage d*y prendre terre. Entrerai-je dans les fermes? Oui-da, Ci je trouvois la porte ouverte ; mais en ce gen- re, la voie large neft qu'au figuré/ Que faire donc , & que faites-vous tous 5 vous qui n'avez pas les ta* îens & la patience que je me fup- pofe ici , èc qui pourtant courez le même objet ) Vous vendez naïf: Le Luxe. lé^ iànce , honneur , confcience , Cen-^ timens Se tout. Vous les vendez non-feulement au préfent , mais au futur , non-feulement à la réalité , mais à l'efpérance ; vous vendez ame , corps , & bien , Se pour peu qu*on vous achète , vous êtes en- core trop payés. Mais , tandis que j*énumere les relïburces de la cupidité, je m'ap- perçois que mon ame s'afîaifïe , Se s'appéfantit fur ce tas d*ordures Se d*immondices. Tel eft Tefîèt de la cupidité, effet auflî pernicieux dans un Fermier que dans un Général d'armée ou un Chancelier de France, Je Tai dit ailleurs , le fel doit en-* trer dans tous les mets , l'honneur dans toutes les profejjions ; mais l'honneur ne fubfîftera jamais qu'a- vec la vergogne Se la modeftie; Le luxe eft l'ennemi juré de celles?? ci, auflî Teft-il de l'honneur j Se il n*en faut plus attendre d'aucune efpece , où le luxe régnera. . J'ai dit encore , qu'il avilit le le /uxç cœur en l'endurcilïant : j'aurois ^^'^" ^^ dieux fait de dire qu'il l'étoufft^ '2.^4 1'^^*^^^ ^^ ^^ Population, L'axiome primo mihi, qui s*établît hautement dans des temps de cor- ruption , fut de tout temps écrie au fond des cœurs. On fe regarde toujours foi-même premièrement ,- ôc même fans le vouloir. Nos pre- miers befoins font en nous , ils font aifés à remplir : les féconds font hors de nous j & foit en bien , foit en mal, ils font immenfes, & tou- jours renaiflfaiits des efîorts qu'on fait pour les fatisFaire. Quoique le bien & le mal ayent des caraderes moraux très-diftinc- lifs , je me permets ici de leur en donner un phyfique » & je l'établis en difant que les defirs fociables & qui fe mêlent au bonheur d*au- trui , vont au bien j nos defirs ex- clufîfs au contraire , Se qui nous font propres uniquement, tournent au mal. J*ai dit que le luxe ré- duifoit tous nos appétits à la foif de Tor : je demande G tous les de- firs qui émanent de celui-là , ne portent pas le dernier de ces ca- raderes. 3*ai pu jadis aimer mon père exclufivement à tous autres ; râin^.er Le Luxe. i^^ râimer non pour lui , mais parce que je fçavois qu ilm*aimoit comme fon bien , & que cet amour , exi- geant à l'extérieur , m'étoit com- mode au fond , parce que je pou- vois m y fier , parce que fon con- feil m*étoic bon , & que fon expé- rience m'apparrenoit j j'ai pu leref- peder pour apprendre par^là aux autres à rendre au nom qu*il m'a tranfmis , Sec. Tous ces motifs étoient au fond ceux d*un cœur empreigne de la lie de l'incerêc , êc indigne de la pureté primitive de h portion d'être fpirituelle que j'ai reçue des mains du Créateur j mais tels qu'ils croient , mon père ea profîtoir dans le fait, la fociéré Se ma famille par l'exemple. L'inté- rêt fordide eft venu déranger cet ordre apparent. Mon père , dont je dévorois la fucceffion comme un bien trop long-remps retenu , tarde trop à mourir ; l'impatience me fait appercevoir qu'il me doit compte du bien de ma mère: je l'attaque, il fe défend; findignarion fe joint à la douleur de me voir échapper //. Partie. M i66 Traite de la Population: à fa dépendance; Je hâte Tes jours i & j'en déshonore la fin en faifant retentir les Tribunaux du récit de fes injuftices \ je fcandalife la fo- ciécé , je donne à mes enfans l'exemple qu'ils tranfmettront à leurs neveux; & les regardant d'a- vance comme ennemis , j'établis hautement le principe qu'il faut ici- bas travailler pour Ton propre bon- heur , & je le mets en pratique en plaçant une partie de mon bien à fond perdu. Ce fait allégué n'a que trop d'exemples chez les peuples adon- nés au luxe : je puis me difpenfer de parcourir les autres ordres de liens de la fociété. Qu'attendront des frères , d'un fils parricide? Des parens , d'un frère dénaturé ? Des amis, d'un parent infenfible ? Le Prmce , l'Etat , & la Société , d'un homme qui n'a ni parens ni amis dû' qui* s\^^it de fon intérêt? Et .queft-ce qu un cœur qui ne con- noît ni la voix dii fang , ni le ref^ ped du devoir ? Ne penfons pas tous tant que nous fommes qui Le Luxe. iCy n*âvons pas perfccuté notre père, erre exceptés pour cela de l'ana- thème général. Il faut , avant de condamner autrui , fe voir avec certitude digne de prendre la pre- mière pierre. Ceft par cette raifon que je n'attaque ici non-feulement aucun individu, mais mène aucun ordre de citoyens. Je dis que le luxe a tout Fait ; mais fi je naî point plaidé contre mon père , le pouvois je ? Qiîand je Taurois pu , en avois-je occafion ? Difîipoit-il fes biens? Me refufoit-il le nécefiaire ? Si ce crime m'eft: échappé , je dois rendre grâce aux circonfrances. Si j'ai fervi mon frère > Ci j'ai refpedé les premiers liens de la narure , ai- je également reconnu les fé- conds ? Ai -je fait à mon parent pauvre le même accueil , I^s mê- mes prévenances qu'à celui qui etoit pui{ranr? Je lui en devois da- vantage cependant , puifqu'il en avoit plusdebefoin- Ai je apprécié mes amis au tarif du mérite , ou à celui de Tefoérance? La voix de mon propre cœur me confond daiis Mij \6B Traité de la Population. cet examen 5 & je reconnois que le luxe nous a tous perdus , plus ou moins. Ceft uniquement par- là, Se non par une déchéance de la nature humaine, que nous fom- 'mes indignes de nos pères qui âvoient dégénéré de nos ayeux , & que nous donnerons le jour à des cnfans plus vils encore que nous. Ce que je dis ici , n eft point déclamation : chacun fe plaint de ce que le monde , plus féparé que jamais en fociétés exclufives & par- ticulières , n'a cependant que les apparences de l'amitié. Admis au commencement dans ces réduit^ particuliers , Se fréquent de ma na- ture 5 je me difois en fortant : Ces gens- là ont bien des cho/ès à fe dire quand ils font feuls , car ils ne s*en difènt guères devant un tieis. En perféverant, il m'efl: ar- rivé de me trouver de Tintérieur abfolu. Helas ! à l'exception de quelques traits contre des rivaux ,| du récit de quelqu'anecdote fecret- te , d'une (brte de relâchement enfin de cette prudence Téche , que Vïtii ïf lusîe, ^ 2Î^5) terêt prodigue fans efforts à Tes moindres adeptes ,ils n avoientrien de plus à fe dire. Rien de foi , de fon CŒur , de fon efprit , de fes fentimens j tout cela étoit engourdi & mort par Thabitude d'être en écharpe , & f ai cru long-temps que les gens du grand monde n avoient j pas de cœur. Penfez-vous avoir un ami furie Théâtre ? Il en eft encore , je le fçais mieux qu'un autre , mais en bien petit nombre. En général vous qui cherilTez cette erreur , fuivez la même carrière, ayez des protec- tions , des cabales , des intrigues , de bons avis j qu'il vous croye tou- jours utile à fon intérêt ou à la 1 forte de réputation qu il veut y faire fervir, fi vous ne voulez être trif- tement détrompé. Si vous n'avez à lui offrir qu'un cœur fenfi.bîe & |une fidélité éprouvée, il vous (ub(^ tantera de quelques diflradions , comme Ton entretient un vieux château d'une terre éloignée où l'on peut avoir affaire un jour. Il vous réiervera pour \m temps de philo- Miij 'ifQ Traité de la Population: fophie, que certains reftes de libre arbitre expirant lui laiflTent entre- voir dans un avenir, donc dix gé- nérations ne trouveroient pas la place j mais vous verrez les fecrets, les confidences , les rendez-vous, les effufions de cœur, s'il en fut, paifer à des gens qu'il n'aime ni n'eftime au fond , & qui le lui ren- flent. Semblable au ramoneur qui s'aide également des deux parois pour grimper , tant de celui auquel il tourne le dos que de celui qu*il a devant lui , il oublie qu'il court rirque de paroître à l'extérieur noir comme charbon , uniquement oc- cupé d'arriver au terme de fon travail. Ne croyez pas., Je vous prie, parce que j'en écris de vivacité, que Je m'en fâche. J'ai aflez vécu pour fçavoir que c'eft chofe indif- penfable , & pour avoir appris à rire de moi-mêm.e , quand par lia- zard une épreuve du moment vou- loir m'en porter des boufFces de fcandale à la tête. Cela fut de tout temps , me direz- vous : eh ! non , le Luxe: i7ï mille fois , non ; pas du moins au point où cela efl aujourd'hui. Vou- lez-vous le fentir «&: pour un temps bien près de nous , lifez les regiftres de la fociété , feulement du (îécle paflé; les Lettres de Madame de Sevigné , par exemple , femme d*ef^ prit , mais afTurément des plus fri- voles de Ton temps : vous y ref- pirerez un air d'intérêt entre les amis & liaifons de ce temps-là , un air de prendre part aux fuccès & aux difgraces , qui , quoique dès- lors bien affoibli fans doute , fait par le conrrafle mieux connoicre encore la fécheredè de nos inti- mités d'aujourd'hui. Je n'ai donc pas dit affez en établififant que le luxe avilit le cœur , je devois dire qu'il l'étouffé & l'anéantir. Mais il faut tout voir quand on raifonne de fang froid, & je vois encore des traces de fentiment qui me ramèneront peut-être à mon expreflion première. En effet , on aime les valets , on fe les débau- che , on les vêtit , on les couche comme des maîtres,& Ton demande M iv zyi Traité de la Population. à^ boire dans le ftyle des placets d^aurrefois. On fe pique de les charger de profits. Les teftamens enchérirent les uns fur les autres en legs^ dorneftiques , fans diftinc- tion d'âge , d'ancienneté , de fer- vices &:c. & fi-tôt qu un valet a eu le bonheur d'enterrer deux maîtres, fa fortune eft faite. On diroit que la fuperftition de nos pères pouc les fondations n a fait que changer d'objet, & ce nouvel abus égale- ment à charge aux héritiers , eft plus affligeant encore. On vous y prend , dira-ton , à parler contre les pauvres. Non ; je fçais tout ce qu'on doit de foins pour adoucir le fort des dornefti- ques, & engager leur fidélité ; mais le déplacement ne fait le bonheur de perfonne. L'aifance & la dou- ceur de la vie domeftique , com- parée à la vie dure Se nécefîîteufe de leurs parens de la campagne, doit être une compenfation de l'en- gagement de leur liberté; mais pro- diguer à votre cocher qui les brds croifés ordonne le panfement de fes Le Luxe* 275 chevaux , prodiguer à fa femme qui fert de femme de chambre , le double du craitemenc en toutes fortes d*aifances, que faifoient vos pères à leurs propres coufins & coufines qui leur fervoienc de Gentilshom- mes & de Demoifelles , leur alTurer des penlions quelquefois même en les prenant , & les gratifier à la mort , comme vous feriez des do- meftiques qui auroient fidèlement fervi pendant 40ans, c'eft un abus qui déplace un ordre de gens voués à robéiiïance & à Téxaàitude, & qui offenfe un millier de mife- rables liés à nos devoirs, mais in- connus à notre vanité. Le luxe donc avilit le cœur : voyons s'il énerve le corps. Perfonne ne fçait quelle e,ft Té- i^e iux« tendue des forces de Thomme exer- énerve le ce. Ce qu'on fçait des prodiges en ^®''^^' ce genre des anciens athlètes , de la vigueur & légèreté -e nos anciens hommes d'armes , de celle de cer- tains de nos coureurs encore qui font des traites dans les vingt- quatre heures , qu'aucun cheval efâ Mv 174 TraitJ de la Population, haleine ne pourroit remplir , ce qu'on'^voic de certains peuples qui nagent mieux & plus long-temps que les poiflTons , tout nous ditcjue rhornme en tous les genres eft lei plus fort & le plus adroit des ani- maux , comme le plus vivace. Ou- vrons d'autre part les annales de la mollelTe , & confidérons à quet point de dégradation elle a porté en tout temps rhumanicé; il feroit inutile d*en rappeller ici les diffé- rents traits. Revenons enfuite à ma défini- tion du luxe , & rappelions-nous Le îuxe , que Je Tai dénommé le déplace- dcpiaccT^ent ^^^^ ^^^^ l'extérkur de la dépenfe. dans 1 exte- j rieurdeiadé- J*ai dit que ce relâchement dans jpenie, l'ordre des mœurs portoit toute l'émulation inféparable de rhuma- nicé du coté de ce genre de diftinc- tion. J'ai prouvé comment cette corruntion des principes tournoit à îa moileffe i'efprit , famé & le cœur. Voyons comment elle y en- traîne le corps. Il feroit plus court de dire en général, que jamais force de corps 'Le Luxe. ij§ ne fe trouva revêtir abfolumeiic une ame fans courage j mais com- me ce font des raiions phyfiques qa*on me demande plutôt que des principes moraux , je vais repren- dre les caufes pour arriver aux con- féquences. J'ai dit que !a magnificence gra- duelle 5 s'il efi: permis de parler ainfi , c'efl-à-dire, celle qui obfer- ve les différentes gradations & claf- fes de citoyens , n'écoit que fafte que Je me garderois bien d'inter- dire dans un grand Etat , putf- que ce feroit ramener les loix de Lycurgne , étouffer route induRrie , & qu'il ne falloir appeller luxe , que le renverfement de cet ordre. Suivons les ravages que j'ai attri- bués à ce renverfement. Qi^iel qu'appétit de l'or qu'il allu- me dans tous les cœurs > il e(i im- poiïible que les moyens , que cet appétit nous infpire à tous , nous réuffiffentà tous. On efi d'ailleurs, en ce ^enre plus qu'en tout autre, prefle de jouir. Plus un defir ed fu- tile 6i bas , plus il eft vif & prompt. M vj 2^7^ Trahi de la Population, Un enfant eft plus pafîîonné poiit fon château de cartes, qu'un hom- me pour fon palais de marbre. De' même l'impatience du héros pour la gloire le porte aux occafions ,. mais lui permet d'attendre qu'elles» arrivent. Le Magiflrat , qui am-* bitionne la réputation de fon doyen, travaille tranquillement à l'acqué- rir. Le négociant, qui jaloufe le'' crédit immenfe de fon voifin , en devient plus fidèle dans fes engage- mens , plus exaâ: pour fes com- miflîonnaires , veille & attend. Vf ais^' l'homme choqué du luxe de foir égal , n'a point de repos , qu'il n'ait en quelque forte pris fa revanche» Cependant comme tout le monde n'eft pas abiolument fol , l'efpric vient dans plufieurs au iecours de la bourfe. De là les recherches futiles & répétées de ce que l'oiî' appelle gotir j de-là les mal-façons par-tout pour épargner la matière, & mettant tout à î'extcrimir , pour faire valoir par le tour ce qui n'a nullevaleur.au fond. L'épargne fur l'efpace eft devenue commodité ;> Le Luxe, 277 fur la profondeur élégance , fur la niarière délicarelTe ; & tout en eft venu au point , qu'un jeune chat enfermé par malheur dans l'appar- tement d'un grand Seigneur, peut en Ton abfence avoir détruit tout le mobilier, de façon que non-feu- lement les ornemens , mais les lits, les tables , les chaifes ayent befoin d'être renouvelles. J'ai quelquefois eu une idée , que je ne donne point ici comme un raifonnement , mais à laquelle je crois qu'on trouvera quelqu'air de vérité ; c'efl; que l'homme in- telleéluel fe relTerre en proportion de ce qu'on le prefTe , comme l'homme machine fe courbe à me- fure qu'on le charge. Les premiers hommes , dont nous ayons con- noiiTance , n'ayant qu'un ciel pur fur la tête , s'appliquèrent à l'aflro- nomie , &: y réufîîrent. Les fé- conds enfuite virent Jupiter fur les nues, & Iris dans l'arc en ciel. Les Peuples du Nord fous un ciel né- buleux cherchèrent la divinité dans ies boisj & moins bornés fur \t% lyS ^ Traité de la Topuîatton: principes de dépendance & d'union »' nous ont lai (Té les traces de la nîeilleure des légiflations ambu- lantes. Des forts , & des châteaux fonibres, fortirent , dans les temps d'anarchie, la tyrannie & l'oppref- fion. Des palais depuis , font fortis les ordres les plus harmoniques de décoration , de police , & de légifla- tion particulière. De nos entre-fols ^n^ïi .... hélas ! Je fens moi-même que j^écris dans un cabinet trop reiferré , & que (i f avois à la place une belle galerie, je dirois mieux. A ce compte , en donnant à un homme le droit de placer un dais entre fon plafond & fa perfonne , on lui reflTerreroit l'occiput. Pour- quoi non ? ^ Mais laiifant à part cette ima- gination qui n'efi: pas de Tordre des indu(flions par lefquelles îe conduis mon raifonnemenr , je demande îi nos apparcemens ainfi faits Se dé- corés pourroient contenir un maî- tre de la trempe de ceux d'autre- fois.^ Le bout de Tépée du Balafré feroit encore à la trojfiéme anti- Le Luxe, 279 chambre, que le pommeau caffe- roic la glace qui domine le canapé du boudoir. Il faut donc propor- tionner nos armes, nos vêtemens, nos geftes d: jufqu'à nos révérences à l'exiguiré de notre étui; cela fe fait de foi même , Se la nature y pourvoit. Voici comment. L'homme devient robufle, léger, adroit &c.£n proportion de l'exer- cice qu'il fait pour cela: c'efl: une vérité connue , mais il devient grand & gros , auiïi relativement aux qualités du climat en propor- tion de tout cela. Confidcrez les bras Se la poitrine des bouchers & des forgerons , comparez-les à ceux d'un tapiffier Se d'un tailleur , ces deux hommes travaillent éga=- lement de part Se d'autre route la journée ; voyez la différence. Nous tie fommes aujourd'hui que des demi hommes en comparaifon de nos pères ; pourquoi cela ? Il y a, dit-on 5 des (îècles de déchéance y où toute l'efpece dégénère. En ce cas, la toife des troupes doit être forcée à baiiïer auflî 5 ^^ais elles lËQ. Traité de la Population. ^ font auffi élevées qu'elles récoiçn. du remps de Louis XIV. Pourquo^ la Cour & la Ville ne voienc-elîes plus que des pigmées , ou des plan- tes féches & mal nourries ? c eft que réducation & la vie particu- lière des hommes de ce cemps-ci , eft tooce autre que n*écoit celle des hommes d'alors. La débauche , dit - on , énerve les Jeunes gens de trop bonne heu- re : ce n'eft point encore cela , félon moi. Il y a fans doute plus de baffe crapule , & moins de dé- cence, qu'autrefois ; mais on fai- foic plus d'excès qu'on n'en fait aujourd'hui. Ainfi à cet égard , les chofes étoient au moins compen- fées ; mais on montoit à cheval , on jouoit à la paume , au mail , on batroit le fer dans des falles d'ar- mes, on alloit à pied, & l'on ne fait plus rien de tout cela. Les jeunes gens , reçus dès l'adolefcen- ce chez les femmes , y ont apporté moins de décence & de retenue , que quand elles ne recevoient que des hommes faits 3 mais d'vtne part , Le Luxe, iSi ils y ont pris un air de fuffifance étrinquée qui a banni Taifance & la familiarité d'entre eux ; & de Tautre , leur corps prend dès l'en- fance un pli de poupée 3 qui arrête lacroi(rance& fupprime la vigueur. Un homme qu'on frife avec deux cents papillotes n*a garde le len- demain de cette opération , au mo- ment que fa tête toute mufquée fort de fa boëte ou elle a été con- fervée comme des fleurs d'Italie, d'aller rifquer à la paume fa pro- vifion de quinze jours; au-lieu de cela, il s'étend dans une chaife longue , 6ç prend une brochure, Ainfi donc plus de force. D'autre part , les femmes autre- fois plus long»remps fous la tutelle domeftique , & ne voyant guères que des hommes pofés , avoient quelque chofe de plus mâle dans leurs plus délicates prétentions. Elles faifoient cas de leur fraîcheur, de leur taille , de leur beauté ; un loup confervoit foigneufement leur tein 5 elles n'alloient jamais à Taîc fans cela ; !e foin de leur raille les 282 Traité de la Population^ obligeoic à avoir des corps qui là confervoient , foûtenoient leurs reins , & ouvroienc la poitrine. L'attention à conferver leur fraî- cheur les faifoit vivre de régime de de chofes faines , fe coucher de bonne heure , &c. Au-lieu de cela, la première jeuneffe étant aujour- d'hui la partie régnante de la fo- ciété, les jeune» femmes paroilTent dans le monde dix ans plutôt , & à l'âge où rien n'efl: encore formé. Dès l'âge de onze ans, les filles ne peuvent plus fouffrir le corps : à quinze ou fcize , on les marie , elles vont feules dans Je monde. L'embonpoint qu'on ne fçauroit avoir à cet âge , e(ï pafTé de mode 9 un> air érourdi & des yeux roulants dans la têre conilituent le joli ; & de beau , il n'y en a plus. L'afîbr- timent de ce joli carillon eft né-, celTairement le mouvement perpé- tuel , des courfes , des fo-jpers , des veilles , jamais de faim, jamais de fommeil. Le tempérament s'allu- me 5 la poitrine s'échaufFe , Se cette petite lueur précoce n'attend qu'u- Le Luxe, 2S5 ne couche pour difparoître , & aller rejoindre quelque feu follet , d*oû elle femble être fortie. Cette cou- che cependant efl: ce qui donne un fuccelTeur à une grande Maifon , & voilà le plus beau fang dégénéré en afthmatique. Echappe-t elle à la profcription prefque générale de fon efpece ? Ce feu de jeunefle dé- génère t il par la voie de l'ennui ( l'une des maladies de nos jours ) en langueur & réfidence ? Etendue dans un fauteuil à fix pouces de îérre, où Tattitude indifpenfableeft prefque nécelTairemenr indécence, elle paroît rentrer dans la plume, fes épaules fe rapprochent en avant , la poitrine s'enfonce , lé corps en- tier s'afFaifTe , & elfe ne peut défor- mais /ouiTrir la fatigue d'ctre ha- billée. Tels étoient les pères & mères dont nous voyons les en- fans. En vous pafTant les faits , me dira-t on, nous A'oyons comment Tadmifllon de la jeunefTe dans la fociété , ou fi vous voulez , le re- lâchement de la difcipline domefti- 284 Traité de la Population^ que à cet égard ont occafionni cette forte de renverfement ; mais nous ne voyons pas ce que cela a de commun avec le luxe. Le voici. Le luxe a. J*ai dit que le luxe amenoit né- "?^"^^^„^?" ceflairement la recherche, & le cherche Se le ,./- , -, . ^ cohfichet,& cohhchet, Lxammez vous-même; tourne de ce avez-vous VU perfonne qui nevou- fonnes"ahifi ^"^ ^^^^ alTortî à fa dépenfc ? Le i^ueiesbiefls. ridicule fenfible d'un cuiftre donc l'agencement extérieur finge le Grand-Seigneur , d'un bourgeois grofîîer qui paie bien cher le goût des fripons qui Tencadrent dans une bordure qui lui fait jouer le magot , eft un des plus piquants qu'on ait pu mettre iur le théâtre. Les originaux , qu'on en vit jadis dans le monde , étoient fi vifible- ment plats , qu'ils corrigèrent bien-- tôc le public de cette difcordance ; & fi la fortune en belle humeur n'alloit de temps en temps cher- cher quelque valet d'écurie pour en faire un arbiter elegamiarum ^ îe moule en fèroit totalement per* du. Le Luxe. iSj Tout le monde donc a cherché à fe modeler fur fes acceflbires. L'homme dont les meubles & les bijoux font guillochés , doit Têtre auiïî par le corps &: par refprit. L'homme aux vernis gris de lin & couleur de rofe, porte fa livrée en fa robe de chambre , en fa fa- çon de fe mettre , en fon attitude & fes mœurs. De-là les vieillards indécents , les barbes épilées , les plaifans éternels de foupers qui fe déhanchent aujourd'hui devant \ts petits- fils de ceux qu'ils faifoienc rire , il y a quarante ans. Cette marotte de jeunelTe & de légèreté une fois répandue dans une nation , ce ne font point les adolefcents qui parviennent à la fociété , c'eft la fociété qui defcend à eux : or l'au- torité de l'âge mûr fur la jeuneffe, & le refped qu'il a pour la vieil- leffe , font des fentimens naturels,' il eft vrai , mais dépendants d'un certain régime d'habitude , & de réparation de mœurs & de famir. liarité. De ces trois états ou portions 2 s (5 Traité de la Population, de la vie de l'homme , quand les derniers Te rapprochent des pre- miers , il eft tout ^mple qu ils con- tractent quelque chofe de leur ha- bitude extérieure. Ce n'eft que le refpeâ: ou la dépendance qui peu- vent attirer des Jeunes gens parmi des hommes mûrs , & des hom- mes mûrs parmi des vieillards. Ces fèntimens impofent à Tafpirant une forte de contrainte , qui par l'habi- tude devient gravité Quand au contraire rattra<5l:ion fe fait au re- bours ; le vieillard devient ridicule, Thomme mûr évaporé. Ces fortes de déplacemens qui font la gri- mace 5 ne font pas faits pour en impofer. La jeunellè alors prime par les grâces dont la nature pallie les défauts de cet âge , & c'eft ce qui fait le monde renverfc. Sera- î'il pofîible alors que le père ren- trant dans fa maifon puiflè en im- pofer à fon fîls ? lui , qui vient de Jouer fa parade avec le. camarade de cet enfant , qui afFeéle les moeurs de fon âge , & qui pourroit lui fervk de modèle de fatuité , s% Le Luxe, zSj n'étoit lui-même encore incertain de la mode de meubles Se d'équi- page , qui doit le décider pour la {aifon prochaine. De-là ces beaux axiomes de tolérance qu'on trouve aujourd'hui dans la bouche de tout l-e rnonde : qu'il faut fur-tout vivre pour foi , ne fe gêner, ni gêner autrui , Sec. Ce n'eft pas qu'on ne fût volontiers aufiî éxi<^eant qu'on 1 etoit autrerois, mais on auroïc honte de fe condamner ibi-mcme par Tes propres préceptes. Il faut fçavoir Ce contraindre pour avoir droit d'en impofer aux autres ; Se qui le peut ou le veut à ce prix ? Des- lors auiïî , ce défordre de- vient contagieux comme tout autre. Lorfque mon voi/în laifîe la bride fur le col à fon hls dès l'âge de quinze ans , qu'il lui permet , Se croit néceiïàire la dépenfe qu'on ne faifoit pas autreTois à quarante , le taux du mien eft fixé , fans quoi d'une part je paierai pour un père injufte. Se de l'autre mon fils fera élevé dans l'obfcurité. C'efl: ainfî que les particuliers du même ordr^ 2.88 Traité de la Population, fe forcent la main Tun à Tautre fur îes chofes même les plus eifen- tielles, & que le torrent de la fo- ciécé nous jette malgré nous-mêmes hors des voies. Si doncla jeune{ïè prime aujour- d'hui dans le monde , c*efl: qu'elle convient mieux que tout autre à ^agencement général des mœurs, & au papillotage qui a pris en tout la place du folide. D'autre part , la prééminence du colifichet n*a pas été de choix , mais forcée par le luxe. Ceft par ces liaifbns in- difpenfables que le luxe a énervé le corps. Et (î Fan ajoute à ces inductions déjà trop allongées , celles qui refultent des efîètsdela recherche en tout genre de plaifirs , la bonne chère, la mufîque , les parfums &c. on verra qu'il efl: tout îîmple qu'elle amolliÏÏe le corps par l'organe de tous les fens atta- qués à la fois. Voilà donc dans quel fens on peut dire que le luxe amollit une nation _, en énervantl'ame , le corpsj i'efprit , & le coeur des citoyens. OLiant Le Luxe, lÈ^ Quant à cette qtieftion , Melon ajoute affirmativement que cela ne peut regarder le Militaire, Il n'y a rien à répondre j à moins qu on n'eût réfolu de faire un Livre pour prouver que le fucre eO: doux , ÔC rabfinthe amer. Si Melon eût en- tendu la guerre comme il entendoit le commerce , il auroit feu que jamais on n'a prétendu rendre la difcipline & la vigueur à une ar- mée 5 qu'en banniuant le luxe rela- tif; que les foldacs Se les fubalternes ont leur luxe , ainfi que les autres , puiiqu'aujourd'hui chaque fergenç a fa robe de chambre , accoutre- ment que Magnac trouva , il y a cinquante ans , fi indigne d'un homme de guerre, qu'il fit brûler à la tête du camp celle d'un Aide- Major qui parut à une alerte vèm de la forte ; que par cette raifoti nos pères faifoient démonter & brûler jadis nos chaifes de portes ; que les troupes Efpagnoles qu'il cite , frugales par nature , étoienc précifément les meilleures de l'Eu- rope , & le redeviendront quand IL Partie. N ipo Traite de la Population. on voudra ; car je ne dis pas que la fuppreffion du luxe faffe tout , ceft feulement celle de la racine des vices : il auroit fçu enfin , que quelque valeur & volonté que nous montrions encore dans les occa- fîons , nous & toutes les nations de TEurope, parce que le luxe, natu- rellement étranger dans le Nord, ny a pas encore bien affermi fou empire , nous valons beaucoup moins en ce genre que les gens de guerre du fiècle palTé. Peut-être que' fi , comme eux , nous étions obligés de faire trente campagnes de fuite , chofe impoffible vu la tournure dévorante qu'a pris la guerre de nos jours , nous nous y ferions; mais en ce cas le luxe des villes deviendroit étranger, &pa- roîtroit méprifable à k partie mi- litaire de la nation , & elle reviens droit aux mœurs de nos pères. Melon raifonne merveilleufemenC faux dans tout ce Chapitre : je ne prétends pas le fuivre, & le com- menter ligne par ligne ; mais fes principaux axiomes me donnant Le Luxé. 29Ï cccafion de développer la matière , je les reprends Tun après l'autre à niefure qu'ils fe préfentenc. Le luxe^ contiiiue-t-il, tfi en quelque façon le dejirucieur de la pare (Je & de / {oifiveté. U homme fomptueux ver- rait bientôt la fin de fes îichejfies ^ s^il ne travailloit pour les confer- ver & peur en acquérir de nou- velles ; il efi: d'autant plus engagé à remplir les devoirs de la Jociété ^ qu'il ejt expojé aux regards de l'en- vie. Cette phrafe renferme trois principes oppofés à la vérité , félon moi. C'eft ce que nous allons dé- velopper. Le luxe eft-il le dedrudeur de l^elu^'e àl. l'oifiveré? Ce neft a fTu rément pas ^^r^'"** dans ceux qui jouilTent , puifque nous venons de voir qu'il la né- ceiïîte dans les moeurs & les dé- la (Te mens de fes adeptes. Ce pour- roit être dans ceux qu'il occupe, en ce que toujours inconfiant dans (ts defirs , nouveau dans fes re- cherches , & futile dans fes ouvra- ges , il faut qu'on travaille fans celTe pour le fatisfaire. Cela pour- * N ï] k ipi Traite de la Population: roic être fi , comme ledit Melon, un millier d*hommes avoient le privilège exclufif du luxe, & que vingt millions d'autres, qui en fe- roient exempts, travaillalTent poui leur fervice ; mais cette diftributior eft un être de raifon. Le luxe gagne également tous les ordres de la {b-l ciété du premier au dernier , chacur dans fa proportion , & en confé- quence il établit la parelTe , & h defir de confommer beaucoup, & de travailler peu. De même qu'il faut aujourd'hu ' vingt Commis dans tel bureau pour faire la befogne qui n'en exi geoic que quatre autrefois, il nt faut pas moins qu'un chef de cui- fine, un patiffier, un roti{reur,&' deux garçons, pour la même table: à laquelle un cuifinier & fon mar- miton fuffifoient ci- devant, &ainf du refte. Je l'ai dit ailleurs : tous les ou- vriers fe lèvent tard ^ travailleni moins , fe font payer plus cher ^ parce qu'ils confomment davantage , &c que d'autre part , le luxe toujouts Le Luxe. 195 infatiable & toujours prefiTé cîevienc dépendant de ceux qui étoient au- trefois les tributaires du fade & de la dépenfe en régie. Le luxe donc peut à quelques égards éveiller \xï\ certain genre d'induftrie changean- te & recherchée , dont la nouveauté fait tout le prix ; mais il eft l'enne- mi du travail utile & durable , & de la véritable induftrie. L'homme fomptueux verrait bientôt la fin de-fes richejjes ^ s'il ne travailloit pour les conferver & pvur en acquérir de nouvelles. Je pourroisdifpurer le principe 3 &dire que l'homme amolli par le luxe n'eft plus capable du travail aiîidu , néceuaire pour réparer les brèches que fa conduite fait à Tes affaires, & qu'il aime mieux fatisfaire fa pafîion aux dépens de fes fonds , quand fes revenus n'y peuvent fuf- fire. On ne voit que trop d'exem- ples de ces prétendus fomptueux qui meurent endettés , après avoir dévoré des fommes immenfes ; & les revenus viagers , fi communs N iij 2 5? 4 Traité de la Population. aujourd'hui , ne font autre chofe c]ue des fonds facrifiés au luxe. Je dirois encore, que le négo- ciant Hollandois ii puiffàmment riche qu'il demandait à fa Répu- blique la permifîîon de faire à Tes frais 1^ guerre aux Rois , fait à Téconomie & à la frugalité de Ton pays , fe nourrifiant de fa beurrée comme eût pu faire un jardinier, n'en étoir pas moins avide d'éten- dre Ton commerce , & de groffir fes fonds. Mais j'adopte le railon- nement ci-defTus, & je conviens, comme je l'ai dit ailleurs , que la partie vuide du cofire excite la cupidité 5 tandis que la partie pleine allume lesdeilrs. Il faut à cet égard faire une diftindion importante. L'expérience journalière , &r les exemples de tous les temps ont fait voir que Thomme le plus détraque conferve un certain ordre de rap- port entre celles même de fes paf- fions qui fe croifent , un cojîumi général de conduite qui fert comme de coin & de marque diftindive à fa façon d'être. Celui qui confomme le Luxe. 195 peu & lentement , fe contente de perits profits , & peut les attendre 5 . multi pochi fanno un ejjai j a dit la plus économe des nations : mais au contraire celui qui confomme rapidement & avec profufion , veuc acquérir & recouvrer de même ; & s'il y a quelques exemples con- traires à ce que je dis ici, ce font des exceptions à la régie générale. Or dans la totalité des chofes hu- maines, il neft guères de moyens prompts de faire une grande for- tune pécuniaire , que la rapine j & je conviendrai avec Melon que le luxe porte toutes les facultés de l'homme fomptueux de ce côré-là. L'on répète fouvent dans le /«s folies , .r V T depenfes ir- monde un railonnement très - ab- j.^;,^^ ^^^^^ furde à ce fujet. Il faut bien , dit- pidicé & pac on, que les parvenus mettent leur f^|^'^ \l^f^^^_ argent en circulation par leurs fo- tunes parri- Jies , fans cela Ton n en verroit ^"^^^^^^ ^^"^ bientot plus. On ne veut pas corn- partir. prendre que de mille hommes cu- pides 5 il n'y en a pas fix qui le ioient uniquement pour le plaifir ou la manie d'entafcr. Si ce fer* Niv Z()6 Traite de la Population, mier ii'avoit perdu toute crainte ou vergogne , s'il n avoir qu'un équi- page gris , qu'un domeftique réglé. & peu nombreux , qu'une maifon modefte , s'il n'ofoit faire des allian- ces que dans fon état ou à peu- près , dès-lors tout le bruit qu'il a dans la tête tomberoit , les deux tiers de fes nécefîîtés aduelles feroient nulles , & lui & fes femblables fe croiroient heureux , quand ils aii- loient gagné un million. En confé- quence fe trouvant au niveau de leurs defirs avec quarante mille livres de rente, ils chercheroient à \qs mettre à l'abri des orages par une retraite fage & mefurée. Âiî- lieu de cela , il faut des équipages brillants du plus beau vernis , & par conféquent fans ce (Te renouvelles, des maifons de ville & de campagne qui brillent à côté des palais des Rois, un luxe de table & d'amu- femens , qui abforbe des fommes immenfes , qui éveille les defirs moniirueux qui vont , à la faveur de l'or , porter la corruption jufques dans les rcduits les plus reculés oi Le Luxe, 297 pulfie fe cacher l'innocence. Pour remplacer alors les trouées que ce luxe dévorant fait à une fortune , il faut fe jetter dans toutes fortes d'en- treprifes , corrompre la Cour & la Ville pour obtenir de nouvelles places , 6c enta (Ter dans fa famille les emplois & les cailTes lucratives. Dès -lors le plus impudent & le pins habile à l'intrigue fe trouve le plus favorifé. Chaque nouvelle felTource eft mangée d'avance; le fuccès accroît l'audace, & les dé- prédations de ce colofle forti de la terre en vingt - quatre heu- res 5 comme Tarbre d'alocs ; Ton effronterie brave le ciel , & offenfe les hommes , & tout le crédit d'un Etat fe trouve placé dans des mains odieufes & infidelles. Je conviens donc que le luxe éveille la rapacité dans l'homme d'argent; mais j'ajou- te^ & je prouve qu'il en fait le fléau de la fociété. Melon dit le contraire , & con- clut qu'i/ efi d*autant plus obligé à remplir les devoirs de la fociété ^ qu'il eji plus expofé aux regards N V 29S Traité de la Population, de l'envie. Belle fpéculation , fî elle n'écoit démentie par rexpérieii- ce de tous les liècles. L'hifloire & le tableau de la vie ne nous mon- trent que trop que ceux d'entre les hommes, quela^^rovidence a mis le plus en vue, font ceux qui fe font le moins refpedés eux-mêmes, & ont^ moins refpedé les autres. Mais en fuppofant qu'il en fût au- trement ( comme en effet ce que je dis ici ne peut être pris qu'en générai , & il feroit aifé de me citer mille exemples contraires ) fî Ton trouve des hommes fages & mo- deftes dans une profpérité difpro- pbrtionnée à leurs efpérances na- turelles, ce font, ou ceux qui ont fait le moindre faut , & que la nature avoir mis le phis à portée de la fortune qu'ils ont obtenue , ou ceux qui y font parvenus à force de mérite Se de travail ; mais un changement de fortune rapide & prodigieux eft d'ordinaire lepafTa- ge du tropique pour les mœurs & pour les idées. Caligula, le plus habile courtifan d*un Prince ombra- Le Luxe', 299 geux , devint en une nuit !e plus extravagant de tous les Empereurs. Arlequin trans'Formé paroît le plus înfolent de tous les maîtres. Ouvrez les yeux , & voyez comment les Arlequ'nsde la ville rempliiîènt les devoirs de la tociété. Quand après cela Melon faic honneur au luxe de la témérité des Flibuftiers , je m'étonne qu'il aie oublié Cartouche dans la lifte de fes héros. Notre Marine militaire, ôc même les Jean Bart , les Dugué- trouin , les Calfart , les Delaigle &c. feroienr bien étonnés, s'ils vivoient , de n'avoir pas pris garde au niotif de leurs adions déterminées. Les loix fomptuaires ne valent Les loU rien dans un o-rand Etat , parce ^«-^F^f ^^ , r ^ • A S ne valent qu elles n y (cauroient être execu- rien dans un tées , parce qu'une loi nulle eft une S"^^^ ^"^"^ loi méprifée , & que cefi: un grand mal qu'une loi méprifée. Caton , que Melon injurie un peu légère- ment dans ce Chapitre , s'y méprit. Il fentoit la nécefîîté du rétablifîè- ment des mœurs : eh ! qui peut lire fans horreur l'état où la cupidité N vj 300 Trahi de la Population, & la corruption avoienc réduit là fociété dans ces derniers temps de la République Romaine ? Son carac- tère dur & du vieux Romain n2 lui laiiToic imaginer de moyen que la contrainte des l^x, ôc la con- trainte fera toujours un mauvais moyen dans l'humanité. Si nous en étions où en étoient alors les Ro- mains, ceftrà dire, dans rabfoiue vétufté de tous les liens de FEcar , je me garderois bien de manifefter les abus , & d'en montrer le prin- cipe. Quand un vaifleau périclite, celui qui annonce le danger tourne la tête à tout le monde , & dès- lors , loin de courir au fecours , chacun s'emprefTe à fe noyer à part un peu plus promptement 5 ma)s nous fommes en pleine vigueur , & (\ par Tabas de notie fantc nous courons rifque de tomber dans quelque maladie dangereufe , j'ei- pere au milieu de cette profusion verbeufe d'indudions &: de récits,' d'établir un petit nombre de prin- cipes qui feroient pour nous la médecine univerfelle. Le Luxe. 3 q i L'exemple le plus favorable , que Melon choifit pour faire voir que le luxe efl: un bien , eft celui d*un jardinier qui vend les premiers pois à un prix exceiîlf qui fait fou bien-être de^ijcoute Tannée \ mais j*ai échappé à Ton argument en ne donnant pas dans Texccs de ceux des détradeurs du luxe, qui vou- droient gouverner un grand Etat comme le fut Lacédémone. En replaçant la dépenfe dans Tordre naturel , les Princes , les Grands , les noces d'apparat , les fêtes d'Am- balTadeurs, les hommes riches même qui traitent leurs commettans , par exemple , des Tréforiers du Clergé & des Provinces, le Banquier de la Cour qui reçoit le€ notables qu'il a obligés ou qui ont affaire à lui , tout cela 5 qui par Tordre naturel fe trouve autorifé à une dépenfe de devoir plutôt que d'orgueil <3c de fenfualité, mettra le taux aux primeurs. Il reftera même encore aflez de fenfuels pour enchérir; mais }e veux qu'ils fe fatisfafïcnt fans bruit , 6c non par vanité > ce ^01 Trahi de la Population. qui eft bien différent , quant à TefFet 6^ à l'exemple. ]'ai répondu , je pcnfe , aux principaux raifonnemens du Cha- pitre du luxe de Melon. Il a cru ians doute que la bidonne Logique eft rarement néceffaire , quand il ne s'agit que d'établir un principe qui flatte les paiïîons ; car j'ofe dire que ce que j'ai omis dans ce Cha- pitre n'efl: pas plus conféquent que ce que j'en ai cité , & que ce font Tes- plus forts argumens que j'ai combattus. Je répète encore néan- moins , qu'il s'en faut bien d'ailieurs que je refufe à Ton Livre i'eftime qu'il mérite. Il pofe nombre d'ex- cellents principes ; & le Chapitre même que j'ai attaqué eft plein de reftriâiions qui montrent que l'Au- teur refpefloitles grands principes de mœurs & de vertus : reftridions que les amateurs de paradoxes fous- entendent très-communément. Quant à David Hume , il faifît la matière d'un tout autre fens *, il l'examine en Philofophe radis , im- partial , & de fan g froid , & U Le Luxe, 5ô"| trake avec cet air de fageflè & de vérité qui le rend très-edimable. Mais je ne fçais , fi je m'étois ex- pliqué avec lui, s'il ne feroit pas de mon avis en s'arrêcant au point fixe Se certain par lequel j*ai défini le luxe. Du moins il me femble que d'un bout à l'autre de Ton Traité il confond le luxe avec la poiiteilè, l*induftrie & les arts. Je demeure d'accord avec lui de tous les bons effets qu'il attribue à ces derniers ; mais à mon fens , le luxe n'ell point cela. Je fçais qu'il en efl: l'abus & le point prochain, comme la cor- ruption Teft de la maturité; mais, quoique dans le cercle le point 360. foit le plus voifîn du point i.c'eft cependant celui qui lui reffemble le moins. Cette fpécuîation dois être le point ^xq du Gouverne- ment. David Hume a bien fenti que l'abus étoit bien près de î'ufage , puifqu'il confidere deux fortes de luxe : le luxe innocent, &le luxe vicieux. Mais pour établir cette à\C- tindion, il ell obligé de greffer 504 Traité de la Population, la modération fur une plante qui lui efi: abfoîument étrangère, & de fappofer un homme qui commence par remplir Tes devoirs , & qui em- ploie tout ce qui lui refte à con- tenter Tes appétits les plus rafinés. Je ne crois pas que l'hippogriFe réalifé fût un être plus étrange ici- bas qu'un tel homme. Chacun fçaic d'ailieurs qu'en faine morale , le plus riche n*en: fur la terre que i'adminiftrateur d'une plus forte portion de biens, mais également obligé à la même fidélité & aa même défintérefTement que le plus pauvre ; en conféquence les devoirs de Topulent ont bien une propor- tion relative à Ton état & de plus d*étenduë , mais au fond il n'a licitement pour lui que le nécef- ^ire de Ton état , & rien pour Tes f aurai /îes. La fuppofition fautive &• ima- ginaire que je viens de noter , à laquelle fe trouve réduit un des plus habiles hommes , félon moi , qui ait écrit fur les matières poli- tiques , prouve «qu'une mauvaife 1 Le Luxe* 30 j Caufe au fond embarraiîè fouvenc plus un honnête homme & un homme de génie, qu'elle ne gêne un étourdi. N'eût-il pas été plus aifé de reconnoître le luxe dans la définition diftindlive que je lui donne , à fçavoir le déplacement de la dépenfe ^ & r impudence dans les mœurs. Le luxe une fois connu , il efl: aifé au Gouvernement de Tarrêter , & de lui donner des bornes fans nuire aux arts & à Tin- duftrie. Outre les moyens d'attention & de détail , fen connois un général & efficace , c'efl: d*eftimer les vertus & les talens indépendamment de la richeCfe. Bientôt une infinité de gens dédaigneront celle-ci^, les uns^^par impuitTance d'y atteindre, un grand nombre auffi par ce penchant na- turel au bien, & vers la vérité, qui ne meurt jamais en nous. On cher- chera dès-lors des points de dif^ tindion ailleurs, & l'émulation fe portera vers les chofes louables. H en eft à portée de tous les états, & plufieurs auffi qui convienneDC 50^ Trahi de la Population: à tous. Or je foûtiens qu'il eft en général moins difficile d'y réufïîr , que de faire utilement le voyage de la Colchide. Mais vouloir que dans un Etat , où non-feulement toutes les diftindipns phyfiques 9 mais encore les avantages moraux tels que l'honneur , la prééminence , la gloire &c. font exclufivemenr attribués à la richeffe , vouloir , dis-je 5 que dans un Etat conftitué de la forte , tout ne tende pas à la profcription & à l'oubli de toutes vertus , prétendre qu'un tel Etat puiiïe fe foûtenir fans tortiber vers la décadence par un mouvement de gravitation fans ceffe accélé- rée , c'eft un entier renverfement d'idées. J'ai dit que la poIitefTe, l'indiif- trie & les arts n'étoient point le luxe. Je dis plus, & je foûtiens que le luxe tend à les détruire entière- ment. Prenons la première de ces proportions , nous viendrons enfuice à l'autre ; car ce funefte fléau mé- rite d'être examiné dans tous fes rapports. Le Luxe. 307 .La politeiïe d'an fiècle n'a pas Leluxerend de miroir plus fidèle que celle qui ^^j^J^^^i^ ^« règne dans Tes écrits. Terence pa(Te parmi les Latins pour TEcrivain le plus poli en fa langue. On fçaic combien il eft éloigné des temps où le luxe dévora cet Empire i Jules- Céfar enfuite; & quant à ce- lui là 5 Ton nVoppofera que fon temps a été le plus malheureux de fa patrie. Diftinguons. L'âge de Céfar fut un temps de révolution, mais ce n'étoit point encore celui du luxe que j'envifage feul ici , du mcins dans le fens que je lui attri- bue. L'ambition des Grands , la vétufté des reflTorts d*un Gouverne- ment fait pour une République très- médiocre & qui fe trouvoic avoir à régir le monde entier , cau- ferent alors un ébranlement qui finit par une révolution abfolue. Le fiècle d*Augufte vanté par les gens de lettres , & qui fondoit en effet fous des apparences de mo- dération la monarchie la plus abfo- lue 5 proiuifit encore un grand nom- bre d*excelients écrivains. L'ancien 3t)S Traité de la Pôpuîationl ordre attaqué petit -à- petit dans l'intérieur fubfiftoit encore à 1 ex- térieur. Le fiècle du luxe , tel que je Tenrends , ne commença qu'avec TEmpire de Caligula qui difîîpa dans un an le thrcfor immenfe de l'avare Tibère. Dès-lors, Textrava- gance Te joignit à la corruption ; on ne connut plus de raceurs ni de vergogne. On vit des affranchis, des hommes de néant s*élever en un inftant au faîte du pouvoir & de Tinfolence , & toutes les dépréda- tions du luxe s'établir avec une forte de fureur. ]e demande (i depuis ce temps on vit aucun écri- vain comparable pour la poiiteiïè à ceux du fiècle précédent. A la referve du feul Pétrone , qui , quoi- qu échappé au mauvais goût d'alors, nous fait d'ailleurs une peinture des mœurs de Ton temps qui fait voir quelle en étoit la politeiïè , tout le refte n'efl qu'enflure , re- cherche , jeux de mots & abus de refprit , flyle tendu , goût dépravé , recherche du nouveau ^ rien de Yrai 5 de noble , de foîide 3 d*élevé. Le luxe. 309 rien qui fente la véritable urbanité, cette décence de mœurs , & ce refped d*autrui qui part du refped qu'on a de foi-même, rien en un mot qui dénote la vraie politefTe. La remarque que je fais ici fur les Romains, je laifîe au ledeur à la faire fur d*autres Nations qui prennent peut-être leur luxe pour la politefife. Le tableau de leurs mœurs que je n*ai peut - être que trop chargé ci-de(Ius , ofFriroit en- core bien des réflexions tirées d'a- près des principes phyfiques fur ce fujet ; mais je me fuis déjà trop répété. Quant à Tinduftrie , il efl: cer- Le luxe dé^ tain que la recherche Texciteenun ""'^r!"'{"[* lens ; mais il n en elt pas moins arts, vrai que ce neft qu'une induflrie de détail 5 & d'une utilité fi éloi- gnée , qu'elle ne fçauroit jamais avoir trait à la néceiîîté. L'utilité eft cependant la vraie pierre de touche du mérite de Tinduftrie. Il eft trois fortes d'induftries. Celle qui pourvoit à la néceflîté eft la première. Celle qui ferç ^ 3Î0 Traité de la Population, faifance & à la décoration , la fé- conde. Celle enfin qui fatisfaic la recherche & la curioiité eft la der- nière. Or je foûtiens que le luxe n'a d'influence qu'en faveur de celle-ci. En effet , eft-ce au luxe que nous devons l'agriculture , les mou- lins à eau & à vent , &c ? Eft-ce au milieu du luxe que les Hollan- dois ont appris à gagner du terreiti fur la mer , & à couvrir de moif- fons les parvis du palais d'Amphi- trite ? Eft-ce aux recherches du luxe qu'ils doivent l'invention des éclufes & des canaux 3 qu'on doit ailleurs l'art de la conftrudion des navi- res 5 les citernes , que fçais-je, toutes les inventions de l'induftrie humaine qui ont, pour ainlî dire, changé la face de la terre ? Les fciences ont affurément aidé à les perfe6lionner. La Philofophie qui comprend la Phyfique , la Géo- métrie , la Politique & la Morale, a donné des yeux à l'humanité qui n'avoit que des mains. Notre ficelé qui certainement a généralement Le Luxe. 5 1 1 décliné vers le luxe , fe vante d'être plus philoiophe qu'aucun autre , & s'il en étoit ainfi , je ferois du moins en cela démenti par l'expérience'; mais je crois qu'il en eft de cette prétention , comme de prefque toutes les autres qui marquent pré- cifément l'endroit foible du pré- tendant. Qu'on m'écoute un mo- ment , quoique j'avoue que je fuis à cet égard le futor ultra crépi- dam. Les parties de la Phyfique qui ont trait à l'hiftoire naturelle ont , je crois , été perfedionnées de nos jours ; c'efl: une fuite de la com- munication d'idées èc de décou-- vertes que l'art de l'Imprimerie a établie entre les hommes , & qui chaque jour devient plus facile : mais celles qui ont rapport à la connoilîance du globe célefte ou terreftre , a la médecine &c. nagent encore dans le vuide , malgré la préfomtueufe certitude àts adeptes en ce genre. Ils fe contredifent les uns les autres. Tous, ou plufieurs, montrent de refprit j maisle monde g I 2 Traité de la Population^ n en eft ni mieux connu , ni plus iàin. La Géométrie , fœur romanefque & déshéritée de la fcience des cal- culs , s'écrie fans celTe qu'elle feule eft la vraie fcience , puifqu'elle eft la fcience des vérités. Elle femble uniquement deftinée à nous ap- prendre à devenir fçavans de nos propres penfées , & -ignorans de toute autre chofe ufueile , & le monde attend en filence & attendra longtemps, je crois, les avantages qui doivent lui revenir des tra- vaux & des veilles de fes feda- teurs. La Politique vieille du temps cïu Chancelier Bacon, de Philippe de Commines & autres , q rajeuni de nos jours \ elle parle le langage des Académies, elle fubdivife , elle recherche fur- tout en principes & en faits contradictoires les avanta- ges de Tor , les moyens de l'avoir tout pour foi , & d*en exclure tous autres ; elle a bien de l'efprit, bien des certitudes , des do6leurs , & parmi tous ces modernes je fuis peut-être Le Luxe, 5 1 1 peut-être le premier qui ait préceiidii cnfeigner au phyfique que tous les iwmmes éroieut frères j que nul ne pouvoit faire Ton propre avantage exclufivement à celui d'autrui j que les principes de la juftice s'accor- doient en tout & par- tout à ceux du véritable intérêt 5 que les bien- faits étoient les feules chaînes pro- pres à l'hoaime ; que l'harmonie politique a des régies (impies, fixes & précifes, au-delà deîqueiles la puilTance ne peut rien que contre elle-même. La morale enfin eft plus foible & plus corrompue , puirqu*à la place des loix divines & humaines que nos pères redoutaient au mo- ment même ou ils venoient de les enfreindre , & que notre prétendue philofophie appelle préjugés, elle donne à l'homme pour unique frein je ne fçais quelle probité fantafti- que qui s'étend «Se fe rétrécit feloti que les objets touchent plus ou moins notre amour propre ; elle ne connoît de vertus qu'au niveau des avantages de la fociété 3 trant //, Farde, O 5 14 Traité de la Population, pofànt aiiiG TefFet & la caufe, & ie réfervant d'apprécier ces avan- tages au tarif de Tes partions. Le culte à Tes yeux n'eft qu une inven- tion politique pour contenir le peu- ple i le devoir envers le Souverain n'eft: qu un pa6te relatif , dont la moindre contravention refpedive dilTout les engagemens. Non- feu- lement elle fe fait de la forte un code arbitraire & léger , mais elle le prêche ; ce qui eft: ou le comble de l'extravagance, ou celui de la foibleffe. Ce n'eft pas que dans toutes les f)arîies que je viens d'énumérer, il n y ait des hommes illuftres & dignes des fiècles de force & ver- tu : cherchez-les & voyez à quelle diftance de leur porte ie luxe eft demeuré. Quant à Imduftrîe féconde qui feft à Taifance & à la décoration , elle a trait aux arts dont je parlerai tout'à-rheure dans le même fens. Il ne refte donc plus au luxe que îa troifiéme,qui fatisfaitla recher- che 6^ la curiofité. Quant à celle-là I Le Lnxe. 5 1 y I favouerai qu*il la met en moiivc- iTient , mais dans le même genre & avec le même efFec que j'ai attri- i bué ailleurs à la chaux qu'on mec au pied d'un arbre. Je prouverai «ela quand il fera queftion de dé- tnontrer que le luxeeft le deftruc- 1 teur de la policelfe , de Tindu^rie & des arcs. Pour le préfenc il me , fuffic d'avoir Fait voir qu'il n'a rien de commun avec rinduihie véd- tablemenc utile à l'humanité. Partons aux arts dans le fens feu- lement que nous leur avons attri- bué ci-delTus. Sans cette diftinftion ils feroient naturellement confon- dus avec rindufrrie. ]*entends donc feulement ici par les arts les in- iventions & travaux qui fervent à il'aifance & à la décoration. Cette i définition comprend également les arts méchaniques 6c libéraux d'une ipart, les beaux arts de l'autre. I Ces fruits de l'induftrie humai- IlSje , eftimables chacun félon fon degré, tiennent les uns aux autres. Les amateurs des arts méchaniques 4claii:enc les artiftes : ceux-ci réfoc- Oij ^i6 Traité de la Population, ment & indruifenc en détail les hommes de génie qui cultivent les arts j mais je ne vois pas ce que les uns & les autres peuvent devoir au luxe. J'ai déjà prouvé que ce que les arts méchaniques avoient d'utile & de folide, étoit très- étranger aux influences du luxe ; j'ai dit même qu'il n'étoit propre qu'à faire dégé- nérer en colifichets les fruits fub- divifés de ce genre d'induflric. Se- ront-ce donc les beaux arts qui lui devront leurs progrès ? j'en doute fur rexpoféfeul des effets que nous avons dit que le luxe faifoit fur l'humanité. Le luxe fait La Poèfie , l'Eloquence , la Pein- 4égénéier les j^ Scuîptute, l'Architedurc, feeaux arts, la Muuque même , h l on veut , demandent une ame élevée & libre. L'expérience nous a démontré que ce ne font point ces arts-là que le temps & la recherche perfeétion- nent. Le beau fiècîe d'Athènes de de la Grèce qui nous a lailTé àt$ chefs-d'œuvres inimitables depuis, parut tout-à-coup, & ne dura pas Le Luxe. 5 1 7 plus de cinquante ans. On en peut dire autant de celui d'Augufte & de Rome , de Léon X. & de Tltalie moderne , de Louis XIV. enfin & de la France. La nature , dit-on , fait dans de certains temps àts efforts remarquables & réunis, qui produifènt en même temps des chefs -d*Œuvres dans tous les genres, efforts aufîi palliigers que fruâ:ueux. C*efl-là le langage de gens qui con- fiderent les effets , fans jamais avoir approfondi les caufes. Les voici peut-être. La barbarie eCU'enfance des na- tions : Tes vices clirnés , pour ain(î dire , par les troubles Se les agita- tions qu'elle engendre , deviennent des vertus outrées , incommodes , & déplacées -, c'efl: de l'audace , de la force , de l'élévation , & ces qualités turbulentes forment le ca- radere de la nation. La laŒtude des troubles, & la viciflitude des chofes humaines , amènent enfin le calme -, & fouvent les hommes d'Etat qui (e glorifient d'avoir forcé à l'obéidànce une nation orageufe, O iij 5î8 Traité de la Population. doivent tout à Tavantage des cir* confiances , à celui d'être venus à propos dans le monde , & euflent fuccombé plus aifément peut-être que leurs prédécefifeurs , s'ils avoient été chargés de la befogne dans lé même temps. Quoi qu il en loit , les troubles forment les hommes , Ôc donnent à chacun à peu près h place : il fe répand dans une natioii entière un efprit pétri , pour ainfî dire, des qualités que fai remar- quées ci-defTus. Quand le calme civil paroît après de longs orages , tous en font avi- des 5 chacun en connoît le prix» Mais ce germe d'élévation , autre- fois nuifible, fe porte fur les amu- femens de la paix. Ces fentimens nobles érablifTent la vraie politelTe dans la fociété , & le vrai génie dans les arts. La Poèfie fait parler dignement Sertorius & Mitridare. L*Eloquence forme la langue ^ l'éle- vé 5 la rend nombreufe & préci/e» La Peinture trace les triomphes d'Alexandre. La Sculpture ramené la Renommée , Milon de Crotone, Le Luxe, ji^ les Héros de TAntiquité. UArchi- tedure élevé des monumens inimi- tables , également folides , majef- tueux & propres pour tons les âges. La Mufique enfin fait revivre les Héros fabuleux , les Roland , Jes Tancrede. Tout , jufqu'aux amu- femens les plus frivoles , fe reffenc du noble & du grand qui régnent dans le génie de la nation , & com- me ces deux parties font la bafe du vrai beau , Ton voit de toutes parts des chefs - d'oeuvres qu'on regarde enfuite comme des efforts de la nature , & qui ne font autre chofe que la nature fécondée par les moeurs. Si au contraire le luxe venoit à s'établir, dès-lors , félon ma défi- nition, les dépenfes oflenfoires fe- roient à Tordre de gens qui ne fçauroient avoir rien d'élevé dans le caradere. Quand Arlequin or- donne un plat , il ne lui vient en penfée que des macarons, & du fromage de Parmefan. D'autre part, le plus grand nombre eft, par les raifons que j*ai dites ailleurs , obligé O iv '320 Traité de la Population, de Te jetter dans le colifichet , & le goût moderne & dépravé fe ré- pand tellement dans toute une na- tion 5 qu il force même les plus jhautes claffes de la fociété. Dès- îors, quand les artifles conferve- roient du grand dans les idées , ^(Tujettis au goût du public , ils leroient dans le fait forcés à dégé- nérer. Le goût fantaftique & nou- veau fe répandroit fur tout. La Poefie noble perdroit tout fon fîm- ple &: fon harmonie, elle devien- droit ronflante & tendue j l'Elo- quence ne feroit plus que pointes, recherche , & vapeur j la Peinture Cœlum & nubes ypr Le Luxe, 511 concordants & merveilleux aux oreilles des enthoufiaftes du goûc moderne , bruyants feulement , & fans ame pour Taudiceur fimple qui ne veut que détendre Se déiafler Ton efpric , & n eft point initié aux chants de la Synagogue. Chacun. avouant en tout genre qu'il n'y a plus que le neuf qui pique fon goût, fe trouveroit Forcé de prévoir intérieurement la fuppreiîîon de tout art pour fes neveux ; car il n*y a que la nature qui foit fans bor- nes , Tart en a par - tout de trcs- étroites , & fe trouve à chaque inftant forcé de fe replier fur lui- même , de fe reproduire , & de fe copier. Par tout ce qui précède o\^ a viî que non - feulement le luxe n'ed point la politeiïe , i'induftrie , &: les arts , mais encore qu*il doic naturellement nuire à ces trois chofes. Examinons les moyens phyfiques de cette dérérioratiors dans leur principe. Nous rempli- rons ainfi le fécond des objets que nous nous fommes prefcr-irs. O ¥ 52 2 Traité de la Population, Moyens par La Vraie policeiTe n*eft autre îuxT'dérmic ^^^'^^ ^"^ rexpreffion d'une atten- la poiiceiTe. tion iioble & refpedive qui craint peu , qui ne demande que Tordre , qui connoîc des mefures , les ol> ferve , & en exige en même temps. Elle étend Ton empire fur toutes les adions de la vie, & donne un air de décence aux expreffîons , aux plaifirs , à la totalité des moeurs enfin : on Tapprend par routine & par ufage, on la grimace , mais jamais elle ne fera en un degré de diftindion que dans une ame au- defiTus du moins des prétentions qui avililTent à un certain point. 11 ne faut pas la confondre avec cette langueur , fille de la mollefTe, qui évite les éclats qui efïàroucheroienc fon oîfîveté. Nous Tommes moins fiers que n'étoient nos pères , moins prompts à la main , moins fenfibles à tout ce qui n^eft pas perfonnel ; mais fommes nous aulïï polis avec les femmes j aufîî exads fur les bien- féances , aulïï retenus fur les dif- çours légers qai peuvent intéreflfer Le Luxei 3 2 j la réputation d'aurrui , aufïï atten- tifs à obferver dans nos mœurs relatives les proportions d'âge, de réputation , de dignité , de naif- fance ? La politefTe , telle que je viens de la détailler , ne peut être obfer- vée dans une fociété compofée de gens tous déplacés ou par leurs fuc- cès , ou par leurs defirs. Dans un Etat , par exemple , militaire en fa conflitution , & qui par une fuc- cefîîon de ficelés de d'exploits fe trouve être comme le patrimoine de la plus augufte lignée qui aie fubiidé dans le monde , il eft im- pofîîble que la naiifance d*une part, & les fervices militaires de Tautre ne conftituent le premier grade de citoyens ; la Magiftrature enfuite a une prééminence acquife par-touc où il y a des fociérés. Ces ordres différents n'ont aucun droit naturei fur les fources de Tor, & s'ils en retirent du Prince qui n'eft en ceci regardé que comme le relTort de la machine , ce n eft guères que pro- portionnémenc aux dépenfes de C v) 3^2.4 T^^'(^'^^^ ^^ i(^ Population, leurs places. Ce font donc les der- nières claffes qui font les fortunes pécuniaires , éc qui par le moyen de rapoîbéofe de l'or prennent le pas , & font , fans qu'on y penfe , le monde renverfé. J'ai dit d'autre parc que toutes les autres claflTes de proche en proche n'ambitionnoient plus autre chofe qiie cet or , prin- cipe de diftindions , de plaifirs & d'honneurs , & c*eft en vertu de- cette révolution qu'il arrive que toute la fociéré fe trouve déplacée », les uns par leurs fucccs , les autres par leurs defirs^ Tel eft client de fait , qui devroir être patron. Tel prime par (es richelTès , qui eft né comme elles dans l'obCcuriré &: dans le fein de la terre. Faut - il s'étonner alors fi les hommes mêlés de la lorte n'ant plus entre eux les mêmes égards qu'ils avaient au- trefois? Les pre-.r.iers rangs fe reP pe-'^oient avec exactitude , & quel- quefois avec oftentarion ; \qs der- niers s'aimaient & fe voyoient avec franchifë , & quelquefois un peu limpiement \ tous fe font gâtés ea Le Luxe. ^tf fe mêlant. L'homme de cour , qui foupant chez le financier fe donne par compoficion avec fa vanité foufTranre des airs d'aifance ôc de fatuité, reçoit à peu- près l'équiva- lent de fa mife en monnoie de plus bas alloi , Se cependant d'égale valeur. On fe met à Ton aife avec lui , comme il ne Ce gêne pas avec les autres. Cet état forcé de parc & d'autre devient par l'habitude une Façon d'être. Ce nouveau genre de moeurs m.oins pénible de beau- coup que la politefle devient* bien- rôt général j les gens fagcs reiferrenr chaque jour leur fociété , ôc les fols rétendent , de forte que da fceptre à la houlette il n'y a que la droite ou la gauche de diffé- rence. Oh î je doute qu'il (oit quef- tion de politefïè dans la vallée de Jofaphaî. Quant k l'indurtrie, fouvenons- nous qu'elle eft fille de la néceffité èc fœur du travail. Les grands efforts de l'induftrie naiffent des grandes néceiîités.Repaffons la lifte, des inveations importantes que fai\ L ^i6 Traité de la Population, citées , & Ton verra qu elles par- tent toutes de-là. m'IIu ^k ^^^^ "^ peuple amolli il n'eft iLT^détruit P^"s que de petits defirs. Les nécef- l'induane, fités les plus Urgentes d'un paref- feux 5 la faim& la foif, ne le por- tent qu'à tendre la main. De même où le luxe règne , qui fçait fet vir , mentir, & attendre , n'éprouvera jamais la vraie force de la nécef- iité. Ceft Demetrius au pied d'un rempart qui invente des machines : ce furent les Vénitiens & les Hol- landois qui après avoir fait reculer les mers , apprirent à les parcourir pour jetter par-tout des rameaux de commerce. Il faut un efprit ardent , un cœur opiniâtre , une ame infatigable , un corps robufie, des defirs vaftes , de grands befoins pour nous forcer à reconnoître Té- tendue de nos relTources : or le luxe détruit tout cela. Quant à Tindurtrie de recherche ^ de curiofîté , j'ai accordé que le luxe la mettoit en mouvement ; mais il la précipice néceffairement vers le néant. Dans quel ordre d'air- Le Luxe, ^ly tiftes placerons-nous celui qui trou- va le fecrer d*écrire l'Enéide entière en fi petits caradteres, que le vo- lume tenoit dans une coquille de noix , ou celui qui tailla fur une amande le clocher de la Cathédrale de Srrafbourg dans toutes Tes parties &■ dimenfions ? Ceft le fymbole des arts de recherche & de curio- iité ; bijoux , parures , meubles , tour deviendra en filigrane 5 & bien- tôt il faydra paiïerauFeu les ordures des maifons comme chez les orfè- vres , pour retrouver les pailles de l'étoffe achetée la veille. Et qu'eft- ce qu*un travail dont il ne refte rien , quand toute la partie ouvrière d*un Etat fè jette de ce côté-là ? qu'eft-ce qu'un travail que la moin- dre ftrangurie dans le crédit & la circulation fait cefTer tout à la fois ? Peu d'années d'une guerre mênie heureufe dérangent , & mettent dans la nécefîité la moitié des arti- fans de Paris. J*ai dit d'ailleurs , que d*une part le luxe augmentoit de proche en proche la dépenfede tous les ordres 318 Traité de la Population. Ôc clalTes de fujecs jufqu'au moindre artiran5& de Taiure , que la fuc- ceflîve rapidité de Tes defirs chan- geants rendoic la dépeniè tributaire de rinduftrie, au-Iieu que celle-ci rétoit autrefois de la dépenfe. Il s'enfuit de-là que les ouvriers s'ac- coutument à furfaire leur travail dans les temps de profpérité 5 & montent leur dépenfe fur le pied du gain qu'ils font. De-là le peu d'ordre & de précautions contre la première calamité j au moyen de quoi le moindre ébranlement jette , faute de travail , plus d'ouvriers hors de la clafle de Tinduftrie que ne feroient vingt ans de guerre, iî le travail avoir été fur un pied fixe ôc réglé. Se la dépenfe des artifans proportionnée à des gains fages 8c mérités. Moyens pat A l'égard des beaux arts , il eft lefqueis le impolÏÏble ou'ils ne dégénèrent dès luxe détruit * * a i i v t j les arcs. ^^^^ 1^ gout de la recherche prend le de(Tus. En effet , en tout genre le vrai beau efi; fimple autant que noble & élevé. Il eft à un point fixe ôc marqué , par-delà lequel ou» Le Luxe, ^i^' le gâte 'y Se toutes les fois que les artiftes , en quelque genre que ce Ïm(ïe être, ont voulu enchérir fur a vraie beauté , la charger d*or- nemens, l'embellir par les détails, & la rendre Tufceptible de leur prétendue élégance 3 ils Tout défi- gurée ôc bientôt rendue mécon- noiffkble. CelV cependant à quoi le goût de la nouveauté force les artiftes. Première rai fbn. Le vrai beau d*ail leurs non- feu- lement eft fimple Se noble , mais il eft ferme Se fier y fon impreiiîon ébranle , agace les nerfs de la mol- lefle , Tefîraie & la rebute. A Tes yeux Tame de Cornelie devient romanefque ; elle feroit plus inté- refiante fi elle difoit de jolies chofes. Les grands reflorts de Téloquence ne font point affez polis par le flyle; le malTàcre des innocens eft hideux à voir. Se quelque foin que le peintre ait pris pour exprimer le dérefpoir 5 la rage , la violence , pour réunir le 'c(9/?w;;zc''j pour ima- giner la vrai-fembiance 5 c'ed peine 3 3© Traité de la Population, perdue , & ce n'eft plus le temps où Ton pouvoir dire : , Il n'ejî point de ferpent^ ni dâ monflre odieux ^ , Qui y par l'art imité ^ ne puijje^. plaire aux yeux, , Que lartifte peigne un oeillet ou une pêche , qu'il imite fidèle- ment quelques vaches , ou une gar- gotte de payfans , il verra Ton ta- bleau apprécié au poids de Tor, mis au premier rang dans les cabi- nets des curieux , Se les anciens chefs - d*Œuvres des peintres de THiftoire relégués comme trop trif- tes dans les appartemens de quel- ques vieillards. Seconde raifon. Le luxe d'ailleurs a féparé la focîété, loin de la réunir. Ceci paroîtra d*abord un paradoxe ; mais un moment d'examen en démon- trera la vérité. Il confond les rangs , je l'avoue , & lève de la forte cer- taines barrières ; mais il nous diP- penfe des bienféances , affoiblit les liens de la nature , détruit les ufages le Luxe» ? 5 1 anciens , au moyen de quoi il n*y a plus d'union que de fantaifie,ce qui équivaut à dire qu'il n'y en a plus du tout. Les Grands autrefois tenoient une forte de cour , les petits vivoicnt enfemble. Les pères , les chefs de maifon raiïembloicnt leurs familles en plu (leurs temps de Fan- née, je l'ai dit ailleurs \ tout cela demandoit un certain décorum de {implicite fort éloigné des recher- ches d'aujourd'hui, mais plus propre à donner aux arts la forte d'eiTor qui met à fon aife le génie. Des veflibules , des fales , des galeries ne gênoient pas Tarchitedle & le décorateur , & c'éroit tout ce qu'il falloir à nos pères qui connoiflToient peu de befoins perfonnels , & fe fai- loient bien des devoirs relatifs. Au- jourd'hui à force d'aller où Ton veut, on ne fçaic bientôt plus que vouloir , & fe confidérant feul dans la nature 9 onvoudfoit la pouvoir mettre toute entière à fon propre ufage. A-t'on un palais ? il faut y trouver apparte- ment d'hiver, appartement d'été, appartement de bains , entre- fols. 5 5'i Traité de la Population: cabinets , garde-robes , boudoirs l cabinets de livres, garde-robes de propreté , communications , efca-*- liers dérobés, &c. Il faut des jours à tout cela , ^ FArchirede défo- rienré , obligé d'opter entre le public èc le particulier qui le paie, aban- donne Vitruve , & prend Dédale pour Ton maître. Il livre au déco- rateur fa cage contournée , celui-ci cherche des angles & des crochets , dérobe la cheminée , cache les por- tes 5 niche le lit , proportionne les panneaux ; le vernis & les glaces font le refte. S'il fe trouve dans Tantique mo^^ilier quelque beau morceau de peinture & de fculp- ture 5 il ne peut aller aux places, & il faut qu'il regagne le garde- meuble. Troifiéaie raifon. Le luxe d'ailleurs appauvrit tout je monde en multipliant lesbefoins prétendus , & les rendant fuccefîîfs de avides. En conféquence perfonne n'a plus de quoi faire travailler pour la durée , pour la poftérité, &c pour l'Etat par contre coup. Le luxe enfin multipliant les fantaifiesa Le Luxe. 333 êr ne connoiflTant plus d'autres ré- gies , varie à l'infini tous fes ouvra- ges faixs utilité. Car ainfî qu'un niafque en plâtre ne fçauroit repré- fenter deux têtes à la fois , 2M- lieu qu'un cafque pouvoit fervir à plu- fieurs perfonnes fucceilivemenr, les dépenfes qui font moulées fur cer- tains ufages de bienféance & d'opi- nion, me fervironc tout comme à mon père & à mon ayeul , lî les mêmes ufages font encore en vi- gueur; mais dès qu'il n'y a plus de régies que de fantaifîe , chacun a la fienne , comme chacun a fes traits j la fomptuofité de mes pères me paroît caverneufe & fombre, mon propre goût vieillit tous les dix ans , & c*efl toujours à recom- mencer. En cet état tout ce que je mettrois enfoliditc feroit jette dans la rivière; & fi Je fuis bon père de famille , je dois faire conftruireune maifon à parties brifées qui puifient fe défunir avec le moins de déchet qu'il fera poflible, de façon qu'après moi l'on puifTe vendre le tout en détail , que Tun emporte les par- 5 54 Traité de la Population, quecs 5 rature les lambris, un troi- fiéme les glaces, un aurre les plombs, un cinquième les pierres Le courage ne nous manque pas : de nous montrer la voie de la perfedion ? La flatterie , ou fi l'on veut, la louange n'a jamais faic cet efFec-là -, elle excite au contrai- re la préfomption , principe de toute illudon. Piij i^i Traité de la Population» Il n*eft , dit-on , nulle vertu qui n'ait Ton vice à côté. Rien cepen- dant n'eft plus oppofé que le vice & la vertu j ôc cet axiome ne fignifie autre chofè , finon qu'il n'eft point de vertu qui ne puifTe dégénérer en vice. Ceft le vice voifin de nos vertus aduelles qu'il eft important de connoître ôc de prévenir. Tel eft l'objet de mon travail ; mais pour ôter tout prétexte à l'impu- îcirion de penchant à la fatyre , & répondre à Taccufàtion d'être par- tmn âù cette forte de politique ampre Se tranfparente qui en fous- en rend plus encore quelle n'en dit. ôc ne voit rien de bien dans la forme préfente de la chofe pu- blique dont elle fait partie , je vais tracer ici le tableau de mes idées fur le point confiant de notre prof* périré aéluelle. Cercle pref- îl eft un cercîe prefcrit à toute jT nature."'' ^^ "^^^^^ ""'P^^^e ^^"^ .^i"^ P^J^'^ que , de naiflànce, croiftance, force , déclin & mort. Ainfî font les jours du matin au foir , les années dans leur révolution folaire» la vie de Age de la France. 345 rhomme du berceau au tombeau , celle des Etats de leur fondation à leur chute. Mais qui peut fçavoir quelle feroit la durée d'un Etat toujours fagement conduit? Autant néanmoins ceux qui imaginent &: cherchent Teau de Jouvence font des fous 5 autant font fages ceux qui tâchent à fe conferver fains par un régime & un exercice propre à leur âge & à leur tempérament. Dans le grand nombre d'hommes qui nailTent , combien peu parvien- nent à la vieillefle ! Des accidens étrangers à notre conflitution na- turelle nous prématurent tous : il en eft ainfi des Etats. Aucun peuple connu n a fait Ton cercle entier 5 rinattention , la mal-habileté, ou les vices du Gouvernement les ont tous détruits. Le Miniftre fupé- rieur eft donc celui qui confidéranc la machine entière , connoit d'abord à quel point du cercle il en eft. En effet , tel régime tueroit un jeune homme ,qui en fauve un autre dans l'âge mûr. On m'objeâiera que ie compofe P iv ^5 44 Tràké de la Populat Ion: ici un'Miniftre idéal ou tel quEfo^ pe en Lydie , ifolé & fpéculanc au milieu de l'adion & du tumulte des affaires. Oui fans doute , & je préruppofe que les hommes fupé- rieurs femblables aux Quiétiftes fçavent agir dans la foule, & pen- fer feuls 5 & ce n'efl: que pour ceux-là que je parle. Mais comme mon miniftere à moi eft peu em- barralTé de requêtes , mémoires , placets& follicitations, j*ai trouvé le temps de faire cette étude : en voici le fruit toujours relativement à nous. Peu de gens , même de ceux qui y font le plus obligés par devoir ,. ie livrent à ce genre de fpécula- tion. Il efl: pourtant vrai que rien ne fe fait qu'il n*ait été prépaté. Le fydême d'E pleure eft auiîî dan- gereux en politique, qu'il eft fautif en phyfîque. Je Tai dit & je le répète ; des principes iimp!es &. uniformes gouvernent l'univers : il en efl: de même du régime des. Etats* Les hommes affairés & mi-, nurieux font de tous les moins Age de la France, 345 propres à les conduire. Tout va de foi- même dans les détails ; &c dans le grand, tout ell relatif à des principes généraux , fimples, mais confiants. Il importe infiniment de les connoître , & c*eft la principale étude de l'homme d'Etat. Le plan que j'établis ici de cal- il faut cal- culer & de connoître l'âee d'une «^"l" *^ ,^,?"- /* • - ' n • • I 1 i-A noitre rage llocieteelt, je crois, le plus fur & d'une fodé- le plus propre à fixer fur ce point ^^' important \ts vues d'un habile pi- lote d'Etat. 11 eft néceiTaire de proportionner le régime , & fur- tout les remèdes au tempérament & aux forces du malade. Julien entêté de ramener les mœurs de l'ancienne philofophie dans un Em- pire corrompu , fut en butte aux railleries de fon peuple , 6c porta le dernier coup au culte qu'il avoic fi fort .affedionné. L'Auteur de Télémaque avoir trop de géaie pour donner à fon Elève le tableau des mœurs de Salenrs , comme un ori- ginal qu'il falloir copier dans un Etat tour établi ; il prétendoit lut faire voir feulement que le travail P V 34^ Traité de la Population, ôc réconomie étoient les principes de la vraie profpérité , ôc que l'éclat àxi fafte & de la magoificenee né-î foient fans cela qu'une faufle Iplen- ' deur, qui cachoit la niifere & un engoardiiïement réel. En un mot,.[ il importe fur- tout de connoître îe fonds fur lequel on travaille , pour opérer avec qiielqu'efpérance raifonnable de fucccs. Je ne prétends pas dire que cette idée de confidérer l'âge de la fociété foi r de moi. Mais en général on, peut avancer que , fi quelques hom- îiies privilégiés ont dirigé leurs vues en ce genre fur cette forte de fpécularion , il s*en faut bien qu'elle ne foit comptée pour quel- que chofe dans le fait. Le princi- pal vice de la plupart des calculs en ce genre , ainfi que de prefque tou- tes les opérations politiaues , eft que l'homme pionorri'-nnefès vues les plus étendues à celles qui Tin^ térefîènt le plus, ôc qia'il ne petit s'empêcher de calculer la vie des États fur un tarif infeniîblement rapproché de la durée qui lui a ct6 Age de la France, 3 47 prefcrite à lui - même. Quoique l'expérience & la phyfique nous démontrent avec certitude que tout dépérir ici-bas, nous ferions tentes de penfer que les pyramides font corps permanents , parce quelles fabfiftent depuis quatre mille ans , fans que les altérations qui y font furvenues , nous ayent été ienfi- blés. En effet , on entend dire chaque jour : Maïs depuis le temps quon dît que le Royaume manque d'hommes ^ & que les peuples font furchargés _, on en trouve ce^ pendant toujours ^ & le peuple paie : d'où l'on conclut , pour s'épargner la peine d'examiner , que tout cela n eft que déclamation de gens inquiets 5 comme fi un corps , qui dure depujs treize cents ans , & toujours en un état de croiffance , ne pouvoir être affecté de maladies dangereufes , fans qu'un être qui n'a à peu près que trente ans d'exiftence intelleéluelle , & qui d'ailleurs ne donne fouvenc aucune forte d'application à Texa- men des fympcômes intérieurs de P vj 34^ Trahi de la Populathn» cette maladie, pût en remarquer les efïers préparatoires r & en voir la cataflrophe. Il eft d'autre part des préven- tions contraires, mais que je crois- tout aufîî peu fondées. On penfe aflez généralement en Europe & même parmi nous, que la France fut à Ton plus haut degré de gloire & de fplendeur dans les belles an- nées du régne de Louis XIV. & que depuis la paix de Niniegue (5c fous l'empire même de ce Prince, • elle n*a fait que décadencer ; on- induit de-îà y avec quelque for-fa d'air de vérité, que nous fumes alors dans l'âge de la vigueur, &: qoie nous déclinons aujourd'hui vers- la vieilleiTe. Ces fortes de chofes- ne dépendent point de l'opinion ,- elles gifent en faits. Qui n'a de guide à cet égard que (qs propres calculs & des comparaifons louvenr peu exactes , eft rrcs-fujet à s'y tromper , & à prendre un état de convalefcence pour des marques de caducité. Je foûtiens , moi ,. qu'à peine nous entron§ dans l'âge Jge de la France. 545J* mûrî & je crois pouvoir le dé- montrer : tâchons à cet égard de raifonner fur des principes plus certaifis , & reprenons la compa- raifon de la vie de Thonime. Reddere qui voce s famfcitpuer ^ & -pede certo Signât humum ^ gejlit paribus colludcre y & iram Colligit ac ponit temerk j & mutatur in horas. La nation Françoife, plus légère Enfonce Je & plus vive que toute autre, a ^* fiance. été plus long-remps auffi dans ce premier âge; & s*il étoit ici quef- tion de faire un précis de notre Hiftoire , je démontrerois que pen- dant la première & la féconde Race, & même fous la troifîéme jufqu'à Charles V. les François n'anc été que cela , quoique par inter- valle ils ayent été gouvernés par de très- grands hommes , tels que Charlemagne , Philippe- Augufte, Saint Louis , hommes grandement /âges 3 qui feryirem utUemens à 5 50 Trahi de la Population, Féducation de i'Etat enfant , & qui l'eulîènt porté à un haut degté de fplendeur s'ils l'eulTent trouvé au point propre à cela. Car iUeft à remarquer , que de même que les Princes font valoir les hommes , les hommes auffi font valoir leur Prince. Ceft une vérité politique dont la démonftration phyfique fut de tottt temps fous les yeux du inonde entier, & dont les raifons morales me méneroient trop loin. Imberbisjuyenis ^tandem cujlode remoto _, Gaudet equis ^ canihufque ^ & aprici gramïne campi. Cereus in vitium fiecii _, monitO' ribus afper^y : Utiliiim tardus provifor j prodi" giis aris j Sublimis ^ cupidufque ^ & amata relinquere pernix, jeunefTc de Charles le Sage régénéra les îoix U France, fondamentales , & leur afTura la ftabilité dans Texécution , en ajouta quelques-unes propres à corroborer Age de la France, ^çi fa conftirution de l'Etat , tel cîu ?noins qu'il fubnile aujourd'hui , & à en lier les différentes parties^ La jeunelTe de la France commence alors; & (i Ton veut confidérer les attributs que donne à cet âge la plus parfaire des delcriptions qui en ail* été faite , on trouvera qu'ils nous appartiennent tous iuiqu'à la fin du règne de Louis XIV. L'Europe en- tière n*a que trop accufé ce Prince d*êrre \t fuhlïmïs ycupidufqiie y Ton peuple Ta connu prodigus a^ris ; & quelqu'influence que l'élévation d'Orne de ce Prince air eue fur Ton fîccle , j'ofe dire que Ton ficelé l'a déterminé vers ce genre de gloire triomphale , que je crois mal-enten- due dans celui qui ne fçauroit avoir d'émules ni de rivaux. Sur tant & tant de louanges fades & forcées qu'on lui a prodiguées, & dont on feroic un recueil de dix mille volumes , à peine y a-t-il quarante vers dans Defpréaux , qui Je louent dignement de ce qu'il a fait de plus louable , de tant d'éra- bliflèniens miles 6c faftueux , de fes 3 ji Traité de la Population. foins pour faire fleurir le commerce^ pour établir une police admirable & inconnue avant lui , &c. Par- tout ailleurs, on ne lui parle que de lauriers , de conquêtes , de rem- parts , de fatigues à la guerre , & autres chofes de ce genre , qui fur celui de tous où peut-être ilréufîîn le moins en perfonne. Qu'eût- ce donc été s'il avoit gagné des batailles à la tête de fon armée , comme fon SuccelTeur qu'on ne loue prefque que de fa bonté? Pourquoi cela l CeO: que c'eft la vertu dont fon fîèclefâit le plus de cas. Louis XIV. étoit bon , quoique fier. lî ne lui échappa jamais une parole défo- bligeante pour perfonne, quoiqu'il en eût fouvent occafion. On Ta vu honorer de fes larmes la mort d'un de Çqs moindres domeftiques , donc la probité& l'attachement lui étoienc connus. On. ne s'avifa pas cependant de lui chanter qu'il étoit bon , ce qui pourtant eût été le premier des éloges dans un homme d'ailleurs (î grand ; mais fon fiècîe étoit jeune encore , utilium tardas provifor^ Age de la France, ^f^ Confidérons maintenant Tâge mûr. Converfisfiadiis ^ étaphyfique que 1^ fyftême Age de la France. 3^1 fyftême de Platon, & quf prodi- guant aux particuliers des richeffes idéales prometcoic de libérer TErac de fès dettes réelles. Un Général peu décent quelquefois , mais tou- jours gaillard , d'une fupériorité conteftée , mais inconteftablemenc deftiné par la Providence amener des François , fe trouva à la tête de nos armées dans des temps de cala- mité. Ses bons mots audacieux de prefque fanfarons égayoient le iôldat mourant de faim » & man- quant de fouliers. // vint un bon moment _, car il faut quil en vien^ ne. Le héros qui brûîoit d'être re- gardé comme le libérateur de la France, publia quil alloit la déîi- vrer , iSc on le crut y les troupes ei-devant découragées marchèrent dès - lors comme à des victoires certaines , & cette affurance palîa en confternation chez les ennemis déjà ébranlés d'une défeclion con- sidérable. Ce changement d'opinion devint bientôt une régénération, téelle : on cria miracle, & cemi- IL Partie. Q ^6i Traite de la Population, racle étÔit celui de Taudace & de la gaieté Françoife. A cet égard nous avons perdu , & peut-être par la raifon qui fit perdre au favetier fes chanfons & fon fomme. Le riche fait de Tes richefTes les cent écus du favetier ; le pauvre en délire , ou s*il en dé- fefpere iln'eft plus bon à rien. En un mot plus de fêtes , infiniment moins de vaudevilles , plus de dan- fes dans les campagnes , & nous ne fommes plus gais comme nous Tétions , fans doute par la raifon ci-delTus. Il nous refte la gaieté de Tâge mûr , & je ne ferois pas en peine de nous rendre bientôt par la réparation des mœurs la gaieté de la première jeunefie avec moins de fougue que nous n'en avions autrefois. Notce aai. Quant à Taftivité , il feroit inu- tile d'en détailler les avantages. A la guerre , dans le commerce, dans les affaires , par - tout enfin , on fçait qu'elle eft le premier des moyens. On n'ignore pas aufli que fste. Age de la France, . ^6} pevComie ne nous égale en ce genre. L'adivité iurpalTe chez nous avec facilité ce que l'opiniâtreté des na- tions les plus confiantes leur arra- che d'efForts &: de travaux : il n*sili terre étrangère , ni climats éloi- gnés où elle ne pénétre. Nullus exercicus fine milite Gallo j di- fcient les Anciens ; on pourroic dire de même : Nul vailTeau fans matelot François ; nulle foire , nulle caravane fans marciiands François ; nulle région fans mifîîonnaire Fran- çois : on en crouveroit de natura- fifés chez les Iraquois & les Caraï- bes, & le Gardien du tombeau de la Mecque eft; Provençal , & peut- être coufîn du Supérieur des Reli- gieux du S. Sépulchre qui eft de la même province. ..Cette aétivité défordonnée dans ks exemples que fen cite, a dans ces parties-là même bien des avan- tages. Elle prouve d'une part notre flexibilité >& de l'autre l'entretient ; elle fait que le François dépayié n'efl: abfolument étranger nulle part; elle peut fournir des moyens tous I ^^4 Traité de la Population^ portés à notre cabinet; & comme îe François n'oublie jamais entière-^ ment fa patrie, elle rend tout l'uni- vers tributaire en détail de cette heureufe contrée. Mais combien n'a-t~elle pas d'avantages plus réels ! Combien de refTources dont la célérité a dans Toccafion étonné & déconcerté nos ennemis ! On fe fouvient des ap- prêts de campagne ê>c des. prépara- tifs de M. de Louyois, qui lem- bioient txjut-à-coup (brtir de la terre. Louis XIV. en 1664. vou- loir établir une marine , & em- . pruntoit des matelots aux Hollan-Î dois. En 1671. il commença la guerre ,011 il fit tête fur mer com- me fur terre à TEurope entier^ liguée. Mais cette heureufe difpofition s'exerce bien plus utilement encore au dedans du Royaume qu'au de- hors ; c'eft elle qui fait en France un objet d'ambition de ce qui feroit peine par -tout ailleurs, qui fait que tout le monde cherche de l'emploi 3 qui foûtient le bas pri^B "^Age de la France, ^6f àe tous les fervices , qui nnir les différentes parties de l'Erat , com- me fi ce n'étoit qu une feule & médiocre province j les grands che- mins y font aulîî battus que le font les promenades ailleurs. Tout fem- ble être rendez-vous parmi nous, ôc les tables d'auberges dans les grandes routes reflemblent à des repas de famille, par la liberté ôc l'union qui y régnent. Cette fréquence réunit les diffé- rentes provinces, fait marcher fur des plans uniformes Torganifatioa civile de l'intérieur. Où tout le monde fe connoît , peu de gens fe partialifent. Nous avons un peu perdu de cette activité . depuis que le luxe a introduit l'amour des commodi- tés. Les riches n*agi{rent que par leurs gens d'affaires -, Se s'ils font obligés de voyager , ils fe hâtent de parcourir en pofte le trajet in- difpenfàble , & voudroient le pou- voir faire dans leur lit. Les auber- ges en conféquence font devenues moins fréquenrées par ceux qui ^66 Traité de la Fopulatton, pouvoient les indemnifer des dé- penfes nécelTaires pour fe foûcenir îiir un bon piecî. Il y avoir fous le dernier règne des aubergiftes célè- bres dont on fe fouvient encore , qui connoiCToient tout le inonde, qui (e piquoient de traiter chacun félon ion rang , qui prêtoient de l'argent aux Officiers &c. & en général il n étoit point rare de voir dans les villes de ces fortes de mai- fons 5 où il y avoit l'appartement des Princes & des Cardinaux , & ainfi pour tous les rangs, d'excel- lents cuifiniers, & le courant à un prix très - modique , mais que la grande fréquence rendoit avanta- geux. Toutes ces chofes font tom- bées ; & cette forte de profefîîon étant plus taxée à Tinduftrj^e que toute autre , ceux qui. l'exercent font devenus avares & chers , & infiniment moins foigneux que leurs prédécefleurs. Cette aifaftce géné- rale cependant attiroit les étrangers chez nous , & en tout c'eft une perte. Mais de quelque genre que foie Tadivité , il nous en refte Age de la France, 3 ^7 encore plus qu'à toute autre na- tion , éc je doute même que le germe en puilïè jamais être bien éteint chez nous. Le François eft toujours tout prêt à aller , & tel homme noyé dans les brouillards de la Capitale paroît anéanti dans la niollflfe, qui déplacé pour quel- qu'emploi, fe montre tout-à-coup aélif & infatigable. Les détails a cet égard fe palTent fans ce(îe fous nos yeux , & chacun voit de fait qu'il s'en faut bien que nous n'ayons vieilli du côté des refîburces de l'adivité. On en peut dire de même de Notre !a. Tinduftrie , non- feulement de celle ^^^^^^^ qui eft à la folde du luxe & qui varie les inventions de pure curio- sité , mais encore de l'induftrie du premier ordre & qui pourvoit aux néceiîîtés. Ceux qui par leur état ou leur crédit fervent néceffaire- menc de bureau d'adrede aux ima- ginations des gens à projets , pour- roient en vifitant leurs dépots Tat- tefter mieux que moi. Il n'eft forte d'inventions, de fecrets, de plans Ct.iv '^68 Traité de la Population, en grand & en détail , qui n'ayant été conçus , trouvés , imaginés & détaillés dans des mémoires fur lefquels l'Etat pourroit faire des tentatives très frudueufes , point de manufadures fur lefquelles on ne rafine , point de moyens d'induftrie enfin qui ne foient l'objet de l'étu- de 6i du travail de quelqu'un. Le commerce de 1 intérieur ne de- mande que liberté , fouftradion de privilèges exclufifs , & attention contre le monopole» A cela près , il n'y a lieux fi reculés d'où les gens à entreprifes ne tentent de tirer matière à quelqu'opération. Il s'élève au milieu de la Capitale des compagnies qui prennent àos fermes dans tous les coins du Royaume, & fouvent disantes de deux cents lieues les unes des au- tres , même de deux mille , car il y en a pour S. Domîngue. En un mot , fans énumérer ici plus lon- guement les détails , on peut dire que l'induftrie eft encore toute vivante parmi nous , & qu'il ne s'agit que d*aider l'induflric bon- ^Àge de la France. 3(^9 nête 5 & contenir celle qui , trop avide , devient nuifible par le choix des moyens. Efl-ce un corps dont les parties nobles font faines & entières , & donc les organes ont encore roue leur reflbrt , qu'on peut regarder comme prêt à tomber dans un état de caducité abfolue ? Il eft certain qu'il n'efl fi forte conftirution , que des excès répétés ne puifient dé- truire j mais un homme dans ia vigueur de (on âge , & qui connok la forte de régime qui convient à fori tempérament , peut prompte- ment rétablir Çqs forces épuifées, & pouflTer d'autant plus loin l'état fîoriflant , qu'il a déformais échappé aux (ècoufiès du premier & du fé- cond âge plus fujet aux maladies aiguës que celui où le tempérament eft formé. C'eft où nous en fommes , l'âge mûr 5 & il ne tient qu'à nous de montrer que c'eft celui de la prof- périté , éc d'établir un ordre de chofes , qui fuivi conftamment le feroit durer à l'infini. Cet crdr^j 570 Traité de la Population. admirable dans Tes efîers , & com- pofé de détails multipliés , mais qui naiiïent tous les uns des autres, tient à un petit nombre de prin- cipes que je répète tels que les ai établis : Aime:^ & honore:^ Vagri- culture. Repoujffe^ du centre aux extrémités tout ce que vous attire":^ des extrémités au centre. Méprije^ le luxe ou t indécence dans la dé- pcnfe. Honore^ les vertus & les lalens ^ & ne les paje:^ point. Tel efl: le réfumé de tout le fyftême , dont j'ai détaillé l'importance Ôc les moyens 5 & Ci par ce régime nous ne devenons dans le vrai ce que nous avons paru être en nous forçant dans le uècle pafle, ceft- à-dire , la plus puiiTante nation à tous égards qui ait jamais été , je confens qu'on me déclare le plus infenfé des politiques. Mais j*ai pour moi Texpérience , le calcul, & plus que tout , la certitude de Faxiome qui dit que le bien tour- ne toujours à bien. Les deux Chapitres précédents ont montré quelle écoit la forte Age de la France, 571 de maux internes par lefqnels nous pouvons être attaqués. Celui - ci établit en bref la nature de notre tempérament , & pour m'exptimer dans le fens de cette fpéculation , Tâge de TEtat. Je viens de mar- quer ici en peu de mots la nature du régime qui lui eft propre , le CKapitre fuivant va traiter de quel- ques remèdes de détail. # Qvj 372- Trahi de la Population: •^■^— ■^■^—^W »— MM— — < CHAPITRE VII, Reverjemenu Toutes les campagnes & villes d'un Etat doivent un tribut confiant & immenfe à la Capitale* Cet axiome certain dans tout Etat , î'eft plus en France que dans tour^ autre pays. L'autorité attire natu- rellement tout à foi. Or comme l'autorité du Gouvernement eft mieux établie & plus abfolue en France que chez tous autres peuples policés 5 & que la Capitale n'efl: autre chofe que la réfidence de cette autorité ; il eft tout fîmple que la balance dont il eft ici quef^ tion foit plus forte en faveur de Paris , proportion gardée , que de toute autre ville capitale. Il eft des Capitales de grands Etats qui ne peuvent en tirer les mêmes accroifTemens^ faute d'une correfpondançe aifée entre la tête Le Reverjement. 371 & les autres membres. Vienne , par exemple, épuifera la Tofcane & les Pays bas , fans en tirer un profit proportionné, & cela par les raifons déduites dans les Chapitres précédents. Madrid , qui n*a pas ce genre de défavantages , fera tou- jours inférieur à Paris paL d'autres* I '^. Ses provinces , quoique réunies & dans des rapports aifés avec la Capitale , ne contenant prefqu au- cun commerce & moins encore de population, ne peuvent lui fournir ce qu'elles n'ont pas. 2°. Madrid n'a par fa fituation aucun débou- ché de commerce , & cet article fera toujours le plus fort & le plus utile de tous les principes d'accroif^ fement pour une Capitale. Lon- dres eft, dit -on , une ville auffi grande & auffi peuplée que Paris; éc cependant le pays , dont elle eft la Capitale , n eft qu'un tiers de la France & pafte pour être abondant & cultivé , ce qui détruit mes prin- cipes. Cette objeélioii mérite d'être çonfidérée en détail. Kt ^'y ^"^'^^ P^5 de Texagéra- 5 74 Traité de la Populationl non dans ce qu'on dit de la popu- lation de Londres? On fçaic l'ému- lation que les Anglois ont toujours eue de nous égaler en tout. 2°. Eft - il bien vrai que les trois Royaumes , qui corapofent la Grande-Bretagne , réunis ne fafîènc qu'un tiers de la France ? car on fçait d'ailleurs les précautions mê- me tyranniques, que la PuiflTance dominante a prifes pour réduire les deux autres en provinces maltrai- tées. 30. Quand il feroit vrai que la Grande-Bretagne ne feroit en éten- due ou valeur que le tiers de la France 3 il faut lui fuppofer &: des provinces plus indépendantes de la circulation intérieure que ne le font les nôtres , attendu qu'elles font prefque toutes maritimes -, & d'autre part, une domination plus étendue, vu qu'elle domine fur la mer , ce qui lui attribue des provinces d'une merveilleufe fécondité, comme nous dirons en parlant de l'échange exté- rieur. 4^. Quoique l'autorité Royale le Reverfement. 375 foît reftreinte en Angleterre , il n ea fubiifte pas nioins un Gouverne- ment ; ôc ce Gouvernement 5 tel quil eft j eO: peut-être celui de l'Europe le mieux fécondé. Or ce Gouvernement refide à Londres, ce qui revient au même. j'^. Londres elle-même eft plus commerçante que Paris , ou pour mieux dire , Londres eft commer- çante , ôç Paris marchand en détail. Les VaifTeaux remontent dans la Tamife. Londres , en un mot , eft en même temps Athènes , Antioche, & Alexandrie. Mais attendu que nous ne fbm- mes que frères chez les autres peuples 5 ôc que nous fommes pères chez nous , ce n'eft que pour nous que je parle. Or il eft de faitqu'on peut dire de Paris, relativement au refte du Royaume, ce que Davila met dans un autre fens dans la bouche d'Henri IIL en voyant cette ville des hauteurs de S. Cloud la veille de fa mort : Parigi ^ Pa- Pan's, t^te rigi, m fil capo dd regno , ma ^^Zi:o%, capo troppo grojjoj troppo caprb-. 37^ Traité de la Population, ciofo j e neceffario che l'evacuat'wne delfangue ci rifani ^ è liberi tutto il régna délia tua frenejia. Ces paroles terribles, & qui n'avoient que trop leur véritable ^gnificatioa dans la bouche d'un Maître irrité , n'auroient qu'un fens métaphorique aujourd'hui. Le iang qui coule à préfent dans nos guerres civiles , n eft autre chofe que Tor & Targent , & à cet égard on ne peut nier que Paris n*eut befoin defaignée. Quant à la fréncfie , qui règne dans cette Capitale , & qui de-là gagne tout le refte du Royaume , heureufemem ce n'eft que la cupidité de l*or & de Targent , la prééminence des richeflTes , la prodigalité, la fureur des dépenfes folles & recherchées , &c. Mais penfe-t'on que cenefoît., rien que cela , & fîmplement de ces maux philofophîques propres à fervir de fujet aux déclamations des efprirs mélancoliques? Il s'en faut , je vous jure , que je ne fois de ceux-là i mais il eft de fait que les maux de la cruauté ne font rien auprès de ceux de la cupidité , paur Le Reverfement, ^7,7 ]a dévaftation d'un Etat. Les pre- miers font plus choquants aux yeux de la pitié , demeurent notés dans les annales , & par-là devenant plus rares , effrayent néanmoins par le fouvenir : les autres font fourdsôc lents en apparence \ mais moins frappants pour l'individu , ils font infiniment plus deftrudeurs pour Tefpece. Cependant la forte de faignée que je propofe, ne tient aucune- ment à des moyens durs & violents , qui 5 félon moi , ne peuvent en au- cun genre produire jamais rien de bon. Il en arriveroit même, félon les apparences , de cette faignée comme d'une purgation faite à propos , qui non-feulement réta- blit au futur les forces réelks en rétablilTant Tordre & la circulation des humeurs j mais qui quelquefois dans le moment même rend des forces au-lieu d'en ôrer. En effet , quand on renverroit dans les provinces, pour y confom- mer & faire leur Charge , tous les ..Officiers Royaux qui en tirent de 37^ Traité de la Population, grands appointemens j tous ceux des grands propriétaires , qui cer- tains déformais de ne pouvoir trai- ter leurs affaires conlentieufes que là 5 & alïurés d*y jouir en même temps de la confidération & de Fai- fance , & de n'y être fubordonnés qu à des Chefs auxquels on n'ait pas honte d*obéir , voudroient bien aller jouir de la terre natale & de leur patrimoine ; tous les plaideurs forcés , les gens qui cherchent à cluder par des protégions furprifes ou achetées la force des loix & de îa police de leur canton; quand on renverroit en un mot les affaires , ôc par conféquent la plupart des întriguans ; quand les recherches de i'induftrie dé la Capitale pliées en branches. Se cuîtivées-en provins, iroient poulîèr de nouvelles Touches dans les villes principales Je doute au fond que Paris fe trouvât fort affoibh'. Dix greffes tirées d*un arbre vont féconder dix fauvageons , dont la fertilité étonnera dans peu j & (î elles eulTent demeuré fur Tarbre Le Reverfement, 379 nourricier , cet arbre n en eût pas été plus vigoureux. Je dis plus : deux cents mille per Tonnes ( c*eft- à-dire , un grand quart ) fortiront c bornés dans leur cercle d'habitude , ils ne fçavoient ni faire .des chaudières j ni fcier le bois, & faire les bariques dans les pro- portions requifes pour l'exporta- tion de Teau dé vie. Mon homnne tranfplanta donc fes fondeurs , tonnehers , brûleurs , & autres ouvriers de toute efpece pour les alambics , les conduits , (S^c. Cette colonie tant hommes que femmes alloit à près de douze cents Le Reverfement, 3^1 perfonnes. Il achera toutes les mai- fons ci*un village, établit Tes chau- dières , & parut un forcier dans le pays. Cependant tandis qu hom-» mes (Se femmes, nobles des Vanrobcs ? ce que vaudroit l'art d*ouvrer les dentel- les , comme à Mali nés 6c en Flan- dres, &c? A regard des hommes de génie en ce genre > ils font moins rares en France que par -tout aiU leurs. Il en t'a de fi fupérieurs qu'ils font rares par-tout -, mais il eft moins quedion ici d'inventeurs que de travailleurs. Un Miniftre attentif, & bien fervi par des fous- ordres qui lui refTemblent, trou- vera par-tout le germe de l'induf- trie qui ne cherche qu*à éclorreJ Il ne s'agit pas ici d'ailleurs de îranfporter les montagnes fur les plaines. Il faut d'abord proportioçfer ■^'ei6 Traité de la Population, ^ ner les premiers établi (Tcmens à fa ' confommation des lieux , & que •Thabitant des campagnes trouve fous fa main fes befoins en ce genre. M. Colbert n'avoit pas imaginé de tranfporrerà Lourdes &à Saint €audens les Manufadures des draps fins; mais on y faifoit des bonnets, & toutes fortes d*ouvrages de laines grofïîéres propres à la confomma- tion du peuple. Je cite ces lieux reculés , comme les derniers bourgs, du Royaume. Lifez le Didtionnaire de Savari , & voyezr combien de milliers de branches de menue in- duftrie ont féché depuis la mort de- ce grand Miniftre, &r©n eft étonné que le recouvrement des revenus de l'Etat foit plus difficile à faire aujourd'hui que de fon temps. H y a cependant infiniment plus d'ar- gent en France qu^il n^'y en avoir alors ; mais il eft tout dans la Ca- pitale. Les canaux de circulation étant interceptés » il ne reflue plus dans les Provinces ; & ce qui y SLfifltre gar l'exportatioa ds leuïi Le Reverfèment.. 5517 denrées au dehors, arrive en facs à Paris , au- lieu que les caifTes de Province payoient en papier du temps de M. Colberr. Quant à ce que j ai dit de îa Sibérie , il n'en eft point en France. Par-tout les terres y font propres à toute forte de produâ:ions; par- tout on eft au voifinage de quelque débouché avantageux. , Ce n'eft pas que le foin d'aug- menter ces débouchés ne fut un des principaux objets des travaux du Roi Pafteur ; & quelque grande que foit la puifTance 6^ les moyens da Roi de France , il y auroit peut- êcre à cet égard à faire pour p4ii- fieurs règnes ; car l'étendue du bien & du mal ne fe découvre qu'à rae- fure qu^on va en avant. Nous avons dans la première Partie confidéré la France , relati- vement à l'agriculture uniquement^ nous l'avons trouvée coupée de ruiffeaux à l'infini en tous les fens., & de montagnes qui leur fervent de réfervoirs. Nous la confidérons jLuJQurd'hui , relativement à la vivi?- ^^ Î9S Traité de la Population, ficacion intérieure. Nous regardons la Capitale comme le point central, d*oii partent tous les rayons qui doivent fe porter avec une égale vivacité jufqa'aux extcémirés , & qui pompe auflî par la chaleur de Tes rayons tout Thumide des diffé- rentes parties. Il s*agit de donner un libre cours à cette opération , & pour fortir de la métaphore , de faciliter les rapports & la com- munication j c*eft ce que nous ap- pelions les débouchés. Quand nous en ferons à la par- tie du commerce extérieur , nous examinerons le projet de M. Ormin de mettre toute la côte en ports de mer ; mais en attendant je le tranf^ porte dans Tintérieur. J'ai parlé ail- leurs des chemins , je parle main- tenant des canaux. Csnattx. £g5 g^ux , comme je l'ai dir, arrofent tout le Royaume. Ces eaux forment des rivières navigables, & ces rivières peuvent aifément être jointes les unes aux autres par des canaux. La conflru(5i:ion du canal de Languedoc fera à jamais ua des 1.6 Reve^fejnent. 599 mémorables événemens du règne de Louis XIV. Qu*on examine les difficultés du terreinimmenfe qu'il parcourt, où fon conftrudeur a éré chercher les eaux, avec quel foin il a évité celles qui fe trouvoient fur fa route , &: qui auroient pu lui nuire; qu'on connoiiïe enfin ce que c'ed que le Languedoc , & l'on verra que puifquM a éré pof» iible de faire un tel ouvrage dans ce terrein inégal, pierreux , & fèc, il n'eft aucun canton du Royaume où Ton n'en puiife faire. Cn dira peut-être , la jondion des deux mers étoic un objet digne de la dépenfe qu'on y a faire ; mais oii ne trouve cet objet que là. Sans doute 5 la communication de Long- j^umeau à Châtres ne roéritoit pas une route pavée ; mais en la con- tinuant d'une .Se d'autre part > elle fe trouve faire pariie de la route de Paris à Orléans, & partie au/H néceiïaire que celle qui va de la barrière au petit Mont- rouge. Ainfi le moindre canal particulier fe trou- vera 5 par fes rapports avec d'au- 400 Traité de la Population^ très , faire partie de la jondioîï des deux mers dont il efl: feu le mène ici queftion , à fçavoir de la Capi- tale & des Provinces^ Je dis donc , & je répète qu'on trouveroit par-tout des pofïibilités , & même des facilirés pour Faire des canaux de communication. Or cha- cun fçait quel eft ravantage de fa- ciliter les ttanfports par eau , tant pour épargner les frais de voiture, que les chevaux de trait , &c. Ces ouvrages (i dignes de Tattention publique paifent pour idéaux en France , & Ton regarde les faifeurs de projets en ce genre comme des fous d'une claiTe aufîî vaine que les i^lchimiiles. L'expérience même a démontré la vérité de ce préjugé dangereux par le niauvais fuceès de plufieurs épreuves. Ceux en effet «qui propofent ces fortes d'opérations comme faciles , & propres à faire la fortune d'adionnaires intérelTés j qui ne peuvent faire que de foibles avances , & ne les veulent faire que pour peu de temps , font ou des I©U5 ou des fripons : mais le Roi-j. Le Reverfement. 40 ï bu par fon ordre , les Provinces feront toujours en état de fournie à de tels travaux , fuffent-ils encore plus confidérables: ils ne fémeronc en ce cas que pour recueillir au centuple. Quelqu*étenduë que Je donne à mes réflexions , on fentira aifénienE cependant que je me relTerre , & que j'omets fur tous les articles que }e parcours , cent fois plus de chofes que je n'en dis. Il y en a une ce- pendant fur le fujet que je traite, qui eft trop importante pour être fous- entendue. On voit 5 félon mon plan , les travaux publics renaîcre de toutes parts dans le Royaume. Il ne faut pas croire que le petit nombre des pionniers qui vivent de ces fortes de travaux , piilTent fournir à àt% entreprifes telles que je les pro- jette ; moins encore qu'il y fallût employer les habitans de la cam- pagne j ni par des voies forcées que J'abhorre comme déteftables devant Dieu & devant les hommes , ni même eii-les attirant par l'appas 40 i Trahi de la Population: du gain. Notre nourrice a befoîiï At ion monde , & des foins jour- naliers qu'elle reconnaît fi bien , &: tout notre objet eft de lui en pro- curer une augmentation. Si Ton pouvoir par ces travaux attirer des étrangers , bene fit, Sirôt qu ils tra- vaillent pour nous 5 & fe font nour- ris des fruits de nos terres , ils font regnicoles. Sur- tout en faudroit-il attirer àts pays où , comme en Hollande , on s'entend à ces fortes d'ouvrages. TroHpesem. Maîs le principal fecours dans pioyées aux yj^^^ Y.IU comonc ceîui-ci , où le bh'cs!"^ pii- p^l^^^g ^ ^^^^^ ^çj^^g mille hommes de troupes réglées , c'eft de \ts y employer. Le foldac ameuté dans Ja force de l'âge ^ & fait à Tobéif- fance , vaut dix pionniers pour le travail, & fur tout pour l'audace & Taâiivité néceflTaires & décifives< en certains momens , dont les ingé- nieurs connoifTent mieux Timpor- tance que nous. Le foldat, dit-on, eft néceflaire dans les places , il n*y en a pas trop ; le métier de pionnier le rouille, le rendimpro' Le Reverfement. 405 pre à celui des armes , lui donne Tair payfan , & les remuemens de terre lui caufent des maladies qui bientôt emportent des troupes en- tières. Foibles &: molles obje6î:ioas î Les places en féconde 6c troifiénie ligne n*onr befoin de garnifon que pour faire valoir la cantine , objet qui , je Tavoue , n'efi: point entré dans mes fpéculations. En pre- mière ligne il en faut , mais la moitié moins. Ce n eft plus le temps, où Ton rifque de voir commencer la guerre à l'impourvû par la fur- priîe d'une place; & au pis- aller, n la place eft trop grande poyr qu'une foible garnifon en puiffe faire le fervice , de cinq portes , fermez-en deux. Au- lieu de s'amol- lir dans les places , les foldats de- v'endront forts & robuftes dans les travaux ; barraqués Tété , & can- tonnés rhiver , ils porteront de l'ar- gent dans le plat pays , & feront ouvriers. Ils fe rouillent, dit-on, à la bêche : ainfi fe rouilloient les foldats Romains dans les temps de fplendeur de cette célèbre m-ilicei 404 Traite de la Population, car ce ne fat que par leiirmoyen'^ cjue les Romains achevèrent tant de travaux utiles & prodigieux dans les Provinces. Je'dis donc que cette objedtion n eft pas vraie -, mais quand cela feroit , trois mois de maniement des armes redreflTeront des pionniers robuftes & endurcis; trois Temaines de fatigue détruiront à la guerre des légions de foldats leftes & drefTés , quand d*ailleurs ils ne font point faits au travail & à la rigueur desTaifons. Les remuémens de terre enfin cauferont des mala^ dies 5 je le fcais; mais il faut que quelqu'un les falTe ces remuémens , & le foldat eft proprement daiTS TEtat l'homme dévoué à la mort. Mais fans trancher de la forte , & parlant des hommes en ami qui eftime le moindre d'entre eux autant que foi-même , je dis qu'il eft de néceilîté d'endurcir le foldat, & qu'autrement il périra par les fati- gues de la guerre , qui font (à des- tination propre ; que cela pofé , des travaux utiles à l'Etat font une école qu'on eft heureux de pouvoir lui Le Reverfement, 40 f procurer : on pourroitle faire avec rnénagemenc d'abord , ayant foin de retenir foniirdeur , de le faire can- tonner., de le remplacer fi-tot que les maladies le gagneroient; il efl: "certain que dès la féconde ou rroi- féme année les foldats y feroient faits i qu'ils ne craindraient plus rien, & qu'il fortiroit mêmed'ea- îreux des hommes habiles, & en état de diriger les travaux , au- lien .que le pionnier eft toujours un animal méchanique. En foaime , nous avons les quatre çlcmens à fouhait; aidons à la na- ture propice. L'air & le feu ne nous offrent prefqu'aucun objet de Tra- vail 5 ils font prêts à nons féconder d'eux-mêmes. La terre & l'eau peu- vent à l'infini recevoir un plus grand degré d'utilité. Ce feroient Là mes quatre chefs de bureau , (î fétois Miniftre du dépattement de Tagricuiture. Des quatre difficulcés oppofées à rétabli (Tement des manutadtures dans les Provinces les plus éloignée? de la Capitale ^ i.i n.e me refte plus 4- ©5 Traité de la Population^ k répondre qu'à la dernière , à (ca* -voir qu elles ont befoin de Yœil piotedeur Se vigilant du Gouver- nement , & qu*elles dépéri (Tent quand elles ne font pas fous la main. J'en conviens , mais Dieu eji par- tout >• ainfî efi: le Prince dans un Gouvernement bien organifé. Si le Roi veut fçavoir quel jour de la femaine paifée j'ai foupé avec ma maîtreiïè , il le fçaura demain : cependant mes démarches dans cette vallée de Jofaphat ne font pas plus près de lui qu elles le fe- roient , Ci j'habitois à Nantes : au contraire- Pourquoi donc fçait-on ioiît ici ? Ceft que les exemples ont prouvé la néceffité d^avoir dans cette ville immenfe une police fi bien organifée , qu'on pûttout y fçavoir &^ prévoir. On a trouvé des hom- mes propres à monter cette ma- chine , on les a récompenfés , oa a maintenu Se perfedionné Tordre qu'ils avoient établi. Pourquoi ne pourroit-on pas ailleurs tout cela? Les plus belles inftitutions feront-' ^Jles toujours des précautioais coatrcf Le Reverfement. 407 k mal éprouve ? N'eft-il pastemrs que notre efprlt s'aiguife pour fair« le bien ? Ce que j'en dis ici cependant , iveH: pas pour foûtenir qu'une at- tention minutieufe, & propre à de- venir inquifition , foit néceffairç pour le maintien de l'induftrie. Je crois au contraire que tant & tant d'ordonnances & de réglemens par- tis d'ici , prétextés d'après quelques abus , & ouvrant la porte à une in- finité d'autres , y ont plus nui que fervi. Je le répète ; l'attention eu grand efl: tout ce qui convient à un grand Gouvernement ; mais cette attention voit de fi haut, que îous les objets font à Ton égard à un même point de diftance. Je dis donc que les manufadures d'une certaine recherche ^ & d'une per^ fection que rien ne peur égaler , font mieux àla Capitale , larichefle étant à un certain ordre d'induftrie ce que l'induftrie efi: à la richeffe : mais les manufadures d'une con- sommation courante & ufuelle doi^ ymt èm à portée des matièreç 4oS Traité de la. Population, premières dans les cantons , où la vie & lentretien des ouvriers coû- tent moins , & où par conféquent la main d*oeuvre eft à un taux rai- fonnaWe qui lui conferve la préfé- rence ; dans les pays enfin qui , obligés comme tous autres de rendre à Géfar ce qui eft dû à Céfar , ne peuvent le faire avec des denrées qui ne pourroient-foufFrir le trajet, ou qui ne valent pas les frais du tranfport. Apres cet examen des moyens de vivification des Provinces, re- prenons en détail ceux du reverfe- ment- Réfiiknce On convient de la nécelîîté de v^"cel''/l repoufiTer de la Capitale dans les ceux qui y Ptovinces le plus de moyens de pofîedencdes confommatlon Qu'il eft DolTible. J'ai emplois lu- j. V i>i ^ ^ rr »•! cracifsà leur "it tout-a-1 heure en paliant , qu.ii charge. falloit faire réiîder de force dans les Provinces ceux qui y pofté- doient des emplois lucratifs , & dont Texercice y eft néceftaire j de gré tous ceux des grands proprié- taires qui préféreroient Taifance & îa liberté à la gêne & à Texpatria- Le Reverfement, 40^ tîon ( & il y en aiiroit grand nom- bre, Cl une fois Tanathême de la fortune fur tout réfident en Pro- vince étoit levé. ) Ne pourroit-oa pas me prêter encore ceux des financiers , dont les caifTes n'ont pas trait diredement au thréfor Royalfi Les Fernvers & Receveurs Géné- raux ont leurs affaires dans les Provinces , ils font des fortunes immenfes ; & à dire vrai , foit que n'ayant jamais befoin que d*un écit après l'autre , je ne fois pas fort porté à envier l'argent , foit auflt foiblelTe en moi , j'avouerai que n'étant pas fâché que mes fermiers "gagnent dans mes terres , Je ne puis trouver étrange , quand Je compare mon gazon à celui du Roi , que les (iens deviennent des Créfus. Il eft vrai que des fermiers par- ticuliers rifquent la perte comme le gain , & font obligés de travail- ler , au-lieu que les Fermiers Gé- néraux ne font ni l'un ni l'autre ; mais d'autre part , l'état précaire de Comptable , l'envie qu'il attire toujours, la dépendance continuelle^ //. Pariie. S '410 Traki de la Populaùon. îa haine enfin de la partie mifan^ trope ou malheureufe de la fociété ,, /ont de telles compenfàtions aux; ^ains de ces emplois lucratifs, que il nous navions pas la baiïèfle & la mauvaife politique d*attacher aux richeiïes toute autre efpece êafs^ confidération , ou du moins Téqui^ valent de cela , la plûpan, j'en jréponds , voudroient regagner le port au bout du bail. Dans le de/îr,, en un mot , de damner le moins de monde qu*il me feroit poflible , je ne fçaurois confondre les fermier?, à bail avec certains maltotiers , avec ïant d'entrepreneurs fauflaires , tant d*exadeurs ingénicpx en projets ^ en exécution. De quelque forte cepei^dant que foit acquife leur fortune , elle exi(- te , elle choque les yeux dp public dans Paris. L'exemple de tant & lant d'abus de la richeflfe, qui font prefque tout le commerce intérieup de ce pays-là, tourne la têteàceç parvenus ; l'argent fbnnant leuf lechappe des mains en folles dépen- ds, ïp çpté fkïn du coffra évejl{f Le Reverfement, 4 j j les deiirs ou les fuppofe , élevé Torgueil , enfante le délire ; le coté yuîde excite l'inquiétude & la cu^ pidité. Pourquoi ces gens -là n« féfideroient-ils pas dans \ts Pro- vinces 5 chacun dans le canton qui lui feroit départi par fa Com- pagnie ? Plus civilifés que leurs prépofés, eu du moins plus circonfpecfts parce quils ont plus à perdre , ils ybri- deroient leur infolence , ils com- merceroient fur les lieux. S'ils àchetoienc des biens fonds , & fe pîaifoienc à y enterrer Tor , comme ijs font dans leurs maifons de cam- pagne , du moins ces dépenfes vivl- iîeroient des cantons éloignes , y tranfporteroient les arts , & y fe- roient vivre le pauvre peuple ; moins à portée des folies conta- gieufes , ils feroient en général plus lages : en un mot , ce feroit encore une fâignée utile à Paris en faveur des Provinces. Au-lieu de cela, fi le Languedoc & la Bretagne ont an Tréforier Général , & une caiflè ri?ifiante par b quantité d'argenç lu) fettT v^J' 4 1 1 Traité de la Population, qui naturellement doit y rouler . ces Provinces permettent que ce?, avantages foient tranfportés à Patisj par des Tréforiers ambitieux ci fenfuels j c'efl: encore une folie ôc de la dernière importance. Il efl aifé de concevoir, que f Ton pouvoir tranfporter les fumier de Paris fur les campagnes arides cela doubleroit les moi(îbns. L chofe eft împofîîbîe. Je vais pour tant y en envoyer une partie. Maîfonsde N'eft-jl pas vrai que fi les In retraite & de vaHdcs étoient bâtis dansuq cantoi force, "^e)"^ du bas- Poitou , pays fans débou tees dans '^^ , , ' i a ^ r j • / j pays de peu chcs , Ics meiTies tonds tues 4 i^e confom- l*Extraordinaire des guerres qui et m^P9\h nourrirent quatre mille à Paris fuffiroient pour en faire vivre 1 double en Poitou ^ & rnettroien dé Targent dans cette Prpvinc ruinée. Mais, dira-t-on , Tordr admirable qui règne dans cett maîfon , dcchoiroit bientôt fi ejl p'étoit continiiellenient fous ,lç yeux du Miniftre ; & d*autre part çefl une décoration à la Capitale ^oftt nionnçur-réjailjiç ftr ^o\^ Le Rcverfement. 41 1 Etat : les étrangers y viennenc ous, &c ne vont point parcourir h Provinces *, ce monument les rnppe d'admiration, &: leuï ïa;c^ eatir notre fupériotite. . .7 . J'ai répondu ci-devant à la pre-* niére de ces objeétions , qui ne )art que de la fuppofition d'inat- ention dans le Gouvernement , irticle contre lequel je rougirois le donner des recettes. Quant à la féconde, je réponds par un traie le l'Ecriture, i/2 muldtudine pO". Dull dignitas Régis, Voilà le véri- able honneur. Je vous parle de îrofpérité &c d'indirpenfable nécef- Ité 5 & vous me parlez de décora- :ions & de merveilles. Ces chofes- ià font bonnes &: utiles autant que celles , mais il faut le Fonds , au- trement c'efl; le bufte du renard : Belle tête^ dit-il ^ mais de cervelle voint. Cependant je ne parle ici des Invalides que comme exemple ; mais tant de maifons de force qui font au -dedans ou aux environs de U Capitale , n*o:capent pas d^^ S iij ^14 Trahé de la Population. édifices fi faftueux 3 & s'ils en ont de confidérables , qu*on les cède à des manufadures 5 &: que leshabi- tàtîs de Bicêtre , de la Salpêtricre èic, foient tranfplantés dans des lieux où ils pui(îènc être encore de quelqu ufage , & où du moins leur confbmmation & leur fumier fer- vent de débouché & d'engrais , au- lieu qu'ici ils ne font qu'embarras Se fcandale. Qu'on ouvre ces célèbres prifons, on y trouvera i*'. quelques prifon- nîers d'Etat , ou autres dont les crimes ne doivent pas être révélés j ceux-là feroicnt tout aufîî bien à Pierre-Encife, Sec, 2°. Quantité de fcélcrats qui ifattendent que la liberté de fe; faire pendre, & des libertins qui' s'inftruiferit fous de fi bons maîtres. Nous parlions tantôt de travaux piiblics ; pourquoi ces gens - là ^ attachés à des chaînes ambulantes ^ rie font-ils pas employés à ceux de ces travaux qui pourroienr être mal ùms pour des ouvriers volontaires? iîs fèrViroiént d'exemple , au -lieu' Le Reverfementé 4Tf qu'ils font oubliés dans leur obfcut repaire; & le malheureux qui op- primé par de faux rapports & à^s furprifes faites à l'autorité fe trouve quelquefois confondu parmi ces méchans , feroit plus en état de ré- clamer les fecours de la pitié & de$ écIaircKTemens. 5°. Des infciifés : ceux-là peu^. vent végéter par - tout ailleurs ,' comme ici. 4^. Des enfans & de jeunes filles abandonnés : je parlerai de ceux-ci dans l'article des enfans- trouvés. 5°. Des filles de joie , qui tranC- portées dans des manufaâures de Province , peuvent devenir des filles de travail. Des vieillards enfin , qui ayant confommé dans la débauche & la difïïpation tout le fruit du travail courant de leur vie, & ayant tou- jours eu Tambitieufe perfpedive de mourir à l'Hôpital , y parviennent tranquillement. Je fuppofe que ceux-là ne font plus bons à rien; niais ils n en font pas moins pro- S iv '^ié Traité de la Popuïationl près à aller achever de pourrir darts quelque canton ifolé où l'on aura les mêmes foins d*eux , & où ils^ confommeront des denrées abon- dantes 5 & à bas prix. Mais , dira-ton , ces maifons vaftes & onéreufes , quoique dotées i de grands fonds, fubfiftent plus en- 1 core par les fecours de la charité vivante ) & fi-toc que les citoyens île les auront plus devant les yeux > cette charité tombera. Je réponds à celar I Q. Qu'elles confommeront moi- tié moins aufîî , à caufe de la moins- valuë des denrées aux lieux où Je les établis. 20. Qiie la charité privée fè por- tera vers des objets plus miles, en foûtenant bien des familles mal- heureufes qui n'ont point ab-in^ donné la fociété, & qui y fouf- frent. i,: 50, Que ces maifons aînfî éloir?- gnées feront infiniment moins fur:- chargées. Cette fille qui craint moins rHopital à terme , parce qu'elle fçait que , fon temps fait , Le lievcrftment, 4x7. elle fe trouvera d'un faut au mi- lieu des refTources de la débauche i éviceroir plus les occafions de faire bruit , il elle voyoit Tes femblables enfermées dans un coche grillé & remontées fur la rivière jufqu'à Nogent, d'où il n'y auroic plus ni carre fpondances ni facilités pour le retour. Ce vieil yvrogné qui fe retire tranquillement à Bicêtre qu'il a prévu depuis trente ans , parce qu'il voit encore de- là les tours de J^otre Dame ^, Se qu'il peut même aifcment venir revoir fes amis & le cabaret , y pen(èroit à deux fols [fi le chemin de fa retraite étojt le jfoche d'eau de Montar^is , pour ^ller de là prendre l'air de quelque canton fauvage du Hurepoix. Vo- tre plan donc , me dira-t-on , eft [de faire fouffrir les pauvres : que Dieu me veuille envoyer tous les- maux dont je négligerai de les fou- kger î Tout mon objet n'eft que d'en diminuer le nombre , en aug-- mentant celui des travailleurs ; & quant au fait a^'uel , ils feront atifîî-bien traiiés dans les Provinces» qu'ici. S y î4iS Traité de la Population, J'ofe avancer un principe qui paroîtra paradoxe? \ mais il ne Teft point 5 & je le démontrerois vrai s'il étoic queftion de faire un ou-; vrage fur chaque partie de celui-ci: i c eft qu en général les Hôpitaux augmentant la pauvreté au-lieu de l'éteindre, & tourmentent l'buma- nité au-lieu de la fecourir. Hôpitaux Nous avons établi comme «rt ?a 'miSf , ^ait qui ne peut être côntefté que : loin de la par les fourds & les aveugles , que ibuiager, j^ population efl: moins grande en France qu'elle ne Tétoit autrefoiSi Le nombre des Hôpitaux a doublé depuis ce temps , ainfi que les fonds attribués à leur entretien , leur lo- gement,-&ç. Ils regorgent tous cependant , & ne peuvent contenir k nombre de malheureux à qui ce iècours efl: néceflaire. Oii fe ca- choientdonc autrefois tant de ma^ lades , tant d'enfans abandonnés , i tant de vieilîards fans pain 2 Je n'ai pas ouï dire qtJe les rues en fulTent aîors jonchées ; au contraire la mendicité errante s'èft accrue de- ' puis e» genre > en noHibie ? & Le Reverfement, 415^ en cas. Voici ce que c*ert:. Nous avons tous une exiftence précaire aujourd'hui ; je dis plus, une fub- fiftance appuyée fur le futur. Ceux qui ont des fonds les mangent à la pourfuite de la fortune ; mais Thom- me obligé de vivre de fon travail , qui n*atrend ni gouvernement , ni charges , ni intérêt dans les afïài- res, ni héritage, fe repofefur l'idée de la charité publique; & l'axiome, r Hôpital nejl pas pour les chiens ^ a pris la place de la vigilance de la fourmi. L'Hôtel- Dieu de Lyon n'avoit que quarante lits lors de fon inflitution , il en demeuroic vingt de vuides ; il en a huit cents à préfent , & ne peut tout con-* tenir. J'ai vu quelque part dans un vil^ lage une efpece d'œuvre ou hôpital, dont les revenus bien économifés commençoient à être confidérables pour le lieir. Les devanciers da Seigneur qui efl de mes amis , avoient fait acheter une maifon : iî y avoit quatre lits pour les pauvres^ tiialâdes du lieu , & deux fceurf S v| ^'10 Traité de la Population, grifes entretenues c]iii faifoient d'ailleurs l'éco!e aux petites filles du village. Quand Ton règne com- mença , le Curé qui le fçavoit bon homme, lui reprcienra que quatre lits étoienrpeu, &: qu*il en falloic autant pour les femmes. Ce Sei- gneur avoir déjà remarqué ( car Toireft la meilleure voie pour fça- voir ) que de fernblables œuvres fc' trouvoient communément dans les lieix de cetr« efpeceles plus affai- iiéantis. Son calcul étoit fait ; \\ étoit dans l'âge ou l'on agit ; il pro- ITiir au Curé qu*il pourvoiroit aux- pauvres, & lui tint parole , mais par une voie dont le Pafleur a ,. Je crois , encore la bouche ouverte, «quoiqu'il y ait dix-huit r.ns de cela» Il commença par faiie vendre la maifon ^ les lits, il renvoya les fœurs, & attira à leur place une Êonnête couturière qui montre le travail ux jeunes filles; &: quant aux mandes qui avoienr befoin y. il orvlonna que fur un certificat da Curé , il leur feroit délivré un billet fQuc le bouchjei: de demi livre de Le Reverfewent. 42 r viande par jour , & ainfi pour le bcn'anger-, que le montant de ces billets fcroi: palTé au Tréforier , lors de la revifion des comptes &c^ obfervanc fur- tout de faire b-^au- coup cccnomifer ces fortes de fe- Gours: par ce moyen chaque pau- vre malade demeura dans le feiiî de fa famille, & les payfans com- mencèrent à ratrapper la vergogne qu'ils alloient perdre en fe faiiânc porter dans la maifon publique. Des fonis de cette oeuvre, il y en avoit partie deftinée à marier une ou dcUx pauvres filles tous les ans, &C le payfan commencoir à dire : L'œuvre mariera mes fdles.^ Il ordonna que ces fonds ne feroient appliquables qu'aux filles qui arti- reroient un nouvel habitant dans k lieu j &: comme ces facilités-là ne fe trouvent pas tous les |ours ^ ces dots réunies font un petit objet €}ui , avec quelques menus fecours de fa part , attirent un habitant, :Par cette in iuftrieufe économie les revenus de cette oeuvre fufïiient à, to,us les befoins de la Paroiiïè j 412. Traité de la Population, dans les années calamiceufes , 5 prêter des grains fort chers pour être rendus en nature à fort bon marché, &c. Dans les années or- dinaires, de peur que les revenus accumulés ne fafïent de nouveaux fonds , on les emploie à bâtir des maifons qui font enfuite vendues aux habitans au taux du pays , c'eft- à-dire les deux tiers moins qu'elles ne coûtent. Le Fîeu s^accroîc d'au- tant; car dès qu'un payfan a feu- lement une portion de maifon , il tient , & Ton évite ainfi que l'oeu- vre ne devienne trop riche. Cette habitude d'accroiflfement a banni Celle de laiiïer dépérir les maifons anciennes» Tout le monde tra- vaille j tout le monde eft fecouru , & fe met le plus tard , & le moins qu'il lui efl: poflible, à la charge publique. Je ne prétends point que Vèc(> nomique prévoyance d'un Seigneur^ de village foit le modèle de celle du Gouvernement ; mais du petit au granid il y a fou vent de bonnes icoaclufions à tirer» Celle que j^ia^. Le Revtrfcment, 423 cîuis de tout ce que j'ai dit fur les Hôpitaux , c*eft que Timpudence de impudence là mendicité eft prefqu'auflî ^c^- ehé^ pTe^i^uc trudive dans un Etat, que celle de au/fi defiuic*» k richelTe. La charité nous eft pref- Zl^^^.T^ crite à tous, & ceft: fans doute le ds la ùchefS? plus fore lien de la fociété ; mais elle n^eft peut être nulle part (î offenfce que dans les Hôpitaux, La charité eft fraternelle \ en vou- lez-vous de beaux exemples 3 voyez nos Dames qui aiment les chiens y attendent-elles qu ils (oient malades pour en prendre foin ? Les metrenc- elles alors quatre à quatre ou fix à fîx dans le même panier , &c ? Rail- Jerie à prt , la vraie charité eft re(^ pedive. Ceft avilir notre frère que d'attendre pour lui faire du bien y qu'il {bit hors d*état de le recon^ noître. Tels gens fe repofent fur îes Hôpitaux du foin de leurs fèm- blables , qui , quelques durs qu'on les croye & qu^ils fe eroyent eux- mêmes , feroient dans une tournure de moeurs charitable & bienfait fante, ft la charité vivante étoit à la oîode autour d'eux ;}e veux dire 414 Traité de la Population, f\ la misère n*avoit d*autre reflburcé» Dira-fon que Je veux induire de- là quil ne faut point d'Hôpitaux dans les grandes Villes. ? J*ai bien perdu mon temps , fi Ton me foupr çonne encore, de confeiller le$ moyens extrêmes & révolutoires } je dis feulement que les fecours pu- blics doiv.ent être proportionnés aux befoins; que cette proportion , par une fatalité marquée , fe rencontre toujours, mais voici comment. Où 5] y a plus d'Hôpitaux , il fe forme plus de miférables : 011 il y en a moins , moins de misère auffi. Etabli Hez de grands Hôpitaux aux lieux où TinJuftrie ne fçauroit pren- dre j que les incurables y confom- ment, y engraiffent la terre, mais éloignez- les des lieux où.refidele travail ; des moutons qui ont la clavelée , doivent être placés fort loin de la partie faine du troupeau. Eafans- J'^î P^^n'i^s un article desenfans- tiùuv s. trouvés. PaReurs d'humains, vous^ êtes. trop loin de la bergerie pour fçavoir avec queUe reuvlrefTè un bon fermier regarde de jeunes agjieaux j^ |> , Le Reverfement. 41 ^ 'mais n'avez-vous jamais fait femer de pépinières d:ms vos parcs , & avez vous fenti la farisfacflioiiavec laquelle on voit pouffer d^ grandir les jeunes plançons ? C*e{l ici la pépinière de 1 Etat. Ceft en ce genre que je trouve qu'il n'y a pas aiïèz d'établifTemens dans le Royau- me. Ce ne font point ici , comme Ton dit, les enfans de la débauche. La dé- bauche ne fait point d*enfans , c*e(l la misère, le malheur, ou la foiblefle . qui vous apportent leurs enfans. De ces trois chofes les deux pre- mières font refpedtables , la troi- iîéme excufable pour des anges, attendriffanre pour des hommes. Je voudrois donc qu'il y eût pour re- cevoir ces tributs précieux des mai- fons dans les Capira'es des Pro- vinces , dans les Villes du fécond & troifîéme ordre , dans les chefs- lieux de Sénéchauffée , Bailliage , Eîedion , Viguerie &c. que ces maifons fuHTent bien fondées & ordonnées, chacune félon fes pro- portions ', que le tout fût deflTervi ^i6 Traité de la Population. par des femmes, & qu'il n'y entras jamais aucun homme ; qu'un quar- tier de bâtiment fût deftinéà rece- voir toute perfonne enceinte qui voudroit s'y retirer ; qu'elle y fût bien traitée ,. fans honte ni repro- ches j & qu'en fortant , celles qui jferoient néceflîteufes reçufîènt dix ccus pour prix du préfent qu'elles ont fait à l'Etat ; que fur- tout on n'établît pas certaines excluiîons de territoire & de canton ; car il n'efl pas à croire qu'une pauvre femme qui veut fe cacher, vienne accou- cher dans fa ville : mais tandîs qu'elle fùrcharge une maifon étran- gère, une autre par la même raifoa va chez elle tenir fa place. Ce ré- gime vaudroit mieux pour empê- cher des avortemens , qu2 toutes les ordonnances & loix contre celles qui ne font pas des déclarations. Vous , que la Providence a char- gés de tenir en bride l'humanité , fonvenez-vous que la pudeur quel- conque eft le mords le plus effi- cace pour cela. Il y a autant d'eA peces de honte qu il y a de vertus* Le Rverfement, 417 Toutes les fois que nous perdons une forte de vergogne, nous deve- nons vicieux fans refTource en un point. Qin a perdu toute honte , n'eft plus qu'un homme à noyer. C'eft par ce principe plus encore que par la crainte des animofirés , que la médifance ed un vice très- dangereux dans la fociété , &; que les faifeurs de fatyres , de chan- fôns cruelles , &c de libelles , font des criminels au premier chef. Si je pèche en fecret , il y a encore de la relfource & beaucoup ; car qui n*a péché , menti , trompé ? Mais fi mon crime eft dé voi lé , mon amour propre fe retourne , il de- vient effronterie ^ W (t juftifie £c% propres vices par fon audace , en dierchaut à y faire tomber autrui , en les fuppofant où il ne peut les faire naître. La honte donc eft un refte précieux de l'innocence gémif- fànte ; qui nous ordonne de la per- dre, nous prédeftine criminels. Maîifons utiles , cachez dans votre feln des filles maîheureufes , & nous les renvoyez plus pures qu'avanç 41 8 Traité de la fopuîaîionl qu elles enflent befoin de vous ; ^ puifque l'attendriflement de la cha* rite, & le loifir des réflexions les auront rendues plus honnêtes par principes & moins confiantes. La pauvreté nialheureufemenc engendre une autre forte de honte , & met bien des ménages dans Ja dure nécefïîté d'expofer leurs enfans. Je voudrois que toutes voies fuflenc ouvertes pour les recevoir ^ avec toutes défenfes de perquiiitions pour reconnoître les parens. A l'égard deladcfl:inationdeces enfans , on peut quant aux mâles , avoir deux objetsi l'un, d'en faire un corps de troupes comme les Turcs faifoient des enfans de tri- buts j l'autre 5 de les rendre à la terre. Le premier a quelque chofe de dur. Tout le monde a de la va- leur aflez pour défendre foi, fon bien, ou fa famille; mais tous ne font pas nés pour le métier de fol- dat à gages , & c'eft , félon moi , celui de tous qui devroit être le plus volontaire : d'ailleurs il peuB parmi ces enfans y en avoir plu- Le Rêve rfd ment, 42^ fîeurs de pecics «?<: mal conformés. Mais tous les hommes font nés pour Tagricnkure : elle a des occupa- tions de tout genre , pour toute efpece de tempérament. Or en rap- pellant pour cet établKTement , dans Paris par exemple, ce que j'ai die J)our tous autres 5 qu'il faut lesjet^ ter dans les Provinces, je ne vou- droisà Paris qu'un fimple entrepôt: Melun pourroit fournir la grande maifon où ils feroient élevés depuis nn mois jufqu'à deux ans , de-là jufqu à (îx on les enverroit plus loin , & plus loin encore depuis fix juf- qu'à dix ; je vouJrois que dans ce dernier âge on. proportionnât U nourriture & les exercices à la vie ^qu'ils doivent mener dans la fuite, ôc qu'a dix ans tout honnête labou-? reur , qui anroit un certificat de probité des notables de Ton canton , pût venir y prendre un enfant. Cec iiomme s'en chargeant donneroîc fon nom &c fa demeure, recevroiç vingt écus , Se s'obligeroit d'en ren- dre la moitié à l'enfant à l'âge de (oJLze ans,fîççteaf^nç, cjui n'^urçii: 4^0 Traité de la Population. cette liberté qu'alors , vouloir le quitter , ou à tel autre âge par- delà , où il voudroit reféparer de Ton père adoptif. Tout homme qui de la forte auroit un enfant de S. Louis, jouiroit de Texemption de la milice pour deux de fes enfans » ou pour quatre s'il en prenoitdeux, comme auffi d'exemption de capi- ration jufqu à la concurrence de fîx îiv. s'ilen por toit autant, étant tenu de repréfenter tous les ans lenfanc au jour de S. Louis aux Officiers Royaux du canton , & de renvoyer* les dix écus , fi l'en Tant venoit à moutir. Je réponds qu'au moyen de ces conditions , il y auroit grande prelîe à la campagne à qui s'en chargeroit. Ces enfans feroientda- bord employés à garder les beftiaux , & bientôt , félon leur talent & leur induftrie, deviendroient propres aux différents travaux de la campagne. A regard des filles , c'éft autre chofe. Il y a moins de débouchés , & plus de périls pour ce fexe que j)0ur le nôtre j mais on fenc que je mulciplie ces déboucliés , eiilui Le Rêver fcment, 4;! attribuant en particulier le foin des hôpiraux & des maifons d'enfance, en multipliant les manufactuies dont il faudroit leur laiffer tous les puvrages fins & fédentaires , comme aufli la plupart des autres. Au refte , en traitant ces difïe^ rents détails , je n'ai pas prétendu aflfujettir le Gouvernement à tanc de menues fpéculations 5 mais Iq. yogiie vient de la poupe ^ difent les matelots. Le Gouvernement feul peut donner le mouvement en grand , & toutes les parties de dé- tail fe conforment enfuite à Tini- pulfion. Pour que ce mouvement ne devienne pas inrercadence , il faut qu'il parte d'après des régies fixes; & la principale à laquelle jç rapporte tout , eft le foin de ren- voyer fans cefle à la terre , pui& gu il faut fans ceflTe en tirer. ^ 431 r argent doit-îl être CHAPITRE Vlir. V argent doit- il être marchant dije ou non? Quoique trop abondant fans doute fur certains articles, je me fuis néanmoins relTerré fur une infinité d'autres tout aufli im- portants. Mais la matière que je traits eft immenfe , & n'ayant que rutilité de Tachofe pour objet, j'ai fouvent préféré Tinfpedîon des dé- tails qui font fous les yeux de touc le monde , à l'étalage des principes plus abftraits , & que de plus ha-^ biles gens ont traité avant moi. ]'ai , par exemple , bien fenti que je fous-entendois une quantité de principes qui m'ofFroient la plus vafte carrière. J'aurois pu démon-» trer par quelle opération fimple Fabondance d'argent diminue natu* tellement la population , en pro* portion de ce qu'elle augmente la conlommatioa une marchandife? 45 j confommation de chaque individu en pardculier ; comment auiïi cette abondance portée trop loin bannit l'induftrie & les arts , & jette en conféquence les Etats dans la pau- Yreré & la dépopulation. De - \k nai croit comment le cercle naturel de la barbarie à la décadence pan. la civilifation & la richelïe peut; ctre repris par un Miniftre babils & attentif, & la machine remontée? avant d*être à fa fin. Mais encore un coup , il faut me borner : ceci n'efi: déjà que trop étendu. Ceft dans les détails que Je triomphe ;' peut-être par la portée de mon gé- nie , peut-être aufïï par la nature de mes intentions. Les principes font confiants, & je ne demanderois p3S mieux que de les voir contre- dire. En attendant, il faut terminer cette Partie par un genre de détail qui tient aifez au grand , à fçavoir s'il eft utile ou non que Targent foie marchandife dans un Etar. C'eft encore ici , félon l'opinion commune, un étrange paradoxe. Ce neft pas ma faute quand j'en trouve //. Partie. T 434 V argent doit II être fur mon chemin. Perfonne au monde ne cherche moins que moi à fe (îpgularifer par Tes opinions. Je marche droit à la vérité , & ne prétends point être infaillible ; mais daignez lire jurqu'au bpiit fans pré- vention. Il ne m'appartient affurément çn aucune façon de décider fi l'in- térêt de l'argent eft permis ou noii par la Religion. Pour ce qui me concerne , après avoir , ainfi que tous autres , beaucoup vacillé fur cette quedion , j'ai cru trouver Qtï" fin dans les Conférences de Paris fur cette matière les éclairciflemens que je fouhaitois, & reconnoître qu'indépendamment de Fautorité de la Religion , les opinions de l'Ecole s'acGordoient à cet égard avec la droite raifoii & la faine piorale ; & qu'il en eft de ce pré- cepte comme de tous les autres , dont l'obfervance, loin d'être nui- fible à Pinduftrie , au commerce , à tout enfin ce qui peut eoncouric ôu bonheur de l'homme ici- bas , jC^roiç le plus fût moyeu de les fâifd une marchandife ? 4 3 y fîeuiir*,â^aiscomme>encore un coup, je n'ai ni l'autorité ni les kicmçres néceiïàires pour; érendre julquis- là ma miffion , lai(îbns ce qui con- cerne Tinterêc de Targenc relative- ment à la confcience, ôc trairons de cette partie en ce qui compéte uniquement la lociété. Il y a trois fortes de biens , 3 fçavoir les biens non tranfporta- , blés 5 tels que les fonds , les mai- fons Sec, Les effets commerçabîes , tels que les denrées , marchandifes, 'effets mobiliers , vaiiTeaux, &rc.Les rentes enfin qui ne font autre chofe q le des tributs impofés fur telle ou telle autre partie des deux autreis portions de biens. Je comprends i^mprunn qa'un état devient riche à propor- de l'étranger, î'ion qu'il acquiert plus de biens ^i^ScT' des deux premières claflTes expofées ci-delfus; mais je ne conçois pas qu'il en foit de même de la troi- fiénie, à moins que ces rentes ne foienr établies fur les fonds de TE- tr^nger 5 auquel cas il devient notre ■tributaire d'autant. Quelques calculateurs ont prc- Tij 43^ L* argent doit- il être tendu le contraire, & ont dit que dès que le débiteur eft par fa pofi- tion indépendant des loix qui conC îituent la fureté du créancier , dès- lors le débiteur devient fon maître, puifqu'il tient fes fonds fans pou^ voir être Forcé à lui payer la rente due d'autre part il fait avec fei fonds un profit plus confidérable que la rente qu'il en paie, qu'il er difpofe à fa volonté, tandis que 1< créancier qui ne revoit fa fommi que par parcelles, ne peut rien au* delà du foin de fa propre fubfiftan ce; qu'en un mot, celui qui a \\ crédit public attire à foi tous le fonds , & conféquemment touti l'attention, & tous les moyens dt profpérité. Ce n'eft-Ià qu*un tilTu de mépri {t^ , qui prennent toutes leur four ce en ce que dans ces dernier temps on a plus que jamais domu dans l'erreur de prendre l*argen pour la richeife, tandis qu'il n'ei eft que le repréfentatif. Pulïïez-vous attirer tout l'argen 4e Tunivers chez vpus , à rooin une màrchandîfe? 457 que ce ne fut pour renFouir & le renferrer pour des temps de cala- mité 5 chofe que ne fçavent point faire les Gouvernemens d'Europe, & que je ne m'aviferai pas de leur apprendre , il n*y reftera qu'autant Je temps qu'il lui en faudroit pour padèr à travers un fac percé, èc ira fe répandre par- tout où feront \ts chofes qu'il doit par nature repré- fenter, au- lieu qu'il n'eût été fur votre terre avare qu'un monceau lourd & inutile. Mais pour reprendre par ordre les raifons de la prééminence attri- buée à l'Etat débiteur fur l'Etat créancier , il eft , dit- on , le niaîcr* des fonds , & Ton créancier ne pou- vant lui faire la loi eft obligé de la recevoir. Je ne connois de mar- ché de cette efpece que celui que prent les Romains avec les Gaulois , |& dont le contrat fut , /^ tandis que le créan- cier qui ne revoit fa fomme que par parcelles ;, l'emploie à fa fub- une marchandifc ? 441 finance , & ne peut rien contre lui. Je pourrois répondre en général,- que la plupart des Gouvernemens qui furent & feront , fe trouvent dirigés ou balancés de façon que le meilleur moyen de leur nuire , fans s'épuifer foi- même en efforts ruineux , feroit de leur envoyer, tout l'argent qu'on veut bien facri- fier à leur faire la guerre. Philip- pe II. fut un Prince habile & ap- pliqué*, cependant un pareil préfent e dérangea tellement 3 qu'il remît anguiiïant & ruiné à (on fils un Etat qu'il avoit reçu florilTant de fon père. Mais raifonnons d'après Texpé- rience. Les fonds publics d'Angle- terre font aujourd'hui chargés de 80 millions fterlings de dette , fom- me incroyable & idéale pour toute autre que pour ceux qui la doivent. Je veux bien fuppofer qu'ils s'en doivent la moitié à eux-mêmes ( je ferai voir dans peu qu'un Etat fe défif^ure en proportion de ce qu'il accroît dans fon fein l'ordre des %^i f^argenî doit- ït être rentiers ) mais les intérêts de l'autre moitié de cette afFreufe dette font un tribut énorme que leur aveugle cupidité , ou pour mieux dire , leur pafïîon contre nous s*efl; impcfée en faveur des étrangers. Voyons maintenant quel emploi ils ont fait des fommes réitérées de cqx. em- prunt accablant , & quels avantages elles leur ont procuré. Ceft à peu- près depuis là fin du dernier fîècle qu'ils ont inventé cette refïburce , dont ils ont tant abufé depuis. A compter depuis- 1^88. temps de la révolution der- nière chez eux > ils ont foûtenii trois guerres contre nous. La pre- mière, qui finir à peu-près avec le fiècle 3 fut un e^et de Tanirnoiitc de leur Prince contre le nôtre. Si- la révolution qui mit ce Prince fur le thrône, étoit le prix de ces ef- forts, je ne ferois pas en droit de leur nier cette forte d'avantage y puifquils fe fervirent de cette cir- conftance pour affermir ce qu'ils»^ , appellent leurs libertés , & la forte de gouverneaiçnt qu'ils prcteudenç une marchandife ? 44 leur convenir le mieux : ce n*eft pas à mot à leur difputer cela 5 niais chacun fçaic que cette révo- lution ne fut qu'un coup de théâ- tre , ne leur coûta rien. A cela près , pendant toute cette guerre ils n'eurent d'autre avantage que de foudoyer nos ennemis , faire promener de grandes flottes fur la mer, qui n'empêchèrent pas les nôtres de tenir le champ libre à nos armateurs qui défolerent leur commerce ; & s'ils eurent fur mer quelques avantages , ils ie trouvè- rent au bout tellement compenfés , qu'ils n'empêchèrent pas que tous les ports de la Monarchie d'Efpa- gne ne fe trouvaiTent bouclés de vaiiTeaux François au m^oment 011 il fallut réveiller notre fadfcion dans le fein de cette Monarchie expi- rante, & faire montre de ia puit; fance de Louis XIV. La féconde guerre eut afiTurément lin objet d'une importance appa- rente i il s'agiiToîC d'empêcher la' réunion de la Monaichie d'Efpagne avec la nôtre: les paiîions parùcu»^ T vj. ;^44 L'argent doit'il être liéres de ceux cjui avoienc intérêt à la guerre , trouvèrent un mafque utile pour armer & épuifer toute l'Europe. Mais c cft le réfultat de cette grande affaire que je confidére uniquement. Quels avantages ont payé lafurcharge énorme à laquelle les Anglois fe font foumis ? Leurs dettes à la fin de cette guerre mon- toient à cinquante millions fter- lings. Que leur valut-elle ? Quel- ques privilèges abufîfs dans le nou- veau monde. Ils me permettront d'excepter cette partie. Il eft certain que les colonies Angloifes s'éten- dent & fe renforcent tellement dans l'Amérique Septentrionale , que s'ils viennent à bout de blo- quer de toutes parts , & par confé- quent de détruire notre colonie du Canada , ce qui eft leur projet aduel j ils feront feuls les maîtres de cette partie du nouveau monde j & que bientôt ils viendront à bout par les mêmes moyens d'entamer les Efpagnols dans l'Amérique Mé- ridionale , & enfuite de les en çbâfler : mais d'une parc , je leur. une marchandife ? 44 y annonce, moi , qu'ils feront dé- truits chez eux de leurs propres mains avant d*avoir achevé ce voya- ge de Pyrrhus ; de l'autre 3 que leurs colonies qui ne doivent leur force qu'à la liberté qu'on leur a donnée , & qui déjà font prefqu'in- dépendantes , fecoueront tout-à-faic le joug; & qu'en fuppofant à l'An- gleterre tous les fuccès qu'elle dé- vore en efpérance , il ne lui reftera au bout que l'avantage d'avoir tranf- porté l'humanité d'Europe en Amé- rique 5 comme autrefois les Ro- mains la tranfplanterent d'Afie en Europe. Enfin quelqu'avantage que la dernière paix des Anglois avec Louis XIV. leur ait procuré en Amérique , quelqu'abus qu'ils ayent fait par Tinterlope des privilèges qu'ils fçurent obtenir , ces avanta- ges n'ont fans doute pas eu TefFec réel qui pouvoit leur mériter ce titre , puifque pendant une paix de vingt^cinq ans qui a fuivi cette guerre, l'Etat ne s'eft point libéré. lU font fore riches en général 5 44^ L* argent doît-îl être mais l'Etat eft «ndetté. Or chacun fçait que la richefle privée qui ne pro- yient pas de la richefife publique , eft un faux germe qui annonce & pro- cure la mort. LailTons donc les fruits étrangers de cette guerre bien com- penfés par la néceflîté d'abandon- ner les Indes entières à une bran- che de la maifon ennemie , & reve- nons aux avantages acquis dans notre continent. Les Anglois ont îaifTé rEfpagne à un prince de la Maifon de France , Louis XÎV. ne la vouloir pas pour lui 5 ils lui ont ôté Tes poiTeflions en Italie , qu'elle a prefqu'entiére- ment regagnées peu après -, ils l'ont encore dépouillée de la Flandre qui répuifoit depuis long- temps , & qui cpuifera toujours toute Puif- fance qui ne la confervera que comme barrière , & non comme patrimoine ; ils ont obtenu la dé- molition de Dunkerque qu'ils nous avoient vendu cinq millions de livres , & par-là ils nous ont appris que non- feulement il le faut réta- Wir j mais encore^ profiter de toua vne marchand'ife ? 447 les avantages de la nature pour faire de bons ports dans la Man- che j ils onc obtenu Gibraltar &: Port- M ah on , Tune de ces étapes ne leur fert qu'à regarder la terre d'Afrique avec des lunettes d'ap- proches , l'autre leur fera enlevée au moment que les Efpagnols vou- dront bien regarder autour d*eux. Je ne prétends pas dire pour tout cela que cette paix ne leur ait. été utile & glorieufe plus qu'au- cune autre ; mais confidérons les circonflances dans lefquelles elle a été faite, ce qu'ils ont cédé en pro- portion de ce qu'ils onc reçu , &c fur-tout la dette de cinquante mil- lions fterlings qui leur eft demeurée. Eh î qu'ils ne difent pas que cette défeélion de leur part fut l'effet d'une intrigue défavouée de la na« tion: jamais paix ne fut faite plus à propos; quand on auroit démem- bré la France , leur en feroit-il reve-^ nu davantage ? Nous boucler , & nous renvoyer à la terre 5 étoit tout ce qu'ils pouvoient prétendre ; & ,ÇQ qii'ils ont fait poar cela étoit' 44^ Vargent doit-il être tout ce qu'ils pouvoient faire. Maïs quand je me tromperois en cela , s'ils m'oppôfenc la corruption de leur cabinet , je leur oppoferai la langueur du nôtre, tant de mefures mal prifes ou renverfées par le foufle de la fortune , toutes nos forces jettées à la fois dans les pays étrangers , en Efpagne , en Italie » en Bavière & autres lieux , repou(^ fées en même temps par- tout , le François rebuté de toutes parts , la difette & la famine amenées par des caufes étrangères , un grand Roi fur fon déclin, la Maifon ré- gnante frappée & féchée jufques dans fa racine , calamités moins dans le cours ordinaire des chofes, que leurs fadbions ; les accidens humains entrent toujours dans le cours des grandes affaires ,& nous ne confîdérons ici que la ^n. Quelques-uns voudroient attri- buer à cette guerre un effet qui fèroit bien important s'il étoit vrai , à parler en ennemi , c'eft d'avoir détruit notre marine de façon à n« pouvoir s'en relever , & de Tavpiç I une marchandljè ? 445^ téduice au point où nous la voyons. Ceux qui raifonnent ainfi s'exagè- rent les faits , 5c connoi(ïent mal nos relTources. 11 efl: certain que nous reçûmes en ce genre un cchec confidérable à Vigo ; mais celui de la Hogue dans la guerre précé- dente n*avoit été guèrcîs moins fort , de il ne nous empêcha pas de tenir tête à Tennemi pendant celle-ci ; & de nous mettre en état de dé- truire fa marine à Malaga , fî nous euflions fçû profiter jufqu'au bouc de notre avantage. La décadence de la nôtre tient à des caufes mo- rales & à des caufes phyfiques. Ces dernières font d'efpece à ne pou- voir être détaillées fans choquer bien des gens , ainfi je m'en abf- tiendrai. Quant aux caufes morales î les voici. En général , tout bon politique chez nous eut & aura toujours un ccil ouvert fur les Anglois. La terre qui porte ces braves Infulaires , femble ne pouvoir nourrir que des hommes excefîîfs. Qiiand on ou- blieroit les anciens temps , de qu oa '450 V argent doit- il être les fuppoferoit invincibles jufqu'icî chez eux 5 ils pourroient bien ceffer de l'être en proportion de ce qu'ils deviendroient les marchands unt- Terfels; ^: fi j'écrivois pour ap- prendre à dérraire , je dirois que toute puifTance marchande attaquée dans les foyers aura le fort de Car- fhage; mais il s'en faut bien que mon fyftême ne foit celui-là ; je tiens que l'humanité ne peut prof- pérer que par l'union générale , elle eft pofîîble , puifque notre fou-' verain Légiflateur Ta ordonnée ; elle feroit le bien de tous , chofe démontrée par le raifomiement & par les faits. Si quelque puifïànce peut déterminer la politique vers ce genre de bonheur , c'eft fans contredit la puiiTance la plus forte, c'eft nous. Le Prince fous l'empire duquel nous avons le bonheur de vivre 5 a déjà fait le premier pas vers cette grande opération , en établi(Tànt l'opinion de fa modé- ration 5 & rendant ce fentiment propre à fon peuple : le fécond pas il- eft autre chofe que de nous faire une marchandife ? 451 valoir ce que nous pouvons valoir, & prifer ce que nous vaudrons : le troifîéme & le dernier feroic d'em- ployer Tes forces & cette confidé- ration à entretenir la paix, la jus- tice & la liberté dans le monde entier. Nous le pouvons , & ce projet n'efl: pas , à beaucoup près , mêlé d'opérations dépendantes de Ja fortun-j , comme Tétoic celui de la République Chrétienne enfanté par deux aufîi grands hommes d'E- tat qu'il en fut jamais, Henri IV. & Sulli , & conduit par eux juf^ qu'au moment de Ton exécution. 3'étendrai cette idée ailleurs. En attendant , fi nous confidérons les chofes présentes & paiTées , nous verrons que depuis que les Angiois & nous , faifons corps de nation chacun de notre côté , nous avons toujours été les uns aux autres mau- vais voifins : jamais nous n'avons rien gagné en les attaquant à force ouverte ; nos plus habiles Politiques n'ont eu des fucccs ailleurs qu'en fe débarralTant d'eux : mais depuis fur- tout que le règne d'Eliiàbetbi '4SI Varient doit- il être leur donna les premières idées dil commerce , nous avons toujours perdu d'autre part à nous unir à eux. Henri IV. fut long-temps avec eux en union de religion , & tou- jours en union de politique contre la Maifbn d'Autriche j mais tandis qu'il ménageoit leur premier Jac- ques pour ie ^aire entrer dans fon idée de République aux dépens de cette maifon , les Anglois lui firent bien voir qu'ils ne vouloient d'amis qu'aflujettis -, & le célèbre afîront fait fur mer au Duc de SuUi, Am- badadeur extraordinaire , & prefque premier Miniftre , fut la fumée dont leurs prétentions d'aujour- d'hui font la réalité. Le Cardinal de Richelieu , toujours occupé de la Maifon d'Autriche au dehors , voulut fe lier avec la Cour d'An- gleterre. Les circonftances lui furent défavorables $ fes Princes qui le regardoient comme le tyran de leur Maifbn rejetterent fon alliance. Ce génie boutefeu fe retourna ; aidé de l'efprit de ce fiècle par-tout favo- rable aux projets d^ ce genre , U une marchandife ? 455 fomenta des rébellions, Se les An- glois eurent enfuite tant d'affaires chez eux , qu'ils laiiTerent le con- tinent em paix. La plus étonnante des révolutions ayant fait fuccéder un calme filencieux & féroce à ce temps de troubles , le Cardinal Mazarin fe lia avec les Anglois ; mais il y lailTà l'honneur, dont ce Miniftre , habile d'ailleurs, ne fai- foit pas a(îez de cas en politique , &c Dunkerque , que nous fumes très- heureux après de ravoir bien chèrement d'un Prince facile & inappliqué. Louis XIV. fiiivît à cet égard un fyftême tout noaveau ; il voulut achetrer la Cour d'Angleterre , & l'oppofcr dans les affaires au voeu de fa propre nation. Ce fyflême lui réuiïit mal dans le fait , puif- qu'il vit fouvent le Gouvernement contraint de fe déclarer contre lui 5 & au bouc de vingt-fix ans de cet état forcé , tout rompit dans (a main^les Princes lui demeurèrent, & la nation l'attaqua avec plus de jfureur que jamais, Le Prince Rçr 454 L'argent doic-ll être gent vint eiifuire ; il avoir beaucoup de chofes de Ton bifayeul Henri IV. Brave , affable , gai , vif comme lui 5 il eut encore de comnftun avec ce Prince de craindre l'Efpagne, ôc pour cette, raifbn d'aimer les Anglois ; il s'unit donc avec eux , ik Ci l'on écoutoit les Suédois , ils diroient qu'il lui en coûta quelque chofe de Ton honneur en politique ; mais cet objet n'eft rien auprès de celui que nous envifageons icirau- iieu de fournir à Tes allies fon con- tingent en vaifiTeaux , il le fournie en argent avec lequel ils augmen- tèrent leur marine ; il oublia la nôtre qui eût pu leur faire om- brage : une marine oubliée eft une marine détruite; auiïî commençâ- t-elle à déchoir entièrement. De- puis nous devînmes économes en dérail; àc comme il faut bien du g?tudron pour caréner un navire , cela nous dégoûta. Il s'éleva d'ailleurs un fyftême dont TefFet a démontré la f^îulTeté ; l'on penfa , l'on débita hautement qu'une marine militaire étoit uo^ marine» une warckandife ? 45 j chére , & trop à charge au Royau- nie, de qu attendu Tadive intrépi- dité de nos Corfaires , nous n'avions befoin que d'une vingtaine de vaif^ féaux de guerre pour alTurer nos côtes , & leur ouvrir la fbrtie de nos ports. Pour répondre au premier de ces Cafcuis d* axiomes , il ne faut que répéter °^"°^^'""^ ^^ ■Il marinp_ ici ce que Duroc a fait imprimer, il y a vingt ans , dans fes réflexions politiques. Il y fait un tableau pris d'après \qs regillres les plus authen- tiques de ce que coûtoit la puif- fante marine de Louis XIV. dans fon temps le plus floriiTant, Elle étoît alors compofée de 1 15 vaif- feaux de tous les rangs , Z4 fré- gates légères , S brûlots , 10 barques longues & 22 flûtes , faifant en tout 179 vai fléaux de toute efpece 5 montés de 7080 pièces de canon, de lOiS OfliciersMajors5de7955 Officiers mariniers, de 206 18 ma- telots , de 10904 foldats , fans compter yo galères toutes armées, aufli contenant 5^00 hommes de $:hiourràe, 240 mariniers de rang , 45^ V argent doit-il être ^ 3 j marmiers de rambade , & 50 1 o foldats. Il fait endiite un calcul détaillé de ce que cela coùtoic de folde , de paie , d*appointemens & de frais d'armement de toute ef- pece ; & il refulre de ce calcul que le tout armé pendant Ç\% mois de l'année , ce qui narrive jamais , cette formidable marine coûteroit 7271084 liv. Après avoir pris la précaution de dire que les gages » la folde, & les différentes fourni- tures font à peu- près aujourd'hui fur le même pied qu'alors , il fait encore un autre calcul des frais de conftruétion & d'armement pre- mier, énumerés delà même forte, & le réfultat de ces calculs pris fur les faits & qui ne peuvent être taxés de faux , eft qu'une marine de cent vaiiîèaux de 60 pièces de canon chacun , ne coûteroit pas dix millions , année commune , pour toute chofe. Cette réponfe ert: terriblement contradidoire aux faits qu'on al- lègue aujourd'hui : il eft contre Aies principes d'appuyer davantage filP, une marchand'ife ? 4^7 fur cela 5 mais il falloir brûler Ducot , ou nos livres. Quant à Taxiome, quun quart de marine nous fuffit, les faits ne l'ont que ^rop démenti ; mais ces funeftes préjuges n*en ont pas moins porté Je coup à notre marine, dont on feroit fauflement honneur aux ef- forts des Anglois dans leur dernière guerre contre Louis XIV. hQS Anglois voyant notre ma- rine tombée , commencèrent à met- tre au jour l'axiome de droit du lion , qui depuis long - temps eft: l'ame de leurs projets : Ba féconde _, par droit ^ me doit écheoir encor ; Ce droite vous le fçavei^ ^fi^^ droit du plus fort. Ils commencèrent la guerre avec TEfpagne , & la finirent avec nous. Si dans cette guerre ils eufïent eu l'avantage d'apprendre aux François à fe lai (Ter battre , cen feroit un très - réel , & d'autant plus que ç* étoit chofe très-oppofée aux faits //. Partie. Y 45 s L* argent doit-it être éc aux ufages précédents fur mer> mais ils ne nous ont nulle parc accablés que par le nombre , ÔC Ton fçait que la réfiftance feule contre des forces entièrement fu- pérîeures encourage plus une nation que ne feroit la vidoire avec ces mêmes forces. Ils ont emmené de nos vaifleaux en Angleterre, * ce ne font pas les vaiiTeaux qui nous manqueront , quand nous voudrons relever notre marine. Peut-être faudroit-il feulement pour cela fe fouvenir de Taxiome qui dit : res nolunt malè adminijirari : les cho- fes réfiflent quand on veut les con- duire contre leur nature. Quoi qu'il en foit, les grandes expédi- tions des Anglois ont prefque toutes manqué dans cette guerre ,^ & je ne vois pas cequils ont acquis à la paix , en compenfation de trente millions fterlings dont les dettes de la nation fefont trouvées augmen- tées. L*on m'oppofera fans doute que- par le moyen de la diminutiott * Ceci cft éccit ayant la guerre pt^feiuc une marchand'ife ? 4 j ^ établie des intérêts de leurs dettes , celle de ^o millions aujourd'hui ne leur efl pas (î pefante que Tétoic celle de 50 millions autrefois, &c que la pofTibilité de cette opération a démontré d'une parc que leur crédit efl: afluré , & de Tautre , que malgré les dépenfes de cette guerre , Pargenc n'en efl: que plus commun chez eux. Je conviens que la diminution des intérêts dans un Etat efl: une excellente opération politique ; & fi je voulois établir que le Gou- vernement Anglois efl: inappliqué 6c aveugle fur îes intérêts , j'avan- cerois un paradoxe infoutenable. J'ai feulement prétendu dire , que tout Etat qui emprunte de l'Etran- ger devient fon tributaire d'autanc. Je me fuis fervi de l'exemple des Anglois , comme étant de toutes les nations celle qui a poufle le plus loin cette forte de reflbarce , & qui paroît lui devoir le rang qu elle tient aujourd'hui dans l'Eu- rope, plus proportionné à fon ambi- tion qu'à fes forces réelles j & Vij 4^0 L'argent dok-il être j'examine en dérail fi cette facilité ne leur a pas été plus ruineufe que profitable. Quant aux objedionsaâiuelles; je répondrai à la première , que l'Europe entière eft aujourd'hui aflTez éclairée , pour ne pas laifler profiter une nation feule des avan- tages reconnus qui proviennent du bâififement des intérêts , & que cette opération faite chez une des na- tions commerçantes fera par confé- quent toujours le fignal d'une à peu-près femblable chez les nations voifines \ au moyen de quoi , com- me les ufages aduels prévalent bientôt fur le fouvenir des ufages paffés , aufïî-tôt que l'intérêt le plus commun dans l'Europe fera au 4. pour 100 , qu'en conféquence le taux des terres &c. fe fera adapté à cette forte de tarif, chacun ne confidérera fes fonds que relative- ment à leur produit polîîble. On s'accoutumera à fçavpir qu'un mil- lion ne pourra rapporter que 40000 livres de rente aii-lieu de 50jfu|: lefquelles on comptojt autrefois | une marchandifef ^^t êc partant l'Etat, qui au -lieu de quatre millions d'intérêts, n*en de- vra plus que trois millions deux cent mille livres , n*en fera ni plus ni moins tributaire & d'opinion & même de fait. D'ailleurs , Ci 1 on veut bien con- fidérer ce que c'eft que l'intérêt dans la nature primitive des chofes, on verra que ce n'eft qu'un intérim payé à celui qui nous prête,en atten- dant qu'on Toit en état de Ce libé- rer. Ce dernier point efl toujours l'objet de tout emprunteur qui a de la raifon Se de la bonne - foi. Or plus l'intérêt d'une fomme baif fe 5 plus le capital coûte à rem- bourfer. Les fonds publics d'An- gleterre, c'eft-à-dire l'Angleterrcj en chair & en os fera donc éter- nellement hypothéquée aux Etran- gers , à moins qu'ils n'efperent qu'à force de baiffer les intérêts ils de- viendront Cl peu de chofè , qu'on jouera , de guerre lafle , le fond à pair ou non. Il eft encore à remarquer que cet arrangement économique de la V iij 4<3i Vargent doit-il être diminution des intérêts ne peut à cet égard avoir lieu chez eux qu'au- tant que l'argent fera commun dans toute TEurope, ce qui eft précifé- ment le contraire des vues de toute nation marchande qui voudroit être feule riche & puifTante 5 car fi Tar- gent devenoit rare en Hollande & chez nous , & par conféquent notre intérêt plus haut j ou qu'il le fût ailleurs, nous retirerions notre ar- gent de l'Angleterre pour nous Ten- treprêter , ou pour le prêter aux Etrangers pauvres , & alors gare la banque. Un intérêt bas fur une nature de dettes , dont le fond eft exigi- ble , prohibe déformais au débiteur tout autre arrangement que celui de travailler à fe libérer du capital. Je fuppofe 5 par exemple , que les Anglois , aujourd'hui plus entre- prenants que jamais , fe trouvent obligés d'emprunter pour fubvenir aux frais de la guerre qu'ils nous déclarent ; quelque folidité qu'ils puifïènt donner aux nouvelles fouf Tiptions , ils ne irouveronr pas à une marchandife ? 4^^ emprunter fur le taux où ils onc fait defcendre rinterêc chez eux par convention avec les principaux adionnaires , Se en un temps où la paix générale donnoic à toutes les nations le defir Ôc les moyens d'a- mortir les dettes publiques : en fup- pofant donc que les intérêts anciens fbient au trois ôc demi, les nou- veaux feront au quatre, & dès-lors les anciens adtionnaires courront tous à la banque pour retirer leurs fonds dans refpérance de les prêter fur le pied nouveau. L*Etat n'aura pour-lors de reiTburce pour éviter un événement qui détruiroit fon crédit , que de remettre rinrerct des anciennes dettes fur le pied des nouvelles. Heureux encore , s'il ne voyoit naître le difcrédit par cette opération dangereufe faite pour l'éviter. On voit par tout ceci , que la diminution des intérêts et» Angleterre ne compcnfe qu'idéale- ment le défavantage de l'augmen* ration de la dette. A l'égard de Tobjedion , que l'argent eft très commun chez les Viv 4^4 L' (argent doit- il être Angîois -, je le crois & le vois l puifqu'îls font tous pauvres chez eux, &c ne fe trouvent à leur aife que quand , forcis de leur ifle , ils peuvent vivre autrement qu'au poids de Tor; mais il eft inutile de ré- peter ici que l'argent ne nous nour- rit , ni ne nous couvre , & qu'en tout genre, dès que le figne devient plus commun que la chofe défî- gnée , il perd cette propriété. Or l'argent n'en a pas d'autre, & perd tout en perdant celle-là. Si le pu- blic avoir cet argent, il pour roi tfe libérer ; mais le public n'eft nulle part plus pauvre qu'où les particu« liers font les plus riches , & ils ne lui offriront leur argentqu'à des con- ditions auffi onéreufes que celles qu'exigent les Etrangers. Qi-ielle que foit l'opinion qu'on peur avoir de la bonne -f<^i d'une nation , les moyens de s'en faire payer font moins aifés que vis-à-vis d'un particulier , ou d'un corps quelconque dans l'Etat. Les mal-» heurs de la ^uerre, les événemens imprévus peuvent , fur - tout chez ime marchandïfe f 4^^ une nation dont 1 état de tranquillité n a jamais duré long temps , forcer la banqueroute. Si les terres 5 ou tout autre commerce rendent au- tant que les fonds publics, de deux chofes Tune ; ou Ton les préférera , fur-tout voyant la nation obérée , & alors plus de crédit , & cette relTource eft anéantie \ ou d'autre part , on ne pourra faire face aux^ intérêts qu'en jetran tous les moyens du Gouvernement de ce côté- là , & le total de l'Etat périra par les autres faces : lacommodiré de tirée fon revenu en dividendes engen- drera la pareffe ennemie de l'agri- culture , des manu^adures , du- commerce , ^' enfin de tous moyens de profpérité. Entre ces deux alter» narives-il faut opter. Ainfî cette énorme banque feroit la ruine de l'Etat, & il eft trcs-vrai que toute circulation idéale eft ua mafque trompeur. Argent &: papiers, s'ils fîgniiîent trop, ne (Ignifient rien,, comme cela eft arrive en France^ Refte enfin la troilTéme raifoii des apologiftes des emprunts pu- y V 4é6 L'argent dokil être blics , à fçavoir que qui a le crédit; attire à foi tous les fonds , & con- féquemmenc toute rattention & tous les moyens de profpérité. J'ai démontré par l'exemple de la nation la plus courageufe , la plus éclairée , & la plus infatigable qui ait jamais emprunté , qu'attirer à foi tous les fonds , n'étoit pas fè procurer tous les moyens de prof^ périté. Je pourrois même dire que charger Ton crédit de tous les fonds, n'eft pas pour cela les attirer. En effet 5 on n'emprunte que pour dé- penfer, & la dépenfè prend les fonds d'une main , & de l'autre \q^ rend à Téconomie. Je demande , par exemple , dans quel lieu manquent les 80 millions fïerlings que doit l'Angleterre , dans quel canton cet énorme épar- gne a intercepté la circulation. Hélas ! c'eft le feau des Danaïdes j & quand l'Angleterre fe devroit à elle-même la dette entière , elle n'eût fait par cette opération Se les intérêts qui en réfultent , que (k procurer l'indiipenfable néceflîté de une méLrchandïfe ? ^Cy fucer fans ceflTe chez elle les pau- vres en faveur des riches , opéra- lion diamétralement oppofée aux principes d'une bonne adminiftra- tion , comme nous l'avons dit ail- leurs. Cette indudion n'eft pas encore de mon fujet aduel ; mais en fup- pofant que le crédit attire réelle- ment les fonds, voyons de quelle nature eft la forte d'attention qui les fuit, & examinons C\ cette atten- tion donne la fupériorité à la puif- fance qui emprunte , ou (î au con- traire elle ne la rendroit pas dé-», pendante. J'ai fouvent ouï dire que l'An- gleterre, en faifant fans ceffe fon bilan à la face de l'univers , témoi- gnoit une bonne - foi qui afTuroic ion crédit , & faifoit voir que la nation entière folidaire de fes en- gagemens dont toute l'étendue lui étoit connue , fentoit auflî fes for- ces & la poffibilité d'y fatisfaire. Si je voulois décrier un crédit auflî nuifible à ceux qui le poffedent qu'à ceux contre lefquels il efl V v| '4^5 s Logent dok-îî être employé, je dirois que à^s detter^ ne m'en paroiiTent pas plusaiTurées. pour être connues , & fi Ton veut ^• cautionnées par une populace aveu- gle 5 qui tant de fois a cru dans- trois jours être quirre de fa dette envers Ton Souverain. Par - tout ailleurs 5 fî le vulgaire n*eft pas en état de calculer la dette publique- * dans un caifé, comme en Angle-- terre, il nen eft pas moins vrai que tout ce qui a part au Couver* nemenr, tout homme privé même qui veut donner quelqu'applicaiion à cette forte de fpcculation, eft en état de connoître à peu - près les engagemfns publics de fa nation»- Je ne voisà laconftitution Angloife qu'une feule différence réelle en ce genre , c*efl: que le public croie y décider de Tes propres charges^ hc de l'emploi des fonds qui en proviennent. Cette opinion leur tient lieu de Taffedion au Gouver- nement qu'ils n'ont pas. Mais en fuppofant la chofe abfolument telle qu'ils la croient ; en admettant que jamais l'intérêt particulier ne fe ïine marchandîfe } 4^^ Tcrt chez eux de la fougue publique pour arriver à fes fins; que dans le détail on a trouvé dans ce pays-!à Je fecret unique de s'afîurer d'une cxaéle fidélité dans Tadminiflratioii des deniers , j'avoue que faurai grande confiance en rafTemblée gé- nérale d'une nation pour conseiller le Gouvernement fur Je régime intérieur ; mais que pour les afîai- tes du dehors, il n'eft Gouverne- ment (î foible & fi inappliqué y qui ne les entende mieux que le peuple. Or il n'eft rien qui foit tant affaires du dehors que la guerre ou la paix, & fur -tout la guerre^ maritime. Ceci nous meneroît trop loin , & me jetteroit dans une difcufîîon oii je n'aurois peut-être pas l'avan- tage. Je tranche fur cette partie & reviens à mon fait, en difant que tout homme , toute compa- gnie, tout corps, tout peuple, eft caution dansjereufe de grandes det- tes , en proportion de ce au'iî effc facile à les contradter. Or pour connoitre k nature de Tattentioa 470 Vargent doït-ïl hre que s'attire le peuple emprunteur J jugeons du grand par le petit. On a Toeil fur fon débiteur , on eft aux aguets fur fes démarches : mais eft-ce pour augmenter l'opi- nion de fon crédit ? au contraire , au moment où l'engagement eft- contracté , Ton voudroic prefque que fa fortune fût immobile ; on craint qu il ne fe tourne vers Téco- nomie qui nous menaceroit d*un prompt rembourfement ; mais on redoute infiniment davantage quil ne fe charge de nouveaux engage- mens, & ne coure vers fa ruine. ^ Si quelqu accident étranger lui' caufe du dérangement , aufli-tôt la peur gagne les créanciers , tous ac- courent à la fois pour alTurer leur hypothèque , ou quand ce font des engagemens de commerce , tous les billets font préfentés au même inftant , & bientôt la crainte idéale devient une calamité réelle pour le débiteur. Telle eft la forte d'attention que s*attire une Puiflance débitrice 5 înais je dis plus : fi un Banquier une marchandife ? 471 forcé à de grandes avances , ou un Négociant engagé dans de vaftes cntreprifes répand un grand nom- bre de Tes billets fur la place, il ne tient qu à TalTociation de quel- ques envieux ou Agens de change de le prendre au dépourvu dans le moment le plus embarraffant , & d'arrêter Tes opérations. Us féme- ront un bruit fâcheux, difcrédite- ront fes billets , ou les mettant par des reviremens de parties dans les mains de leurs alTociés , ils les feront préfenter tous à la fois , & arrête- ront ainfî Topération la plus sûre & la mieux combinée. A l'appli- cation : cinq ou fîx têtes principales dans l'Europe pourroient, le casy échéant, s'entendre ô^jetter ralarme dans les fonds publics d'Angleterre ^ & décider ainfi de la guerre & de la paix chez cette impérieufe na- tion. Il s'enfuit de tout ce que j'ai dit cî-deffus, que les dettes nationales font , non-feulement une ruine , mais encore unechaîne, quand elles font contrariées avec l'étranger. J*ai '47 i ^argent doit' U être dit ci-delTus ce qu'elles opéreroîenr dans TEcat , quand même elles ne feroienr que des engagemens vis- à-vis les citoyens. Ce n'efl toute- fois que dans ce fens-là fans doute que Melon prétenl que les dettes d'un Etat font des dettes de la main droite à la main gauche ^ dont le corps ne fe trouve point affoilfli j s'il a la quantité d'alimens. nécefjaires ^ & s*il fçait les dijîri" ifuer. Mais (î j'écorche ma maia gauche pour revêtir d'une double peau ma main droite , je m'incom- moderai certainement des deux parts , & c'eft précifément ce que j.e fais en augmentant dans l'Etat Tordre des rentiers. Ceci mérite un examen. Les rentiers, en les confîdérant en cette qualité ifolce, ne font autre chofe que gens oui vivent d'un tri- but impofé fur la portion d'autrui , fans a tre foin que celui de rece- voir & donner quitrance : (oit en rerj^ardanr l'état primitif de l'homme condamné au travail , ou d'autre parc les avantages qui rcYiciinemà une marchandîfe ? j^y | la fociété de l'induftrie & de l'ac- tivité des particuliers , tout homme qui vit fans rien faire eft une che- nille dans TErat , & c*eft-là propre- ment la définition du rentier. L*on me dira que je pofè un homme idéal ; que la totalité des rentes établies dans l'Etat eft dif- tribuée fur toutes les clalTes & ordres de fujets , qui tous , indé- pendamment de leurs rentes , s'a- donnent à quelque profeffion , foit pour augmenter leur fortune , fois pour acquérir de la confidération , qu'il eft impofïible que le Militaire y. que le Magiftrat s'adonnent à l'agri- culture ou au commerce , & qu'il faut bien qu'ils ayent d'ailleurs des moyens de fubfiftance aïïurés Se faciles à percevoir fans fe détour- ner de leurs emplois ; que ceux mêmes à qui leur état permet de s'adonner à l'agriculture & au com- merce, font bien-aifes d'avoir quel- ques revenus à l'abri des revers de ces deux profefîions , Se qui les aident à en fupporter les échecs i que ceux qui exercent les arts libé- 474 V argent doit-il être raux & jufquaux moindres am méchaniques , y ont part , & de- viennent par-là moins avides & moins intéreffés dans leur travail 5 que cela multiplie enfin les biens dans la fociété , & fubdivife les grolîes fortunes , objet que j*ai pré- lente ci-devant comme néceffaire. Telles font à peu-près toutes les raifons à m'objeâ:er en faveur des rentes & des rentiers ; elles méritent d'être examinées les unes après les autres. I ^. Je pofêrois un homme idéal i Cl je difois que dans l'Etat les ren- tiers font d'un côté , & les pof- fefîèurs de fonds de Tautre , comme les juftes & les méchans feront au jour du Jugement. Il eft pourtant vrai que , fans aller fi loin , cela fe pourroit voir , puifqu'en Angle- terre ces deux ordres font diftinds & féparés , de forte que leurs di- vers intérêts toujours contrepointés caufent dans les Parlemens bien àes débats dont leurs papiers publics nous inftruifent , & qui font , comme de droit , prefque toujours décidés une marchandife ? 47 y contre les intérêts des ponelTeurs des fonds de terre , ufage dont je leur fouhaiterois la continuation, fi je les haïfTois. Mais ce n eft point une chimère de dire qu'il y a parmi nous des gens qui jouiiïènt d'une grofle fortune toute en revenus, foit fur le Roi, ce que j'appelle le public j foit fur les corps , les com- munautés ou les particuliers. Le monde en eft plein, & de ceux qui ne font autre chofe que recevoir & jouir : je ne prétends pas plus attaquer ceux là que d'autres. Je fçais qu'ils font fous la fauvegarde de la bonne-foi publique & parti- culière ; or la bonne-foi , cheville ouvrière de la fociétéjme trouve* ra toujours fidèle à Tes engagemens même les plus onéreux, & les plus forcés , foit dans mes écrits ou dans mes adions. Je dis feulement que la forte de biens qu'on appelle rente, eft celle des trois que j'ai établies ci-defTus , qui eft la moins favo- rable , en ce que d'une part elle ne fçauroit être accrue qu'aux dé- pens des deux autres , au-lieu que 47 <5 V argent dok-îl être les autres le font par le travail & l'induftrie j d'autre part , en ce qu'elle aide la parenre.& Tinadion , ennemies réelles de la profpérité d*un Etat. 2°. Il eft impoflîble , dit- on 5 que le Militaire , que le Magiftrat &c. s*adonnent à Fagriculture & au commerce ; en conféquence il faut bien qu'ils ayent d'ailleurs des moyens de fubfiftance affurés & faciles à percevoir fans fe détourner de leurs emplois. I Réponfc à ï^ y ^ ^^ei^ ^es réponfes à ceh; \ la néceffité Premièrement , je ne confonds des rentes pojnt dans Ics Tcntes les appointe- «efçauroicnt mens , gages & autres emolumens ctreagricui- attachés aux charges Se emplois. L axiome , qu il eft julte que le Prêtre vive de Tautel , me paroïc de droit pour tout citoyen dévoué j à des fondions publiques. Secon- \ dément, dans un Etat bien policé, & où le mérite aura la prééminence fur les richefiTes , les gens en place ne feront plus fi avides de biens , j & la vie modefte inféparable de la } vraie décence dans la Magiftrature ^ une marchandife ? 477 fera une nouvelle fource de richelTe. Troifîémemenc , les Magiftrats les plus occupés des fondions publi- ques ont cependant des fonds de terre dont ils tirent le revenu , comme les autres propriétaires , par le moyen des fermiers. Or comme les rentes , fur quoi qu'elles puiffent être aflîfes , ne font prifes que fur les fonds ou fur les con^- fommations , comme les confom- mations ne font jamais chargées qu'aux dépens des fonds de terre, qui par des rapports néceffaires fup- portent dans le fait toutes les char- ges 5 il arrivera qu'eff* diminuant les rentes on augmentera les terres , & que chacun profitant de cette diminution en proportion de ce qu'il polTede de terres , retrouvera par ce moyen ce qu'il perdra par îa diminution des rentes. 3°. Ceux qui s'adonnent à Tagri- culture & au commerce , ont beloiii auflî de quelques revenus fixes ÔC à l'abri des revers. Je pourrois répondre à cela , qu'en affirmant que la mwlciplicicé ^78 V argent doit-il être des rentes eft un mal dans TEtat ; je ne prétends pas inférer de-là qu'il fallût les éteindre toutes, quand la chofe feroit poffible. J'au- rois même qaelque fcrupule à ap- puyer cette opération -, non que je puiflè appercevoir en quoi ce fèroit un mal , mais parce que d'une parc il s'en faut bien que je ne croie voir tout ce qui feroit vifible pour d'autres , & que de l'autre , je tiens en général qu'en toutes chofes les extrêmes font vicieux , 3c que ce n'eft que dans un jufte milieu que fe trouve le vrai point. Mais pour répondre ^lus en régie à l'objec- tion ci-deflTus , il me femble qu'il eft une forte de fonds naturels tout aufîî à l'abri des revers , que le peuvent être des impofitions fur les biens d'autrui. Ces fonds font la modeftie Ôc l'économie. Si l'agriculteur , G le commerçant ont la prudence de prévoir les inconvéniens naturels, inévitables dans l'ordre des chofes , & que loin de dépenfer les fruits ou les produits en entier d'une une marchandife? 479 bonne année , ils ayenc toujours en referve de quoi faire de nouveaux fonds en cas de malheur ( or cette prudence ils l'auront , dès que Téco- nomie fera en honneur dans l'Etat) ee régime fera le même efïèt que pourroit faire la portion de rentes qu'on leur atcribuoit comme né- cefTaire , & avec d'autant plus d'avantage , que d'une part ces nouveaux fonds feront fur leur pro- pre bien & non fur celui d'autrui , & que de l'autre , ce que chacun met en referve dans fes greniers ou dans fes magafins eft une aug- mentation de richeiïès pour TEcar. Or il feroit inutile de répeter ici ce que j'ai déjà longuement établi dans le cours de cet ouvrage , à fçavoir que tout ce qui néceffîte l'économie & la modération dans les mœurs des particuliers , eft un bien pour Tinduftrie & la popula- tion 5 & par conféquent pour TEtar. 4°. Quant à ceux qui exercent les arts libéraux & méchaniques , je dirai des premiers ce que dit l'Italien : un poco di necejfua eft '^So V argent doit- il être la nourrice des grands talens. Leî arts & métiers niéchaniqiies font faits pour fournir à Tartifan une honnête fubfiftance , l'entretien , Téducation & rétabliflement de fa famille ; & par-tout où Ton verra des artifans faire des fortunes ra- pides & exorbitantes , on peut dire que le luxe règne , & que la re- cherche & la fantaifie remportent fur la décence & la néceffité : mais fi le bonheur de quelques-uns leur fait amaiïer de grands fonds , s'ils font repréfentés par un amas confi- dérable de matériaux propres à leur profeiîîon , ce font-là des fonds réels qui ne dépendent point de la bonne ou mauvaife foi d'autrui , & qui font autant de richelTes pour l'Etat. Et quant à ce qu'en dit , qu'un artifan enrichi devient moins avide & moins intérefTé dans fou travail , c'eft encore une de ces fpéculations démenties par Texpé- rience quotidienne & univerfelle, & qui ne valent pas la peine d'être réfutées. 5 ®. Pour ce qui efl enfin de l'al- légation , ufi.i mdrchandîfe ^ 4Sf î^gatîon 5 que les rentes muîtiplienc les biens dans la fociété , & (ubdi- vifent les grofTes fortunes , j*ai dé- montré , quant au premier point , qu'il ne pouvoir avoir lieu que dans le feul cas où les rentes font éta- blies furies étrangers j& quant au fécond , fi Ton veut fe donner la peine d'examiner lachofe au fond, on verra que cet établiilement ell tout propre à faire l'efîèt contraire. L*avare , ou (i Ton veut , l'éco- . «orne qui par une contention fuivie et uniquement avanta^;eiife pour lui , & parveaii à épargner fur fes -revenus de quoi fe ù.we un fonds ^iur le patrimoine d*autrui^ n'abaa- .donnera pas cette utile méthode ,,au moment où il commence à en ■goûter les fruits; la première échéan- ce des intérêts devient pour lui un encouragement ; & comme <:eite ibrte de revenus n'eft fujette à au«- ..cundes inconvéniens qui intercep- . tent quelquefois la perception àe^ - autres , bientôt les intérêts grolîif- ient le capital , fa fortune devient la boule de neige qui grofÏÏt à vue //. Partie, X '4^1 TJargent doit-îl être d'œil de ce dont elle dépouille tout ce qui fe rencontre en Ton chemin. Mais , me dira-r-on , cet homme tel que vous me le dépeignez , eût également été un Vampire pour toute autre forte de fonds , & avec le même détriment pour le refte de la fociété Point du tout : un avare amaflfe-t-il des effets mobi- liers 5 des denrées , des marchan- difes &c. Tes magafins font un fonds pour l'Etat. Tant qu'ils font en fubftance , ils neVortent point d'in- térêts , ce qui fait une grande dif- férence pour l'accroilTement de la fortune de cet homme ; &: bientôt fa propre avarice lui efl: à charge, fî elle accumule fes fruits à un cer- tain point. Sa pafîton fe tourne*» t-elle au defir d'^érablir & d'accroî- tre fa fortune en fonds de terre, il trouve de toutes parts les paffîons d'autrui fur Ton chemin ; au - lieu que quand il ne s'agit que de prêter fon argent , elles le favorifent tou- tes. Chacun eftime fa terre , fon patrimoine , & fon champ au defïus de l'évaluation publique. L'avare ^ne marchandîfe f 4S 5 tenté de s'arrondir trouve long- temps cette eftimation trop forte & trop opiniâtre. La nécefîîté fait- elle tomber quelqu'un dans Tes rets , il s'apperçoit auiïi-tôc qu'en deve- nant plus grand terrien, on mul- tiplie Tes embarras dans une toute autre proportion que fes richeiTes. Bientôt il fe dégoûte d'une adrni- niftration étendue , toujours mal lervie quand le maître elt chiche pour fes agens. Il reconnoît enfuite qu'en plaçant fes épargnes en amé- liorations fur Ton propre fonds » elles font plus utilement employées <]u'en envahi (Tant le fonds d'autrui 5 il travaille chez lui, il double Ton revenu , & fon économie devient profitable pour FEcat , de ruineu/è qu'elle étoir. il eft donc de raifonnement au- tant que de fait, comme l'expé- rience le démontre, que les rentes font propres à grodîr les grandes fortunes aux dépens des petites , & c'eft un notable. inconvénient de ,fîus, JL* utilité prétendue des rentes Xij rçs 484 Vargent doit-il être ainiî combattue dans toutes lès al- légations pofîîbles en fa faveur , il- feroit fuperflu de s'étendre auffi au long fur leurs inconvéniens. Dire le rentier que le rentier ejl de fa nature un €ft de fa na- ^Ijlf g^l j^j^i^ ç?q[1 Jjj.g q^g \^ cure un oifif 1 a*^ ^ 1 ^ ,1 r • 1 > \ - qui jouit, plupart des maux de la lociete lui. font dûs. En effet le luxe , la dé- bauche & leur fuite ne trouvent guères que dans cet ordre leurs Baifler le minières & leurs fauteurs. Baijje:^ taux des ren- [c taux des rentes _^ éteigne"^' en autant que les circonjlances pour-^ ront le permettre j vous verrez doubler Tinduftrie, & renaître Téco- nomie nourrice des Etats & mère de la population. De ces deux principes , le pre-« mier nVft pas même à notre choix; & quand nous voudrons y faire la moindre réflexion , nous nous trou- verons néceflltés à cette opération par la manœuvre de nos voiîîns. En effet , tant que le commerce fera en concurrence ( & je crois qu'il eft de l'intérêt général qu'il foit toujours ainfi) il eft impofîîble que la concurrence fe foûtienite j une marchandîfe ? 4$^ fi la partie commerçante , c*efl:-à- dire emprumeufe d'une des nations, eft obligée de payer de plus gros intérêts de Tes fonds que les au- tres. A forces égales , Ci deux cou- reurs partent , l'un de quatre lieues de diftance , Se Tautre de cinq pour atteindre au même but, certaine- ment celui qui a Tavance d'une lieue fur fon concurrent arrivera toujours le premier. Il en eft de même de deux places marchan les , dont l'une trouve l'argent nécefifaire pour fes avances au 4. pour 100. tandis que l'autre ne le peut avoir qu'au 5. Si un Mercier acheté l'argent au 3. il fait un profit honnête en revendant au 5. il a 2. pour cent de bénéfice clair-, donc la mar- chan^ife ne fera vendue que y. au-deiTus de ce que la main d'oeu- vre a coûte. Si le Mercier acheta l'argent au y. il fera obligé , pour faire le même profit , de revendre au 7. la tnarchandife fera plus chère, X iij 4S<^ r argent dok'ii être- èz, conféquemment moins propre a la concurrence. Mais cette aug- mentation première ne fera pas la feule que la marchandife fuppor- tera : il faut encore y proportion- ner les rifques devenus plus forts, les dépenfes relatives plus fortes , parce qu'il eft très-vrai que chaque marchandife porte en détail fa parc de la plus grande chereté de Ton figne 5 ôc que chaque main par ou / elle palTe , lui fait e(Tuyer fes rap- "5orts avec la plus grande valeur de 'argent. Le tout enfemble calculé, *on feroit étonné àe trouver les- deux tiers peut-être de différence du prix au-îieude la proportion pre- mière ; parce que cette proportion , comme je viens de le dire , fe mnlciplie par routes les mains qui la fupportenr. Il s'enfuit de cette induâ:ion réelle & qui ne peut être contredite, que (î-tot que les An- glois ôc les Hollandois mettront chez eux Tinterêt de l'argent au 4. ncus ferons fols , ou ce qui efl fynonime, de faux fàges> fi nous m'en faifons autant- une marchandîfe .<* 487 J'ai ouï dire que les dits & con- Les dirs 8t iredirs étoienc nécefifaires en fait ^^"^ de procès , mais ils ne valent rien en fait d'af- en fait d'affaires d'Etat. Un Etat ^^'''' ^'^^asi ne fortira jamais de Ton engour- difïèment & de la léthargie des ufages & de l'indécifion , s'il n*eft gouverné par des têtes tranchantes qui voient le but 6c qui y marchent à travers les brouflailles , fans les prendre pour de la futaye. Je dis , plus 5 dans le fait dont il s'agit , nous avons quinze & bifque fur nos voidns , & voici pourquoi. 1 '*. Plus une nation a de pro- duit , plus elle peut agir fans tâton- ner avec le commerce , attendu cjue le produit eft le cannevas du commerce , & que quand même ce dernier fe feroit éloigné,, qu'on lui falTe luire les matériaux de l'échan- ge 5 il reviendra fur le champ. Si au contraire les Hollandois perdent une branche de commer- ce, il leur faut des peines incroya- bles & du bonheur encore pour la rarrapper , attendu que comme ils ne font que les voituriers de l'uni- X iv '4S8 Vargent dôît-it être û verSjik font dépendants du produrt 1 d'aiitrui , à qui tout exportateur eft fcon. Les Hollandois donc doivent cultiver & ménager leur commerce qui leur rient Heu de fonds «& de forme , au - lieu qu*il n'eft pour nous que la forme , tandis que i'agriculture eft le fonds, hes Aii- gloisquiont un produit confidéra- ble en comparai fou des Hoilandois, nous cèdent infiniment néanmoins €n fait de cette: richeflfe première. Le rronc de leur arbre eft plus foi- ble y Se les branches plus fortes ^ en confcquence ils doivent plus craindre l'orage. Ainfi donc , quand ces nations baifïcnt chez elles Tin- terêt au rifque de la forte de ftran- gurie momentanée qui peut en arriver au commerce , nous ne de- vons nullement héficer d'en faire autant chez nous, & Tévenement juftifiera notre hardielTe. 1°. Mais 5 dira-t-on , ces fortes de bailTemens ne fe font point en Hollande & en Angleterre par des Ordonnances ; c'eft Tabondance de la denrée appellée^ argent ^ qui une marchandife ? 48^ d'elle -niêms en porte le loyer à Ton taux 5 comme il en arrive de toutes les denrées au marché; au moyen de cela , le Gouvernenient ne rifque rien en aidanc à des opé- rations qui fe déterminent d'elles- mêmes par la pente des chofes. Telle eft la maxime que veut adop- ter noîre Gouvernement : puifque l'élément du commerce eft la liber- té , il ne fçauroit mieux raire que d'imiter en cette partie la méthode des nations qui fe prétendent libres. Le taux de la place déterminera d'abord celui des emprunts tolérés, ôc qui ne font point fous la pro- teélion du Gouvernement : quand celui-ci fera bien décidé, la loi du Prince fuivra Timpulfion au -lieu de la donner, & de la forte on fera certain de la ftabilité de l'opé- ration , qualité toujours à recher- cher , fur-tout en fait de finance. J'approuve cette modération : ain(i donc nous voilà d'accord , ôc vous convenez avec moi que fi -tôt qu'une forte de convention publi- que aurabaiffé le prix de l'argent ^ X y 45?0 Vargent doit il être ia loi du Prince fe conformera k ce tarif de convenance-, jufqiies-lài tout eft bien : j^ajoûre feulemenr qu'il eft nécefiaire de placer à cer égard l'optique un peu p!us loin que vous ne faites , pour ne pas fc tromper à Ton efFet. La place d^ Paris eft un miroir très-fautif. Pour- quoi cela l Ceft que prefque tour ce qui emprunte fur cette place j- cherche des fonds pour des objets abfolurnent étrangers au commer- ce, pour des avances de finances .c, pour des entreprifes pour le Roi &c. D*une part , ce font toutes af- faires exclufives , & qui par confé- quent ne font aucunement règle pour le commerce ; de l'autre , ce font opérations de finances , ou il y a 50. 100.& fouvent 150. pour joû. à gagner, de quand il s'agit d'emprunter pour de tels objets , on p'y regarde pas défi près. D'ailleurs c'eft le pays des fous , des débi- teurs infolvableSj & parconféquenr des entrepreneurs téméraires. Paris en \m mot eft nécefiTaireraent una place très fautive.- une marchandife ? 49 f Nos places de commerce en province font trop foibles , & trop dépendantes des reverfeinens du Thréibr Royal pour pouvoir fervir de règle. Un mouvement dans la finance, un ordre imprévu de la part des Receveurs & Fermiers Généraux pour faire rentrer \qs de- * niers des caiiFes des provinces , jettent tout- à-coup le défordre, & font difparoître l'argent àt deiTus les places de Nantes & de Bour- deaux. La fuppreiîion des galères qui portoienc tous les ans 1500000 liv. à Marfeille, ajetté cette place dans une mifere dont elle ne fe relèvera peut-être jamais. Ce n'eft donc point encore là qu'on peut connoître le vrai tarif de Targenr. Où donc ? Cefl: à Amfterdam ,' d'oû ioH & à Londres. Mais c'eft chez les ^^^X^^.^^^^ Etrangers.... les parties de l'Europe mem, commerçante ne font point étran- gères les unes aux autres , relati- vement à ia circulation. L'or vient du Pérou , & n'y retourne pas ; il ne fe perd que par deux conduits j les Indes Orientales , &: les bijoux 4^1 Varient doït-ïï être ëc meubles. Le premier de ces dè^ Bouchés ne fera nuifible j que quand" les mines du nouveau monde vien- dront à tarir *, o utinam! Le fécond n'abforbe rien en comparai Ton de «e dont la fomme monétaire groffic tous les anj. A cela près , Targent efi: en Europe *, les barrières foi— Blés & idéales en ce genre, qu'on- appelle frontières, ne fontrien-pour îlii 5 elles ne doivent pas arrêter lion plus l'homme d'Etat qui veuc diriger For vers ruril réde fon pays* Ainfi donc le Gouvernement eiT France, auiïî-tot qu'il voit létaux. de Fat gent conftamrnenr baille chez Mïi de nos voifins , doit y marquer. îe taux à\x' Prince par une bonna Ordonnance. Ceft un moyen de plus que nous avons chez nous. Nos^ voifins in- fatués de leur liberté feroienr ef- frayés de rinretvênrion de ramorité dans leur partie fenfîb^e. Tolérants d'ailleurs pour toutes les religions ^ il efi: arrivé chez eux de la ferment- lation des fentes ce qui arrive par- s©ut de celle des paflions;^ c^ui eiî une tnarchandife ? ^c^f fatt naître de monftrueufes & hors de la nature , mais qui d'ailleurs émoulTe les paffions premieres.Aind' donc la religion & le fcrupule y font relégués , pour ain(î dire , dans le fein de quelques familles tran- quilles , mais ne dominent nulle- ment fur la partie aélive de la na- tion, lien efttout autrement parmi nous ; on compte encore avec fa confcience en général dans tout ce qui n'eft pas impulfion du moment» & je connois alTez le monde prê- teur pour pouvoir aiïurer qu*atiffi- rot que le Pvoi aiiroir fixé Tinterêe de Targent au 4. pour 100. ôc dé- fendu aux Notaires d'autorifer des emprunts à un taux plus confîdé- rable, mille gens qui penfent ne pouvoir excéder l'intérêt permis- fans faire Tufure, mille autres qui font entrer dans leur probité de n'éluder en rien la Loi du Prince 9 fe conforraeroient d'eux-mêmes au nouveau tarir. D'autre part , on ne pourroit plus accepter de prêts fur contrat à un faux plus fort , fans û déclarer prodigue en quelque 45^4 L* argent doit-il être forte : bientôt tout le monde s^j feroit, & il n'y auroit pas moins de facilité pour les emprunts que par le paiïé. En effet, Targent y feroit ni plus ni moins , & il vaut mieux en tirer quatre ou trois de même deux pour cent que rien du tout. Baîïîement Eh 1 quand on fe dégoûteroit de ^•inierêis , prêter Ton argent à un fî bas inte- drî'â"rkul- ^^^ 5 o^ feroit le mal ? il faudroic Êuie. bien en faire quelque chofe. Les fonds de terre hauflTeroient de prix dans Teftime publique , ainiî que dans révaluarion ; chacun en vou- droit avoir jlespolTeffions s'enfub- diviferoient , & conféquemmenc feroient mieux entretenues. Cette amélioration qu'on ne fait pas au- jourd'hui fur fon fonds, parce qu'elle coûteroit cent piftoîes, & que cela ne bonifieroit le bien que de zoliv, de rente , fe feroit avidement alors , attendu qu'on y trouveroit à placer fon argent au prix courant , & avec bien plus de fureté fur fon propre fonds- II s'enfuit de cette indudion , qu« une mdYcîiandtfe^ 49f fe bai (Terne nt des intérêts fèroitune- des meilleures & des plus sûres opérations pour animer Tagricul- ture. Cefl que tout ce qui eit bien part du même principe, & rend au Slême but. D'autre part , tout objet de com- î^îe^) viVr^ r ' TT I ncation du merce leroit tentant. Un homme commerce. feroit fou aujourd'hui de rilquer des entreprifes périileufes pour ne pas gagner le 5. pour 100. que Ton argent peut lui rapporter fans rifque en le plaçant fur le Roi , fur les Corps 5 ou furies particuliers. Vai- nement dira-t-on qu'il efi obligé d'engager fon argent fans retours & fans pouvoir s'en procurer la rentrée , ce qui ne convient pas à tout le monde : maiivaife objedion. Si- tôt que fon contrat eft bon , il Trouvera toujours à s'en défaire, Quand le Clergé emprunte;, quel- que fort que foit l'emprunt, à peine les deux tiers des prêteurs qui fe préfentent peuvent-ils trouver pla- ce. Si l'un de ceux dont Targenc eft reçu , veut le lendemain marier fa fille ou acheter uns Charge à 49^ L^ argent dok-il être fon fils , il peut choifîr un acqué- reur de fon contrat entre ceux qui n'ont pu trouver place , & fon argent iui rentrera fur le champ. Je dis donc que tant que ces con- trats-là rapporteront cinq pour cent , il n*y aura de commerce fage que celui qui rapporte cinq & demi , iînon ce n eft pas la peine de tra- vailler & de rifquer. Quand les contrats feront au quatre , quatre & demi fjffiront au commerce, & aîn(î du refte. Ainfi donc le baifTe- ment des intérêts eft une des meil- leures ou plus fûres opérations pous animer & multiplier le commerce. Ce que ie dis ici du commerce peut s'entendre aufîî de toutes fortes d'entreprifes ; on les ver r oit fe mul- tiplier à l'infini dans l'Etat , fans fçavoir d'où provient ce redouble- ment d'induftrie ; & l'on en vien- droir au point qu'on attribue aux habitans de la Chine, où, dit-on, il y a des entrepreneurs qui four- niffent la nourriture aux laboureurs dans les champs. Les fermes des terres iiauffe- I une tnarchandife ? ^e^y toîent a proportion de ce que les fermiers le contenreroient d*un moindre profit qui Hiffiroit défor- mais à toute efpece d^entreprife dans TEtac. Cet avantage très-réel pour les particuliers deviendroit inimenfe pour TEtac par le haufle- iiient des fermes du Roi , &r par la diminution de routes Tes dépenfes miles au r.^bais par la multitude des concurrens. Enfin les manufacTtures s'élève- laem, pôut roient de toutes parts au moyen lesmauuta^^ de toutes les facilités que nous avons '"^"' établies ci-deflus. Ainfi donc, le bailfement des intérêts eft une des meilleures & des plus fûre*? opéra- tions pour exciter & vivifier l'in- duftrie. Il refuîte de ce que àe^us l 1^. que la diminution des intérêts au prorata du taux établi chez les voifins 5 efî: une opération forcée par-tout ailleurs que dans Tifle des aveugles. ^^, Que nous avons à côté de nous deux places dont le tarif nous âYertira toujours , iaus autre Ipi- 49^ I-' argent doît-il être culation , du moment où cette opé- ration eft nécelTaire , & du cran précis où il faut la marquer. 3 ^. Que par des raifons morales èc phyfiques, elle efl moins péril- leufe & plus facile chez nous que par-tout ailleurs. 4^. Que néceflairement elle ani- mera l'agriculture , mulripliera le commerce , & vivifiera Tindurtrie.. Rembour- C cft beaucoup , & je crois Ta- femem du y^jj. (jémontré , que de baiffer le capual. , J . taux des rentes ; mais comme je l'ai dit , en parlant des Anglois, ce n'eft libérer en rien l'Etat 6i les Particuliers , fi 1 on ne trouve le moyen de les éteindre petit-à petit. Or je crois inutile de répéter dé- formais qu'il n'entre dans mon fyf- terne aucune forte de relâchement fur les principes de la bonne- foi. Plus on eft Grand , moins Texadte probité doit coûter , puifque tan- dis que le pauvre & le foible n'ont prefque d'intérêts que relatifs au néce(ïàire , le riche & le puifTant ne traitent que du plus au moins de fuperflu j d*où il fuit que la une marchandife ? 49-5J ïtïauvaife foi des pnifiTans eft plus odreufe & plus impardonnable que celle du pauvre. Plus on efl; au- deffus des loix coërcitives , plus on rifque , en proportion de fa puif- fance , à s'en affranchir. Ce que les loix ne peuvent faire , le dif- crédit ( excommunication civile , & loi des loix dans l'humanité ) le fait ; & malheur aux Grands une fois atteints de cette lèpre incu- rable , malheur à leur réputation ^ à leur fortune, à leurs entreprifes :: tout leur brife dans la main pour en avoir cru des guides aveugles j^ & faute de quelqu'application qui leur eût a'fément fait découvrir dans Texade obrervation de leurs^ paroles la véritable voie defecouer tous engagemens onéreux, & d'être en état de n'en contrader que d'uti- les. En conféquence, je tiens que ce font des efprit gauches , & des cœurs foibles ou pervers , qui les premiers ont établi dans les ma5»i- mes ^d'Etat un relâchement qui déshonoreroit des particuliers. Il feroic aifé de démontrer par les '500 L^ argent dott^il être faits que les plus véritablement grands Rois, de grands Miniftres, ont été les plus honnêtes gens dans leur ordre, & que, iî quelquefois ceux-là même ont manqué en cer- taines occafîons à leurs principes , ce ne fo^it pas ces faits-là qui leur ont le mieux réuflî. Dès que l'in- térêt feul entre dans nos calculs, le champ efl ouvert au pour & au contre. On fe méprend aux princi- pes, on eft trompé par les confé- quences j dès-lors le tableau des maximes varie félon les circonf- tances. Eh ! qu'eft-ce qu'une grande manutention qni n*a ni objets cer- tains ni principes ? Voulez- vous fcavoir où gît Tinterêt toujours fixe , touîours immanquable ? c'eft dans l'uniformité , la vérité ^ la bonne- foi» Tout ce qu'il y a d'avantageux ici-bas fe rapporte-là. La vérité eft le moyeu de la roue de l'intérêt & de la fortune. Si tant de gens fè plaignent qu'elle efl: fans ceffe mo- bile , & écrafe ceux qu'elle a éle- vés , c'eft que le moyeu manquant, la roue n*a plus d'appui , & bien- une marchand'ife .<* joi tôt voîe en éclats, la vérité feule, je le fens , rn*é!eve dans le cours de ces fpécularions audelÏÏis de Fétroice fphcre de mon foible génie, & je n ' doute pas qu'un Miniftre qui en auroit allez pour agir comme Je raifonne , ne fentît en pratique TefFet que je lens en théorie. Vérité , probité , bonne-Foi , font les vrais appuis de tout Gouvernement. Ces vertus n'excluent ni la force , ni la prudence ; au contraire elles les dirigent , elles les décident. En con* féquence , quand je dis qu*il faut éteindre les charges & les dettes de l'Rtat & des particuliers , je n'entends pas qu'on y employé au- cun de ces moyens ruineux effor- cés qui n'auroient jamais dû venir en la penfée des hommes d'Etat , fi des circonftances accablantes & des exemples tirés des temps de barbarie ne les y avoient comme entraînés ; mais l'onérarion eft pof- fible par des moyens feuls de ré- gime &: d'économie. Quand je dis charges Se dettes ^ de i*Etat , ces deux mots feroienc 501 E argent doît-il etrs fynonîmes , fi réellement Tartide des charges coiifidérées comme emploi, n'en étoit une très- réelle- ment pour nous dans le liens qui iîgnifîe fardeau. En lifant un état de la France aujourd'hui , on eft étonné de voir qu'un individu fans charge eft plus rare dans ce Royaume , que ne l'eft un homme ayant charge. Or comme il eft , je crois , reçu fans conteftàtion qu'on avilit les digni- tés en les multipliant , & qu'où les dignités & les emplois font avi- lis, le Gouvernement s'afFoiblit & perd de fa confidération , il s'en- luit de ces deux axiomes, qu'indé- pendamment de ce que les appoin- temens &c privilèges de tant de charges appauvrirent l'Etat , elle raffoibliftenr encore. Salli l'a dit dans Tes Economies Royales ; ce digne Miniftre , un des plus grands peut-être qui ayenc j jamais paru , en ce qu'il joignoit ™ en un degré bien rare de prudence & d'élévation l'efprit de détail le plus inventif & le plus exad att une marchandife ? 505 génie du grand des afîàires : ce grand Minière, dis- je, qui régé- néra les affaires , uniquement parce qu*il fçut toujours en ailujettir le régime à Ton plan & à fa fliçon de faire , au-Iieu que les autres s'af- fervilîent communément, en entrant dans le pofte , au courant des ufa- ges , c*eft-à-dire à celui des abus , avoit coutume fouvent de mettre en abrégé le tableau des chofes fous les yeux de fon maître , de façon que d'un trait le Prince pût tout voir. C*efl: encore-là la vraie pierre de touche du ferviteur ex- cellent. Se fupérieur par TerpritSc par le cœur. D'ordinaire les hommes les plus capables en grand, & dont le juge- ment efl: le plus droit ,font auiïî, par difpofition de tempérament , les plus aifés à rebuter d'un travail épineux & de détail ; Se au moyen de cette difpofition qui n*échappe pas à un Conrtifan ambitieux, les plus dignes Princes font ceux qui parviennent le p'us aifément à Ce méfier d'eux-mêmes, & àfe regar- jo4 V argent doit- il être der intérieurement comme dép^- dans du prétendu travailleur qui leur apprête la befogne , parce que cet hon^me leur préfente la branche par les pointes, au-lieu de la leur donner par la tige. Ils leur hériflènt Fart de gouverner de tous les détails faits pour les commis, tandis qu'il n'eft rien de il fimple de foi-même dans une machine montée , & que tout ce qui doit coûter le plus au Prince , n'eil que de rapporter à cinq ou fix principes généraux qui conftituent entre eux le bon Gou- vernement , non-feulement les or- dres émanés du thrône , mais encore les plus ordinaires adionsde la vie, qui toutes peuvent influer beaucoup lur le bien ou le mal de l'Etat. Le vrai Miniftre donc eft celui qui rapportant tout à la gloire de fon maître , lui fait voir ce qui efl: vrai ; c'efl: à-dire , qu'un Prince n'eft point un fcribe ; qu'il en paie pour être les efclaves des détails , comme il le doit être lui de l'extérieur de fon Etat , & des regards de l'unî- yers fans çelfe tournés fur lui 5 &: que» une mcirchandife? 505 du'en un mot , toutes les affaires de TErat lui peuven^c être préien- cées fur une feuille de papier. Henri IV*. fut afTurément un Rot àts plus éclairés & des plus adifs qui! y eut jamais , & cependanc c'eft ainfî que Sulli lui traçoit en quelques lignes les principaux objets du Gouvernement. Les vrais nie- moires de ce grand homme fous le titre à' Economies Royales , Livre qu'on ne lit plus tant à caufe du peu d*ordre des précieux matériaux qui y font renfermés , que parce qu'on la depuis peu retourné en beau François ^ mais qui n'eft pas moins digne de la continuelle étude d'un homme d'Etat , ces mémoires, dis-je , font pleins de précis de cette e{pece que ce grand Roi prifoit, parce qu'il étoit capable d'en faire de pareils. J'en tranfcris un ici tout au long , qui dans 3 6 maximes ren- ferme plus de chofes que n^n dirq lout mon Ouvrage. II, Farde. % 50^ r argent doit-il être ï^emoîres ETAT & MEMOIRE drejfé par 4fi Sully. commandement du Roi ^ & à lui baillé à votre retour du voyage de Poitou en l'année 1604, des chofes le/quelles peuvent préve^ nir de grands défordres & abus^ &^ par conféquent auffi apporter diverfes fortes d'affoiblijffemens aux Royaumes ^ États & Prin* cipautés fouveraines, I. Augmentation de tailles J tributs & daces , aQoiblijJement d'Etat. II. Toutes impofitîons perfôn-. «elles avec furcharge, affoiblij[fe^^ ment d'Etat. III. Diminution de trafic , corn* ' merce & marchandife, affoiblijfe'^^ ment d'Etat, IV. Diminutions d'ouvrages & çpanufadures Se labourages , affoi^i blijfement d'Etat. V. EnchérifTement de vivres SC tous mauvais ménages , affoiblijffe--^ ment d'Etat. yi. Augmentation de chicane* une màrchandife? y 07 tîeS(S^ de forma'irés de lajuftice, ajfoibliffement d'Etat, VII. ExceHiyes ufurpacions d'au- toricé aux Officiers , affoibligimenc d'Etat. VIII. Refus d'audience aux complaignans &c à cous opprimés certains reliquats d'engagemens onéreux que le Roi a été dans le temps obligé de contrader avec des gens d*afïài- res, que comme des prétentions furannées; & comme on voit que ces gens ont fait de grandes fortu- nes dans leurs entreprifès , on croie le Roi quitte au fond , ou Ton ne folde avec eux qu'à leur défavan- tage 5 & qu'autant que la moitié de la fomme aura acberc des pro- tedteurs. On ne confidere pas eti cela que c*eft avertir les futurs en- trepreneurs quils doivent faire leur main dès qu ils le pourront , & mettre dans les marchés , en fus du profit, Ig perte des reliquats. La Yy 5 1 ^ L'argent dôk-il être bonne-foi publique penferoit tout autrement & régleroic ces fortes de dettes, comme entre pairs à la bourfe. Si Tentrepreneur à préva- riqué dans fon entreprife, qu'il foie pendu fans miféricorde ; mais de crainte de fouiller le Gouvernement du foupçon d*avoir voulu enrichir le Thréfor de la dépouille de ce miferable , que ce qui lui eft dû félon les claufes de fon marché foie diftribué à fes héritiers au rebours des fuccefîîons ordinaires , c'eft-à- dire , en commençant par les plus éloignés. Dès- lors vous aurez éla- gué par un feul adte de juflice la moitié de ces deniandans. Tous ceux qui fentiront leur cas verreux fe hâteront d'obtenir décharge, & de donner quittance; & n'y feroic pas reçu qui voudroit, Ci ces en- trepreneurs avoient afîaire à moi: Ton payeroit, & Ton feroit payé. Quant à ceux qui ont fatisfait à leurs engagemens , je ne leur en retrancherois pas un fol , eufîènt-ils des millions : mais comme la foif de lor eft celle des hydropiques. une tnarchandlfe ? 5 r | ces richards ne manqueront Jamais de parens qu'ils voudront mettre fur la même voie de fortune , 3c c*eft en ce genre- là feulement que fàifant pour le Roi ce qu'on appelle des affaires, on feroit acheter les emplois lucratifs de la finance pac de fortes celïïons de reliquats loya-; lement dûs & réglés. Il eft néanmoins des cas qui , quoique rares , ne font pas fans exemple , & même de nos jours , où les récompenfes honorifiques doi- vent eiïayer d'ancrer l'honneur mê- me fur le territoire naturel du lucre. Un homme qui , riche du fruit de Ces premiers travaux, emploie vo^ lontairement enfuite des talens ac- quis par un long ufage pour le fervice de fa patrie , fans en retirer d^autre fruit que la réputation d'a- voir bien fervi , mérite la plus haute confidération. Ceux qui menoient les armées Romaines à la guerre, ôc ceux qui étoîent chargés du foin de leur fubfiftance , croient du m^- me ordre. Il n'e/l prefque aucune profeffion dont on ne put bannir Y vj ''5i<^ L'argent doit-ll êtn robfcure cupidité , & mettre à fà place mie forte d'héroiTme. Les dettes courantes & qu*orï appeileroit criardes pour un parti- culier 5 une fois nétoyées , les diffé- rentes dépenfes qu'on payeroit au^ courant en argent comptant, di- minueroient prefque de moitié : grande avance pour l'opération ten- dante à libérer rEcar. Les dépenfes des Corps & de^ Villes réglées pareillement ^ & con- duites avec une ex^âre économie en tout ce qui n'a pas trait au pu- blic, fburniroient bientôt des fonds aux rembourfemens. Les principa- les de ces dépenfes confîftent aux payemens des rentes 5 & l'opération fèuIe du baiifemeat des intérêts feroit tout-à-coap une richelfe pu* blique. Je fuppofe par exemple , que le Languedoc doive 50 mil- lions qui au cinq pour 100. font d'intérêt 1500000 livres , rinterêc réduit demain au 4* ce n'eft plus que deux millions, & les 500000 liv. reftant font un premier rem- bouriementj & (i l'intérêt venoiî Éné mat'chandife ? ^jy à 5. comme je fuis fur qu'on Ty mettroit en quatre ans en France fî Ton vouloir , ce feroit un million par an. Ce million rembourfé éteint autant d'intérêt , & bientôt la fom- nie faifant le fer à cheval nétoyeroic dans peu toutes les dettes. Mais quelle alarme parmi les rentiers ! Si- tôt que les corps foli- des rembourfent , chacun emploie tout Ton crédit pour n être pas dans le cas -, ce ne font que murmures parmi ceux fur qui ce'a tombe : ce feroit bien pis alors qu'on rembour- feroit de toutes parts. Oh î j'avoue que ces fortes de plaintes me trou- veroient un coeur d'airain ; mais prenez garde qu'une telle défolatiori cftau fond une allegrelTe publique, puifque c'eft une augmentation de crédit 5 un véritable thréfor amaiïe , puifque dès que les Corps ouvri- ront une cairîe d'emprunt , on y courra de toutes parts. II falloic >adis faire des taxes pour avoir de l'argent , c'étoit le cas de fe plain- dre; il falloir créer des charges oné=- leufes > vendre les privilèges ^ h 5 1 S L'argent doit-il être juftice, la noblefTe à des ufuriers i avilir & maltiplier les dignités , créer des rentes viagères, c'eft-à- dire ériger un temple à la diffipa- tion & à la vanité dénaturée, faire des loteries ruiheufes quelquefois pour rStat, &c. Demain vous en faut- il? il ne faut que dire aux Corps du Royaume: les frontières font menacées, Thonneur du pa- .villon François eft attaqué, ouvrez vos cailTes ; aufîî-tôt les banques , les études des Notaires , les coffres- forts , les bourfes , les caves des particuliers repouilent l'or de toutes parts. Ce métail mis en fulion par la confiance publique roule à grands flots i & vient fe rendre dans ks caiflfès principales de l'Etat. C'eft-là le point où Cirus vouloit êtrejquand il difoit : Tai donné mes thréfors à garder à mes fujets. Rcnoboiirfe- A Téffard des rembourfèmens , pour que perionne n*eût aie plain- dre , je garderois une exade ba- lance : les dernières dettes feroient les premières rembourfées , fans qu aucune préférence y entrât pour cnciis. une marchandïfe? ^{^ ï\en ; & peut-être que ces premiers- là feroient les plus heureux , car leur Comme leur rentreroit au temps où les autres emplois de l'argent ne feroient pas encore au feu. L'on fent bien d'ailleurs que Ci d'une part la diminution des intérêts doit aider aux rernbourfemens , ceux-ci de l'autre faciliteroient la diminu- tion des inrerêts. Ceft ainfi qu'ea toute chofe les biens de la iôciété font un cercle entre eux , ainfî que les maux. J'ai à ce fujet fouvent ouï dire qu'une importante réflexion avoic arrêté Topération d« baiffement des intérêts en France ; c'étoit la crainte que les Etrangers , qui ont beau- coup de fonds fur nos places de commerce 5 ne vinfTènt tout-à-coup à les retirer , Ôc d'un trait de plume à nous mettre en défbrdre. Un fouris niais feroit toute ma réponfe à une femblable allégation , fi f étois dans le cas de pouvoir décider fur cet article -, mais petit perfonnage que je fuis , il faut que je me donne Ja peine de répondre. J2.© V argent doit-il être Il fuffiroit, je crois, dedireqi?é les Anglois qui ont , à ce qu'il me femble , au moins cinquante fois plus de fonds étrangers chez eux que nous , n'ont pas été arrêtés par cette crainte, quand ils ont voulu baifTer très-rapidement & de plus d'un tiers l'intérêt de leurs foiids publics \ mais s'il faut à notre pru- dence des raifons de détail pour l'a ralTurer , en voici. Bétlfe qui 1°. H n'eft pas vrai que cefoient craint la for- jgs foiids étrangers qui fafTent aller tie de l'ar- ^ K , , sent écran- ^^^"^^ Commerce \ )e le répète » ^crr cela n'eft pas vrai. Les Têtes de chambre de commerce qui allè- guent ct% fortes de choies , ont eux-mêmes , des rentes , des mai- fons &c. & craignent d'en voir baifler le revenu ; l'intérêt particu'- lier leur fait avancer un fait contre l'intérêt public , dont ils ne crai- gnent pas qu'on cave à fond la vérité. Mais quand cela feroit » f qu'ai - je propofé ci-defTus ? rien autre chofe que de bailfer en pro- portion de ce que feront Londres 6c Amfterdam, Or cela pofé, croi»;: une tn&rchandife ? 51 1 bn que le dépit des étrangers l»s oblige de retirer leurs fonds qui leur vaudroicnt autant que chez eux , pour le rapporter dans leur patrie, où tous les placemens font remplis, & où ils ne leur rappor- teroient rien ? 2°. L'ordonnance fur la dimi- nution des intérêts ne porteroitque fur les dettes autorifées par la Loi, & non fur les arrangemens furtifs» qu'on appelle taux de l'argent fur la place ; enconféquence lesNégo* cians feroient bien les maîtres de fupporter leurs anciens engagemens fur le taux primitif , d'où s'enfuit que le commerce n'eft en façon quelconque à confulter fur cette opération. Où les Etrangers ont le plus de fonds parmi nous , c'eft en contrats non exigibles fur l'Hôtel de ville de Paris , fur les Provinces , les Corps , &c. Tous ces Corps n'ont emprunté que fous l'autoFité du Prince , qui n'a point garanti aux prêteurs réternelle permanence de la folde annuelle de leurs prêts»^ 5 2 1 L'argent doît^il être Tout ce qu ils peuvent exiger de lâ bonne-foi de leurs débiteurs , c*eft d'êrre les premiers rembourlés au prorata de ce dont on fera en état de fe libérer j & c'eft , j'en fuis fur , une faveur qu'ils n'ambitionneront pas. Les arrangemens économiques du débiteur augmentent la confiance du créancier. Reléguons donc cette impor- tante difficulté dans la cla(Tè des Ji ôc des mais j rémora des efprits médiocres , & revenons à nos ar- rangemens intérieurs, fans crainte qu'ils foient barrés par qui que ce ' puide erre. On fent que la libération des >articuliers , s'il eft permis de par- er ainfi 5 eft une fuite de celle de 'Etat, & des Corps & Villes. i'^. Les dettes publiques dimi- nuant , les charges diminuent auffî. 2°. L'économie publique encou- rage a & nécefîîte même celle des particuliers. 3"*. Ce reflux d'argent vers fa fource opéreroit d'une façon douce , iblide 6c ftable ce que la folie dp i une marchandife ? 52:5 fyftême a fait en vapeur révolu- toire , pafTagére & foufFrée. Le prix des terres & des efïèrs réels mon- tant en proportion de ce que les effets fidifs deviendroienr rares, & de ce qu'il n'y auroir plus de vrais biens que les biens naturels , le Çonàs ôc l'induftrie , un particulier obéré vendroit une ferme , un Seigneur une terre trois fois fa valeur d'au- jourd'hui , ôc payeroit Tes créan- ciers réduits à employer leur argent à améliorer ou la terre ou le com- merce en grand Ôc en détail. L'on deviendroit riche de Ton travail ôc de fon économie, chacun félon fon état 5 ce qui efl: le vrai point favo- rable à la population. Une telle opération n'a pas befoin d'être conduite à fon dernier terme, pour qu'on en relTente les bons effets. Il fuffiroit que la direélion des chofes eût pris ce tour-là pour que la réfurreàion fût vifîble de toutes parts ; mais en fuppofànt le projet entier accompli, l'Etat, les Corps ôc les Villes entièrement li- bérées» rextindion totale des rentes j24 V argent doît-îl être enfin , à la re^^erve de celles qui feroient établies fur les Etrangers % je demande fi cela diminueroit d'un écLi les revenus de la France & des François. Mais, dira-t-on, tout Fargent des particuliers paflera chez l'Etran- ger. Tout ? vous vous trompez 5 car tant qu'il y aura des terres & de Tinduftrie fous votre Empire , on aimera mieux placer Ton argent auprès de (bi, que de l'envoyer fous une Domination étrangère \ mais quand cela feroit , encore un coup ce ne feroit qu'un bien , puifque ce feroit autant de tributs que vous impoferiez à vos voifîns. Confidérons d'autre part ce qui fe pafleroît au-dedans- L'Etat libéré de tant de charges onéreufes n'au- roit pas befoin de tant d'impofî- tions , & lai (feroit refpirer les fujets en temps calme, fauf à augmenter les levées de deniers au befoin , au-lieu de fe fervir d'emprunts & de moyens extraordinaires. Les Corps , les Provinces & les Villes moins impofécs par le Souverain j^ une marchandife ? 525 ic délivrées de tous intérêts , fe verroient libres d*employer leur? revenus à la bonification de leurs fends. Combien d'ouvrages d'une utj^ . ^om'fîca- 1. , 'f r ir • 1 tion du fonds ite première le preienteroient alors en feroit u à des adminiftrateurs éclairés ! ^"«p» Combien de rivières à rendre na- vigables, de canaux à conftruire , de ports à récurer , de chemins à percer & confolider, de manufac- tures à établir, de pépinières à en*-' tretenir , d'hôpitaux d'incurables , de maifons d'enfans- trouvés à conf- truire & à doter ! Quelle élégance, quelle perfection ne metcroit - on pas dans les chofes même de pure décoration qui honorent un ficelé, qui affedbionnent les citoyens à la patrie , qui attirent les étrangers , &c. S'agiroit - il de faire un por- tique, un temple, un théâtre, àts promenades , des quais , des fontai- nes. Ton ne feroit plus gêné par le fentiment continuel de la misère & de la furcharge publique j on donneroic l'eflbr au génie des arrif- ^s , & l'on fe rappelleroit que qui '52^ L'argent don- il être travaille pour le public , doit vouer fon ouvrage à rinimortalité. Ce que les Provinces feroient pour le public, les particuliers le feroient pour leur famille, & iur leur patrimoine. Ne pouvant aug- menter fa fortune qu*en bonifiant fon fonds, on tireroit de la terre mille reffources aujourd*hui incon- nues. Les machines pour élever les eaux fur les terres nous arrive- roient de la Chine, plutôt que les toiles peintes; & quand je ramené les inventions utiles de fi loin , je .îie penfe pas qu'on négligeât celles qui fe trouvent en Europe , & donc jQous profitons fi |:y€U, les entreprifes du commerce intérieur & extérieur étant , après la culture des terres , les feuls moyens de placement pour Far- gent , elles fe multiplieroient à l'in- fini , & cependant deviendroient rares en proportion du nombre de gens qui voudroient s*y intérefTèr, En conféquence, tout entrepreneur, ou toute Compagnie qui fe for- îneroit pour un objet de travail , une marchandîfe ? $ij auroît doubles & triples fonds en comparaifon de Tétenduè quelle pourroit donner à ion enrreprifè Terrée de coures parts par les ten- tatives &: les efforts d'autrui. De- là , plus de banqueroutes d'une parc ; de l'autre , l'on niettroit en foiidité ce que Ton tâche de mettre au-^ jourd*liui en étendue. La concur- rence animeroic l'indurtrie de cous côtés 5 & celie-ci tendroit à la per- fedion ; un petit gain feroir regar- dé comme lutile & Tagréable fruit d'un grand travail j & c'eft cjuand on en eil: à ce poinc , qu un Etat eft à Ton plus haut degré de population & de profpérité. Arrêtons-nous un moment , & confidérons fi d'après ce tableau » dont on m'a vu broyer & placer ies couleurs , & que j'ai tâché de rendre aufli vrai que je le vois , il ne feroit pas po(ÎIble de conci- lier les principes des Théologiens fur Tufure avec la nécefficé du com- merce. Il eft de fait , que la pratique de opinfon TEglifeen générai, & les plus faines \lff^^ % iir 528 U argent doit-il être tùtè. avec le Ecoles de Théologie en particulier "v^nMe. in- ont toujours Condamné roue prêt urctdel'star. ^^^^^^^^ . ^ar dans le fait, le prêt à contrat de conftitution eft une aliénation abfolue du fonds fous une redevance annuelle , & lors- que Ton veut en faire le rembour- , fement , il ne peut être confidéré que comme un rachat pécuniaire de cette redevance, à telles enfei- gnes que Ci depuis la païïàtion du contrat Tinterêt ou la redevance a l^aifTé , comme on le voit auK contrats fur la ville de Paris , le rachat baiflTe en proportion , & Ton a aujourd'hui pour 1 6oco livres un contrat qui en coûta jadis 32. Le contrat de conftitution neft donc point m\ prêt à intérêt. Des deux reftriâ:ions comprifes fous Temblême damnum emergens ôc lucrum ce[fans ^ la première fort entièrement du fait en queftion , puifqu'elle ne peut senrendre que d'une Compagnie de commerce : jfi-tôt qu'on s'aflTocie au gain ÔC à la perte d'une entreprife , qu'on foi^rnifle Con contingent en argent^ Une marchan dife ? 51^ en vailTeaux ou en marchandifes , la chofe eft abfolument égale , pourvu qu'il n'y aie d'ailleurs rien que d'équitable dans la conven- tion; & puifque Dieu nous a or- donné le travail , l'Eglifê eft bien éloignée de le défendre. Quant au lucrum ceffans ^ lî j'ofe en dire mon avis , il a fort l'air d'une condefcendance eccléfîaftique qui a plus d'apparence que de réa- lité. En eflfèt on entend par ce mot que fi-tôt que pour obliger le tiers en fon befoin , je prête mon argent qui eût pu me profiter ailleurs, je puis en retirer un intérêt. Oh î je demande qui ne peut par cette reftridion Ce faire à cet égard une faulTe confcience ? Si j'ai des dettes , je puis prêter à intérêt, parce que cet argent , fi je ne l'eufTe prêté , payeroit mes dettes. Si je ne dois rien , je pouvois encore acheter un domaine qui m'auroit procuré du bénéfice: n je n'entends rien au régime des biens fonds , je pouvois acheter des beftiaux qui , vendus après le glandage , m*auroient fait IL Partie, Z, 5 3 ô Varient doit- il être profit : fi , citadin abfolu , la tetre 6 Tes produits , le commerce &^ fès entreprifes me font inconnus & m*efîraîent 5 je pouvois avoir à. un inventaire des meubles qui me coûteront au double chez Touvrier, quand mon argent me fera rentré : fî rien de tout cela ne me con- vient, mon argent devant moi &| à ma difpofition m'auroit donné une tranquillité & une aifance qu© je n'ai plus , &: qu'on me doit payer; ainfi de clafie en clafîe, il ne fe trouveroitau monde prêteur à jour, qui par le moyen du lucrum ceffans ne fût en fureté de confcience. Mais encore un coup, en fappo- fant qu'il Toit vrai que l'Evangile èc fes Miniflres condamnent fans aucune reftridion , tout prêt d'ar- gentainreret, je louriens queceft faute d'avoir examiné la cho(e dans, fon principe , qu'il, efl: demeuré confiant chez les grands & les pe-? tits 5 chez les hommes infiruits comme chez les ignorans , que cet anathême qui vient de trop haut pour qu'il puiflè être changé , eft une marchandife ? 531 abfolument incompatible avec le commerce. Ce«e opinion efl très- dangereufe pour la Religion tant par fa p;énéralité , que parce c]u*il efi: împoffible de fe refufer au fenti- menr , à rexpérience , & à la dé- monflration de Tutiliré du com- merce. Mais dès qu'il eft démontré que la diminution de l'intérêt efl: un avantage inconteftable pour le commerce , il s'enfuit ncceffaire- ment que l'extindion de tout inté- rêt feroit un plus grand avantage encore. Remettons-nous devant les yeux le tableau d'un Etat au point de profpéricé où je l'ai conduit tout- à-l'heure, d'un Etat libéré de tou- tes dettes , & où par conféquent l'intérêt de l'argent feroit au taux le plus bas , & voyons fi le com- merce n'y feroit pas aufîî floriffanc que par- tout ailleurs fans prêt d'ar- gent. Quelle néceflîté dans cet Etat pourroit forcer quelqu'un à jetter des billets fur la place ? Scroit-ce le Souverain pour les befoins de Zij 5 3 2 V argent doit-il être TEcar ? le hauifemenc des impofî- tjons 6<: la facilité des recouvre- meiis Un feroieiit un'moyen aifuré. En faiidroit-il d'extraordinaires? les Corps & les Villes nauroient quà offrir des coQtrars. Seroient-ce les commerçons ? 5i-tôt qu*un négo- ciant habile > & bien en corre{^ pondances auroit un projet de com- merce 5 il trouveioit dans fà famille , dans fes amis, par-toi;t enfin mille affbciés foumis qui s^offî iroient à courir les riîques de Ton entréprife. Un homme induftrieux , un habile artifte imagineroit-il une nouvelle manufaârure ouquelqr/oavrage uti- le? les gens riches raideroient de leurs fonds , pour y trouver quel- que profit direâ: ou indireâ:. Un particulier voudroit-il établir fes cnfans, acheter une Charge &c. il trouveroit dix prêteurs à contrat pour un. Un jeune ouvrier , un détaillant voudroit-il s'établir? les commerçans en gros lui feroient des avances, puifque le détaillant cft prefqu'auffi nécefiaire à la fabri- que j que la fabrique Teft au détail: lant. une mcLichandïfe ? 535 Je ne vois perfonne enfin qui s'en trouvât gêné, que les duTi pâ- leurs, les agioteurs , & les commer- çants en banqueroute , tous gens à noyer , s'ilétoir un homme au mon- de qui fut incorrigible. Ceft ain^ qu'en examinant le vrai fond des chofes , on trouve- roit qu'en tout &: par-tout les plus faines loix de la morale font les plus (urs moyens de Tinterét. Mais il efi: temps de finir cette féconde Partie de mon elfai. Quoique Je m'y fois plus éloigné encore de mon Texte que dans la première , c eft pourtant lui qui m'a guidé. Il y auroit mille chofes importantes à dire encore fur la profpérité in- térieure d'un Etat ; mais je crains de n'avoir été que trop long. Mes principes choquent en tant d'en- droits les opinions reçues , que je n'aurois fait qu'une partie de mon devoir , fi i'avois négligé de \cs étendre , & de les porter au point de démonftration que je fuis capa- ble de leur donner. Le tout cepen- dant fê réduit jufqu'à préfent à un 554 L'argent doît-il être ^ &c» petit nombre de principes prati- ques, Ôc les voici. 1°. Aimez & honorez Tagricul- ture. 2°. RepoufTez du centre aux extrémités tout ce que vous attirez des extrémités au centre. 3°. Méprifez le luxe & Tindé- cence dans la dépenfe. 4°. Honorez les vertus & les talens , Se ne les payez point. 5°. BaifTez le taux de l'intérêt, éteignez les rentes. Telles font les mères - branches aufquelles Te rapportent tous les rameaux de la vivification inté- rieure , & d'où doit naître la vraie profpérité, Vimmenfe population. Fin de la féconde Partie. m % ipplj '- ^^ i '>. ■*'•,< «" fti